SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Taormine ⇜ Yves Ravey - Yves Ravey - BouQuivore.fr
Yves Ravey.

Yves Ravey est né en 1953 à Besançon, où il vit toujours. Enseignant de profession (lettres et arts plastiques), il publie son premier roman, La table des singes, chez Gallimard en 1989. Depuis, il a publié une bonne quinzaine de romans aux Editions de Minuit, qui tous ont rencontré un beau succès. J’ai pour ma part lu La fille de mon meilleur ami (2014). Trois jours chez ma tante (2017) et un autre dont le titre m’échappe, appréciant avant tout son sens de la concision et son humour décalé. Taormine, son dix-septième roman, a figuré sur la première liste du Goncourt. Mouais…

Dès les premières lignes de l’histoire, Melvil justifie ce voyage en Sicile par ces mots : “Après des journées difficiles, nous avions besoin, l’un comme l’autre, de calme et de repos”.

En fait, le couple Lucia-Melvil bat fort de l’aile et Lucia aimerait divorcer. Melvil, lui, ne veut pas perdre sa femme – elle est infidèle mais bien née quand lui n’est qu’un loser plutôt pleutre, chômeur patenté vivant quasiment à ses crochets au grand dam de son beau-père, le célèbre professeur Gozzoli –, et compte sur cette semaine de vacances pour la reconquérir. Il semble bien que ce soit soit sa dernière chance d’y parvenir.
Mais dans les romans d’Yves Ravey, les choses se passent rarement comme prévu, le dérapage est presque toujours de mise. Le soir même de leur arrivée, Melvil décide, pour faire plaisir à sa femme, d’aller voir la mer avant de rejoindre l’hôtel 4 étoiles qui les attend. Il bifurque sur une petite route qui très vite se transforme en chemin de terre. Après s’être arrêtés dans un bar, ils traversent un chantier et finissent par tomber sur un camp de réfugiés. Le temps a passé, il commence à pleuvoir à torrents, alors Melvil fait demi-tour.


Soudain, il heurte “quelque chose” violemment et le véhicule – de location – est sûrement bien abîmé et à faire réparer. Après un moment d’hésitation, Melvil ne s’arrête pas et repart en direction de l’hôtel.
Un article de journal traînant sur une table de l’hôtel leur apprend qu’un enfant de migrant a été tué par une voiture du côté de la plage où ils se sont rendus la veille…
Melvil n’alors plus qu’une seule idée en tête : faire réparer la voiture avant de la rendre à l’agence de location et de quitter fissa ce pays de carte postale…  Il se renseigne à l’accueil de l’hôtel afin de trouver la  “bonne” personne pour la voiture : compétente, rapide et… discrète.

Nous comprenons très vite que l’unique suspense tiendra en deux questions.
La première : quoi ou qui a heurté la voiture, un objet lourd déplacé par le vent, un gros animal, un humain ?
La seconde : le couple Lucia-Melvil réussira-t-il à quitter la Sicile sans encombres ?
Je vous laisse “imaginer” la fin et apprécier la morale de l’histoire, de toute l’histoire.

La plume d’Yves Ravey, fidèle à celle de ses précédents romans, est enlevée et d’une extrême concision. Les chapitres sont aussi courts que les dialogues entre les deux principaux personnages, la femme et le mari. Pourtant les mots utilisés, habilement choisis et mêlés par l’auteur, laissent passer l’essentiel du verbe et des pensées de chacune et chacun. Mais ne nous aident que dans une moindre mesure à démêler le faux du vrai, car la vérité est parfois bien proche des faux-semblants…

Mon avis sur le livre. Yves Ravey n’est pas un auteur facile à classifier. Entre Simenon et les premiers auteurs de romans noirs américains du siècle dernier comme Dashiell Hammet ou Chandler pour l’ironie cynique, c’est un romancier qu’on aime fort ou pas du tout. Taormine confirme cette dualité d’avis. En ce qui me concerne, j’aime assez, sans aller jusqu’à l’admiration sans bornes, sa manière d’aborder le polar : une intrigue qui tient en dix lignes, des personnages peu nombreux, souvent à baffer pour leur cynisme et bien différents de l’image qu’ils donnent. Sans oublier les tracas matériels du quotidien et des problèmes sociétaux contemporains rapidement mais sérieusement abordés – ici ce sont des migrants, installés dans un camp près de la mer – et la façon dont l’auteur nous fait tourner en rond. Là, par contre, je n’ai pas vraiment compris ni apprécié le dénouement capillotracté, même s’il peut sembler évident à certains lecteurs.

Petit à petit, les deux personnages se dévoilent à nos yeux et le tableau, où dominent une indifférence cynique et une belle hypocrisie, n’est pas joli-joli pour l’un comme pour l’autre. Si Luisa n’est pas aussi nunuche et candide qu’il y paraît, Melvil, particulièrement antipathique, remporte le match haut la main. Véritable mufle suffisant qui infantilise sa femme en lui parlant comme à une demeurée, ce Monsieur-je-sais-tout s’autocongratule en toutes circonstances et fera tout pour se sortir du bourbier dans lequel il les a mis tous les deux.
Le narrateur parle à la première personne et c’est la voix du mari seule que nous entendons. Et quelle voix ! Les dialogues sont inclus dans le fil de la narration, y compris avec leur propre ponctuation, ce qui ne nuit en rien à la compréhension de l’ensemble mais renforce la place et la prépondérance du mari dans le déroulement de l’histoire.
En dire plus serait dévoiler trop de choses et le livre est court…

Taormine est un livre de détente, comme tous les romans de l’auteur. Pas besoin de chercher midi à quatorze heures, certes, mais un suspense de circonstances. Juste ce qu’il faut pour se remettre à lire doucement après un arrêt ou un ralentissement aussi bénéfiques soient-ils. Ce dernier-né donne peut-être davantage à réfléchir que les précédents, ce qui n’est pas inutile avec le sujet d’actualité.

DEUX BELLES SORTIES DE MELVIL,
juste pour donner une idée du personnage

“Aussi ma pensée allait toujours vers cette idée répandue, par ailleurs complètement stupide, que votre femme, si elle doit tomber amoureuse d’un autre, porte son choix sur votre meilleur ami. Bref, passons”.

“Comme tout couple, nous traversons parfois des zones de turbulences, et tout cela donne à notre relation amoureuse un aspect tumultueux. Nous n’aurons donc pas, au cours de ce séjour sicilien, à discuter, ou si peu, les termes de mon désir pour Marceline, secrétaire de Luisa dans son laboratoire de directrice de recherche en bioéthique.”

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