SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

L’auteur. Franck Bouysse, né en 1965, est un romancier français. Tout d’abord professeur de biologie à Limoges, il se passionne pour la lecture, en particulier des romans noirs, puis pour l’écriture elle-même. Son premier roman, La paix du désespoir, est publié en 2004. Suivront une dizaine de romans, chez des éditeurs différents, dont la trilogie de H avec Le mystère H (2008) en ouverture, puis LHondres ou les ruelles sans étoiles et La Huitième lettre. Ensuite, Noire porcelaine (2012), Vagabond (2013) et Pur sang (2014). Glaise est le dernier à ce jour.

L’histoire, je ne vous la raconterai pas, pas même en résumé. Elle est aussi belle que l’écrit qui la porte et mérite que vous la lisiez de toute urgence. Un peuple opprimé, les Indiens, la tribu des Nez-Percés (elle commence dans le Montana un siècle auparavant et se termine de nos jours à La Croix-du-Loup, entre le Périgord et le Limousin) et d’autres sujets majeurs concernant l’humain : la quête de soi, l’identité, la rédemption, l’harmonie avec la nature (notamment une histoire de loup belle à pleurer), l’amour, oh oui l’amour, l’amitié et la compréhension des autres… Le suspense est présent, les surprises sont de taille, distillant des instants de sauvagerie, d’autres d’une grande humanité et enfin des moments d’émotion intense proches de la tragédie grecque dans la seconde moitié du roman.

Le style. Il en est largement question dans mon avis, mais il y a deux détails que je  soulignerai à part. Tout d’abord la différence d’écriture entre les descriptions de la nature et l’analyse des comportements, et les dialogues simples, en langage presque parlé (la forme négative est volontairement oubliée). Ce qui apporte au roman un grand réalisme, l’auteur faisant parler chacun de ses personnages comme il le sent, dans une belle diversité de langages. Du grand art une fois encore. Autre particularité, certainement pas anodine : les majuscules pour les noms propres ne concernent que les patronymes et les noms de lieux. Les indiens, les écossais, les blancs, les noirs et tous les noms de nationalités que l’on a l’habitude de voir avec une majuscule initiale, sont écrits tout en minuscules. Peut-être pour signifier que l’être humain et la nature qu’il habite sont plus importants que les nationalités…

Un regard sur le livre. Je sais, je sais, l’empathie c’est vraiment mon truc et vous allez à nouveau penser : oh non, encore un roman merveilleusement écrit, une histoire et des personnages bouleversants, un auteur encensé, louangé, adulé et à suivre de près, de très très près ! Et vous aurez raison. Mais cette fois, j’avoue avoir failli, pour donner aux lecteurs l’envie de lire Pur sang (sans trait d’union), de ne mettre dans cette chronique que des extraits, tant la plume de l’auteure est lumineuse, lyrique – bien que sans emphase – et poétique.
Comme dans les romans de Franck Bouysse que j’ai lus précédemment, l’entrée dans l’histoire se fait par le style qui, une fois encore, dès les premiers mots nous surprend et nous embarque. Et ici, l’auteur est semble-t-il au sommet de son art. Il aime la nature et décrit admirablement celle que contemple son personnage, aussi bien dans le Montana (Eden Creek) que dans le Limousin, pays de l’auteur. Malgré l’éloignement, l’isolement et le confinement (volontaires cette fois-ci), elle est hospitalière et joue un rôle à part entière. La nature (humaine et terrestre) est à l’honneur à chaque page. A souligner aussi l’importance de la lumière, qui joue avec les formes et donne aux couleurs le pouvoir de transformer le paysage.
Au point que j’ai eu la sensation de lire un long poème noir peuplé de décors naturels hallucinants de beauté et d’humains confondants de noirceur pour certains, d’humanisme pour d’autres.
Mais un roman, c’est une histoire et un écrit, un écrit et une histoire. Comme une enveloppe et la lettre qu’elle contient. Plus la première est séduisante, plus la seconde est prometteuse. Et les promesses sont largement tenues.

