Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Dernier arrêt avant l'automne ⇜ René Frégni

Les cinq premières lignes : “Le monastère est pourpre. L'automne a lancé sur le cloître et la maison de l'évêque ses longues draperies de vigne vierge, elles mordent les génoises et retombent en pluie de sang devant les sept fenêtres de chaque étage. Seule la chapelle reste blonde et fière au pied de la colline”. LA phrase du livre, que j’approuve, à laquelle je souscris, j’adhère, j'acquiesce et j’applaudis : “Comment sais-tu toutes ces choses ?”. “Les livres… Tout ce que je sais faire, je l’ai appris dans les livres. Tout est dans les livres”.
EN DEUX MOTS : Un écrivain-narrateur désabusé mais confiant, des paysages bellement décrits et un dénouement surprenant et insolent. Une petite boule de poils blancs impayable. Les sentiments sont au beau fixe, l’écriture poétique. Et l’amitié au septième ciel…
Sorti en avril 2019 chez Gallimard. Roman. 166 pages.

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René Frégni.

René Frégni, je ne le connaissais pas et j’ai réalisé cette lacune de lecture en lisant Dernier arrêt avant l’automne alors que sortait le suivant, Minuit dans la ville des songes. Originaire de Marseille et amoureux fou de l’arrière-pays provençal, René Frégni est extrêmement charismatique et les avis sont unanimes : un homme chaleureux et solidaire en toutes circonstances, que son parcours en dents de scie a amené à travailler dans divers secteurs : infirmier dans un hôpital psychiatrique, visiteur de prison avec des ateliers d’écriture pour les prisonniers. Un homme avec deux passions (trois avec sa mère) : l’écriture et la magie des mots, la nature et sa splendeur. Auteur d’une bonne quinzaine de livres dont de nombreux primés, il distille dans chacun, tel un pointilliste, des éléments glanés dans sa vie au cours de ses rencontres et de ses balades. En glorifiant toujours la nature qui l’entoure et la puissance des mots qu’il manie à merveille.

Quand commence l’histoire, le narrateur, romancier de son état, est dans l'arrière-pays provençal. En panne d’inspiration pour son futur roman, il cherche en attendant un travail pas trop prenant, qui lui laisse le loisir de trouver un sujet et d’écrire. Au fil de ses balades, il contemple les paysages qui l’entourent et les décrit d’une manière sensuelle et picturale, insistant sur les couleurs de la végétation et les ciels changeants qui l'émerveillent autant que le bleu des  yeux de son chat Solex. Je croyais lire un film de Marcel Pagnol.
Ses amis Pascal et Aline tiennent la librairie, ancienne Maison de la Presse du village le plus proche, Riez. Aline et Pascal forment un couple très uni depuis vingt ans et leur amour est rendu avec émotion et emphase par l’auteur, leur véritable ami dans la vie.
Pascal l’informe un matin que le propriétaire richissime du monastère local cherche un homme de confiance pour garder les murs et entretenir le jardin. De l’habiter, en somme. Contre mille euros par mois. Le narrateur accepte la proposition et adopte au passage un chaton qui ne le lâchera plus.

Le travail ne manque pas, surtout au jardin, les outils pour ce faire non plus. Il s’y met de bon cœur et la débroussailleuse tourne de longues heures.
Un soir, dans l’ancien cimetière des moines, il déterre sans le vouloir une jambe humaine, enterrée depuis peu. Paniqué, alors qu’il a  entendu du bruit dehors, il se barricade dans le monastère et, au petit matin, après une nuit sans sommeil, il se rend chez son ami Pascal. Celui-ci tente de le rassurer et l’accompagne à la gendarmerie qui, une fois sur place, ne trouve rien. Ni jambe, ni cadavre, juste un sol possiblement retourné par des sangliers. Les gendarmes prélèvent des échantillons de terre et ouvrent une enquête qui piétine.

Persuadé que tout le monde le prend pour un fou mais sûr de ce qu’il a vu, le narrateur accepte de rester quelques jours chez ses amis, avec Solex bien sûr.

Le suspense tient en ces quelques questions : y a-t-il eu  meurtre dans ce lieu isolé ? Si oui, de qui, par qui, pourquoi et comment ? Et surtout, où est passé le corps ?

La fin, je ne vous en dirai strictement rien. Elle est totalement inattendue et risque de ne pas plaire à tout le monde qui sait pour son audace et son impertinence. Personnellement, la première surprise passée, je l’ai trouvée tout bonnement  jouissive.

Pour ce qui concerne le style, l’écriture – à la première personne – est à la fois légère et littéraire, empreinte d’une poésie douce, bucolique, qui s’embrase pour parler nature et sentiments. Le suspense est là, présent mais pas pressant : un homme est mort mais personne ne le réclame ; les quelques scènes d’action se déroulent sans outrance ni violence – le détail le plus “gore” est la découverte de la jambe –, ce qui nous change de certains romans actuels, policiers ou non.Ce roman est tout sauf un thriller. Pourtant la tension monte pour le narrateur  qui  l’a découvert, les rares indices ne mènent à rien, les suspects ne semblent pas coupables.

Mon regard sur le roman. Autant le dire de suite, c’est pour l’écriture que j’ai aimé le livre et pour la fin que je l’ai adoré ! Je n’avais rien lu de René Frégni, romancier français pourtant prolixe, jusqu'à ce que Cunégonde me parle de Minuit dans la ville des songes, paru au début de cette année. Je me suis posé la question ‘Pourquoi ?’ en lisant Dernier arrêt avant l’automne qui attendait patiemment sur une étagère. J’en suis sortie étonnée, peu fière mais heureuse d’avoir tant de belles histoires à lire.

Les paysages sont beaux, sur sites et dans les pages. Ils sont réels aussi, le roman est ancré dans la nature, ses couleurs,  ses odeurs, ses collines, ses humeurs…
Le monastère cistercien de Ségriès, à la sortie de Moustiers Sainte-Marie, au cœur du parc naturel du Verdon, la Maison de la Presse librairie Jaubert et le couple qui la tient et organise le salon La Ruche des mots… Tout y est et après une petite visite virtuelle sur le Net, on n’a qu’une envie : y aller en mode réel, au printemps ou en automne car le soleil et sa chaleur règnent en maîtres l’été.

Le personnage principal (l’auteur) suscite notre sympathie. Ce roman est personnel, nous comprenons bien même sans avoir lu un seul roman de lui, que René Frégni est le narrateur-écrivain de l’histoire, le “je” sujet et qu’il fait partie intégrale de cette nature qu’il aime par-dessus tout. Si nous le suivons spontanément, c’est également pour son intérêt aux gens qui l’entourent, qu’il les connaisse depuis peu ou de longue date. Il aime les beaux lieux, les beaux mots et les belles rencontres. On le sent chez lui dans le village de Riez où il connaît tout le monde, notamment  le couple de libraires qui fait réellement partie de ses amis les plus chers. 

Si le roman comporte une partie autobiographique, on est loin de celles qui tournent en boucle sur leur auteur et son histoire privée à peine romancée. A la manière des peintres impressionnistes et pointillistes, René Frégni distille deci-delà des détails infimes de son parcours sur une trame romanesque dont certains personnages lui sont proches. Il sait rester à sa place, se contente de contempler et décrire les lieux qui l'entourent et de mettre en scène des personnages hauts en couleurs, comme cet Indien qu’il a surnommé OK Dinghy, qui fait toutes sortes de travaux dans le monastère, et dont la vie est une succession d’aventures en tous genres. Il nous en dit :
“Brusquement, un type qui tombe de la lune et me raconte les moindres détails de sa vie… Intelligent, le bonhomme, vif, il sait tout faire de ses dix doigts, parle un francais simple, lumineux. Quelle vie ! Marin exceptionnel, évadé, aventuriers…. Étonnant personnage de roman”. Qui sait, un personnage pour lui peut-être… Et j’ai bien l’impression que c’est ainsi  depuis qu’il écrit si j’en crois ce que j’ai lu sur Internet à propos de ses précédents romans.

Des sujets plus généraux sont abordés l’air de rien : la suspicion quasiment “naturelle” envers les Gitans,  premiers soupçonnés en cas de forfait, l'anéantissement progressif de la planète par ceux qui l’habitent en l’exploitent sans la respecter, la difficulté pour un romancier de se remettre à écrire après une sortie livresque. L’angoisse de la page blanche que le narrateur tente de combattre en éparpillant un ou plusieurs mots dans un carnet jusqu’à ce que les mots deviennent des phrases signifiant quelque chose. La réflexion sur le travail d’écriture est intéressante et là aussi l’auteur partage ce qu’il en sait dans des ateliers d’écriture.

Et, plus fort encore peut-être que le sentiment de l’amour entre Aline et Pascal, celui de l’amitié – pas si souvent évoqué d’aussi belle manière que l’amour dans les romans – fait ici des prodiges et détourne l’intrigue policière vers un dénouement que l’on peut trouver jubilatoire ou “abusif”. Invraisemblable, même pour certains. Qu’importe, comme dans les films de Pagnol, l’enquête n’est pas le plus important dans l’histoire. Ce qui l’est c’est tout le reste, et les sentiments en sont.

Je dirai pour finir que ce roman, premier – mais pas dernier – que je lis de René Frégni m’a permis de découvrir un auteur bienveillant, attentif à la nature humaine, animale et environnementale, plein d’humour et de dérision. Dernier arrêt avant l’automne est un roman qu’il fait bon lire, qui nous fait du bien. Attention, ne pas confondre qui fait du bien avec les “feel goods”, dont je ne citerai pas de titres par pudeur, qui fleurissent dans les rayons en compagnie des romans véritables. Un avis tout personnel bien sûr et qui n’engage que moi.