Si j’ai passé sur le contenu de l’histoire, je dois souligner la qualité de l’étude psychologique des deux personnages principaux (et des autres). Elias Greenhill, ses parents adoptifs indiens Papa et Mama Tulssa, et Gray, l’Ecossais qui l’accueille dans son gîte, sont d’un humanisme touchant et d’une épaisseur psychologique palpable. Elias doit se construire à partir d’une révélation de sa mère adoptive, Gray se reconstruire à partir d’un passé écrasant. Deux destins brisés. Tous portent un lourd secret, mais Elias ne connaît pas encore celui de sa famille lorsqu’il arrive à la ferme de Gray.

Pour finir, je dirai que Pur Sang est un livre trop court, dont on savoure chaque page, chaque ligne, chaque mot. Une merveille, un diamant poli par la magie des mots. Le nec plus ultra de la littérature « pure et dure » au sens propre des termes ! Un seul regret après l’avoir lu : l’avoir fini. Une seule envie : me procurer d’urgence le dernier roman de Franck Bouysse, Glaise, et tous ceux que je n’ai pas encore lus ! Ça tombe bien, je n’en ai lu que deux, trois avec celui-ci ! Un immense moment de lecture pour ce roman, lu d’une traite en revenant sans cesse sur les pages, que j’aimerais ardemment partager avec vous.

LES MORCEAUX CHOISIS promis, les voici. En espérant qu’ils vous donneront l’envie urgente de vous procurer et de lire ce roman qui ne peut vous laisser de marbre. Je ne comprends pas que Franck Bouysse soit si peu médiatisé et considéré comme un romancier « local », ni qu’il figure dans les critiques au registre des polars et des romans noirs, dits de genre exclusivement. Même si, une fois encore, ce genre de romans est loin d’être un genre mineur !

N’allez pas croire que ces passages descriptifs, qui m’ont laissée sans voix, se baladent au gré des pages sans rapport avec l’action. Les personnages font partie intégrante de la nature et la nature fait partie intégrante de l’histoire. Les deux éléments, humain et nature, sont imbriqués et contribuent ensemble au déroulement des faits.

Page 13 : « L’animal était immobile entre les troncs des hêtres, à moins de quarante pas. Ses pattes émergeaient des touffes de caltha des marais. Il semblait posé là, telle une apparition incarnant la nature à elle seule. Vivant reposant sur le vivant. (…). Le loup ne paraissait pas avoir le moindre doute quant à l’issue de cette journée, le moment où il se souviendrait de chaque obstacle évité ventre à terre, le corps griffé de fils d’or au passage des trouées du feuillage, le museau planté dans la chair de l’espace, et l’espace replié sur le temps maîtrisé, comme un cyclone naturalisé. Un mélange de molécules tendant vers l’unité magistrale du monde. On racontait que les indiens et les loups appartenaient à une même noble lignée et que leurs esprits se rejoignaient dans un même coin du ciel. Elias n’avait pas peur, il était fasciné. Les yeux du loup s’étaient détournés, comme pour signifier que l’endroit où ils se trouvaient était son territoire, mais qu’il ne leur en voulait pas d’être là, tant qu’ils ne s’attardaient pas. Puis les deux prunelles s’étaient à nouveau fixées sur les humains. Deux morceaux de verre pilé enfoncés dans la neige ».

Page 27 (dans la bouche de Mama Tulssa) : « Les anciens de la tribu avaient l’habitude de comparer le passé à un oiseau qui volerait contre le vent… quelque chose comme un mouvement contre nature que tout homme croit pouvoir changer en le recouvrant du présent ».

Page 34 : « Un aigle royal qui planait au-dessus des pins détacha quelques cris de sa gorge, faisant comme des éclats d’éternité dans un ciel sans nuages » …

Page 59 : « L’air était frais et le ciel clair. Une nuée d’étoiles accompagnait une lune complète, comme de petits rémoras attentifs autour d’un Léviathan immobile, et la Voie lactée ressemblait à un placenta suspendu à une matrice céleste… ».

Page 95, dans la bouche de Papa Tulssa, des paroles pas seulement belles mais combien justes : « Sais-tu que les arbres parlent ? Ils se parlent entre eux et ils te parleront si tu prêtes l’oreille. Le problème des blancs, c’est qu’ils n’écoutent pas. Ils n’ont jamais appris à écouter les indiens, alors je doute qu’ils écoutent la voix de la nature ».

Page 138 : La nuit entrait doucement dans l’écurie mal éclairée, comme un paréo posé nonchalamment sur une peau sombre. Ce coin du monde était dans le vaste monde, qui était lui-même dans l’univers encore plus vaste, séparé des étoiles par une toiture d’ardoises et autre chose de moins perceptible, lové dans les replis du silence. Dans ce coin du monde, cette écurie, il y avait deux hommes suspendus à leur ombre finissante ; deux figures de proue de navires à la dérive sur un même océan dévasté, qui regardaient monter la vague vers eux sans rien pouvoir y faire, rien pouvoir y changer ».

Page 143, à nouveau une leçon de choses du père d’Elias : « Faut pas que tu raisonnes ainsi. C’est la nécessité qui précède la raison, comme le cheval traîne l’outil. Un caillou est aussi important qu’un être vivant. Il survit à tout. Que ce soit un galet poli par le courant ou un rocher séparé de la montagne, ils deviennent plus que ce qu’ils sont, une fois dans notre main ».

Page 169 : L’aube semblait écartelée par deux chevaux marchant dans des sens opposés. Un genre d’explosion surnaturelle en cette fin d’automne, la démonstrative puissance du soleil, tout, à tour, sur l’envers et l’endroit du monde ».

Enfin, celui qui m’a confortée dans mon empathie pour le peuple indien et qui a une grande résonance aujourd’hui, page 19 : « Les Tulssa étaient des gens respectés dans la vallée. Tout le monde connaissait l’histoire de leurs aïeuls, Nez Percés, et d’Eden Cloud, arrière-grand-père de Papa Tulssa. Après tout, ce pays avait appartenu aux indiens dans sa totalité, il n’y avait pas si longtemps, avant que des étrangers se mettent à prendre sans demander, avec pour seuls arguments des balles de plomb et une foi brutale. On n’avait rien oublié de ce temps-là, mais l’histoire avait brassé le tout, et si on avait dû remonter le lignage de chacune des familles vivant dans le comté d’Eden, on aurait eu un aperçu du patchwork humain qu’était cette population, faite d’indiens, de blancs et de noirs. Un tissu disparate mais solide comme du fil de fer. Métissage était bien le mot qui convenait, à plus d’un titre ».

De toute évidence, cet auteur si talentueux fait désormais partie de mes auteurs fétiches, ceux que je lis autant pour l’histoire que pour leur plume fulgurante, voire inversement. Parmi eux, de mémoire immédiate Paul Lynch (pour les ciels), Marie-Hélène Lafon (les lieux sont voisins), Valentine Goby, Sylvie Germain, Duong Thu Huong, Richard Wagamese, et, bien sûr et toujours, Joseph Boyden ! Sûr que Franck Bouysse a lu et relu Jim Harrison et ses émules… Il écrit du même souffle, en français magique de surcroît ! Et comme ce fut pour moi plus qu’un coup de cœur, il va directement dans la rubrique Hors du commun !

2 Responses

  1. Bonjour Cathy. J’ai terminé « Pur sang ». Tu as raison, ce livre est fabuleux.Les descriptions de paysages sont magnifiques, une véritable ode à la nature. On tombe en amour avec ce peuple indien , avec les personnages principaux. Oui, comme toi, j’ai savouré chaque mot, chaque ligne. Vraiment très beau. A bientot Cathy. Merci de m’avoir permis de lire ce beau livre. Sophie

  2. Avec un tel enthousiasme, il va être difficile de ne pas lire Franck BOUYSSE, d’autant plus que « Grossir le ciel » me tend les bras sur le dessus d’une de mes piles… Très vite, très vite !
    Et merci à Cathy pour son incitation à la lecture.

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