Alors, un coup de cœur ? Oui, un doux coup de cœur. Pour l'amitié, pour la poésie "naturelle" et pour la bienveillance de l'auteur-narrateur. Pour l'amour des livres aussi, mais ça... Quant à moi, je ne mérite rien pour avoir découvert René Frégni aussi tard.
A quoi ça sert de lire : à pouvoir citer sans être taxée de ringardisme le vieux proverbe populaire : "mieux vaut tard que jamais" !

DES MOTS, DES BEAUX MOTS, DES MOTS DOUX

Une conscience certaine de la gravité de l’état de la planète et de la responsabilité humaine :
“Je savais qu'au-delà de ces bois le monde était en flammes, attisé chaque jour par l'avidité des hommes, leur insatiable voracité. Ils n'en avaient jamais assez. Pour voir passer à leurs pieds des fleuves d'argent, ils détruisaient tout, les êtres vivants, les forêts, les océans, les rivières et les nuages, ils saccageaient les entrailles de la terre, souillaient le ciel.Toujours inassouvis, aux aguets, jaloux, affûtant nuit et jour les milles ruses de leur égoïsme”.

Plus loin dans les pages :
“J'ai travaillé jusqu'à ce que le soleil disparaisse. Le ciel était soudain comme la gorge des pigeons. Le verre jouait avec le violet, le bleu avec le gris. Comme les plumes de cet oiseau, des roses extraordinaires glissaient, flambaient, s'éteignaient, allumaient d'autres gris sous le ventre des nuages, embrasaient d'un coup la crête noire de forêts immenses.
J'avais grimpé au cœur d'un arbre et je regardais, ébloui, la féerie du monde. Qui aurait pu se douter, face à tant de beauté, à l'intelligence si parfaite de toutes ces couleurs, à cette explosion de vie, que nous avions rendu en quelques années cette planète malade ? Il y a cent mille ans, des hommes avaient regardé comme moi, peut-être perchés dans les arbres, ce spectacle grandiose. Étions-nous trop prétentieux, trop bêtes, pour dédaigner ainsi cette beauté, pour la saccager ?”

Et sur la crise des Gilets Jaunes, une position claire, nette et imagée :
“Un Mai 68 de ceux qui n'ont rien dit depuis 100 ans et regardent chaque soir les mêmes je-sais-tout qui pérorent à la télé depuis un siècle. La haine des Invisibles, face à une élite de naissance. Les ténèbres de la campagne, face aux lumières et à la suffisance du château... Les uns font le tour de la Lune, les autres le tour du rond-point”.

Tant pour l'écriture que pour la lecture, les livres sont au centre de l’histoire. René Frégni fait une déclaration d’amour aux livres et aux mots qui les composent, mais il a bien conscience qu’il ne suffit pas d’aimer les mots pour devenir écrivain. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Il nous dit :
“C'est impressionnant ! Un roman, on ne sait jamais d'où ça sort, il suffit d'une émotion, du bruit d'un mot, la lumière d'une vallée entrevue de la fenêtre d'un train.” 

Et plus loin :
“Tout n'était pas perdu, les plus beaux chemins qui souffraient encore vers le rêve était bien dans l'écriture, sous la beauté mystérieuse des mots, la puissance de leur simplicité. N'était-ce pas ce que j'étais venu chercher ici, la splendeur des forêts et le silence de l'écriture”.

Puis son ami Pascal, lui aussi passionné de lecture, nous dit sur sa vocation de librairie :
Il n'y a que les livres qui me passionnent. Mon rêve serait de monter une librairie aussi grande que le Bleuet, ici, à Riez, avec Aline. Je suis persuadé qu'on va y arriver ! Ouverture 365 jours par an, des livres partout, plus un seul journal ! J'ouvre à 9 heures et je ne parle que de ce que j'aime, le suspense, les voyages, l'aventure... les mots”.

Je vous conseille d'aller voir les photos de tous les lieux cités dans ce roman, y compris la librairie et les libraires, sous serez servis et comprendrez l'amour de l'auteur pour cet environnement naturel et humain...

La maison de la presse librairie Jaubert a Riez.
Dernier arrêt avant l'automne ⇜ René Frégni 3

Enfin, pour le plaisir, une jolie description, parmi bien d'autres :
“Les soirs n'ont jamais été aussi beaux. Le soleil embrase tous les nuages derrière la maison de l'évêque, et un vin rose et violet s'étale et ruisselle dans les trois de vallées du Colostre, allume le clocher de Puimoisson et inonde d'un sirop de plus en plus rouge et noir un plateau de lavande qui va se jeter dans la Durance”.

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