SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Les femmes du North End ⇜ Katherena Vermette - Katherena Vermette portrait - BouQuivore.fr

Katherena Vermette,  d’origine amérindienne, poétesse et auteure pour la jeunesse, est peu connue en France. Pour le moment. Mais c’est bien provisoire. Ce premier roman Les femmes du North End est sorti au Québec en 2016 sous le titre original The Break, puis dans une traduction française de Mélissa Verreault aux Éditions Québec Amérique, Collection Latitudes. Et aujourd’hui dans cette  prestigieuse collection Terres d’Amérique d’Albin Michel, traduit par Hélène Fournier. Katherena Vermette ne s’arrêtera pas là, elle continuera à défendre ce qui reste de son peuple et de sa culture, en particulier les femmes autochtones, piliers de leurs familles.
Katherena Vermette, qui donne ici une voix (multiple) aux femmes d’une famille autochtone fait une entrée brillante dans le monde romanesque et figure déjà parmi les jeunes écrivaines canadiennes les plus prometteuses.

L’histoire se déroule de nos jours au Canada, dans La Brèche, terrain vague d’un quartier démuni de Winnipeg où vivent essentiellement les autochtones – les Amérindiens – dans des conditions précaires. C’est ça ou la réserve en quelque sorte. Pour le paysage, un sol boueux et sale et des pylônes électriques que les enfants surnomment “les robots”. Le chômage des hommes est la norme et les jeunes, déscolarisés, eux aussi sans emploi, sont livrés à eux-mêmes. Tous ou presque s’adonnent très tôt à l’alcool, aux drogues et forcément au recel et à la vente. Et à une violence qui va souvent jusqu’à l’extrême. Ils sont regroupés en gangs identifiables à la couleur de leurs vêtements, le noir ou le rouge. Et cela concerne les filles comme les garçons  aujourd’hui : elles entrent dans le gang en acceptant “simplement de coucher”.

Les femmes du North End ⇜ Katherena Vermette - Pylones Winnipeg Free Press - BouQuivore.fr
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C’est là que vit Stella avec son mari et ses deux enfants : Mattie, cinq ans et son frère, Adam, encore aux bras. Elle a du mal à assumer les deux enfants en bas âge et manque cruellement de sommeil.

Une nuit d’hiver, elle voit de la fenêtre, par la chambre où elle allaite son bébé ce qui lui semble être une agression sexuelle. Elle hésite à sortir pour la victime mais ne se voit pas laisser ses deux petits seuls, son mari travaillant de nuit… La mort dans l’âme, elle culpabilise le soir même. Elle appelle les secours mais quand ils arrivent, il n’y a ni agresseurs ni agressée…

Lorsque les policiers (Christie, proche de la retraite et fatigué de travailler, et Tommy (jeune métis davantage motivé mais sans plus) viennent l’interroger le matin, elle est dans la confusion la plus totale. D’autant que son mari, rentré avant qu’ils ne partent, semble ne la croire qu’à moitié et mettre ça sur le compte de la fatigue et du “passé qui est le sien”.

Peu de temps après pourtant, l’agression est avérée, la victime identifiée et hospitalisée. Il s’agit d’un viol sur mineure : Emmy, 13 ans, petite cousine de Stella – qui ne le saura que bien plus tard et s’en voudra davantage encore  de ne pas l’avoir aidée. L’enquête commence pour de bon et Tommy, peu satisfait de leur investigation, ne croit plus comme son chef qu’il s’agit d’un banal règlement de comptes entre gangs. La famille d’Emily, essentiellement constituée de femmes parentes et amies, se relaie à l’hôpital auprès d’elle et de son amie Zegwan, 14 ans, retrouvée dans sa chambre le lendemain par son beau-père, agressée et blessée elle aussi, non violée

Tour à tour, dans des chapitres qui portent leur prénom, neuf femmes et un homme, Tommy, vont prendre la parole. Les femmes forment une famille liée par des sentiments puissants. L’une d’elles s’exprimera, toujours à la première personne mais présente sous deux formes différentes :  l’esprit d’une disparue non nommée mais dont il est facile de comprendre qui elle est (les chapitres sont en caractères italiques), et la personne « réelle » de Flora, la Kookoo, l’aïeule, qui vient à la fin (en caractères romains cette fois) tirer sa révérence devant nos yeux ébahis et remplis de larmes, dans un dénouement pour moi inoubliable.

La construction complexe, tenant de la gageure, est parfaitement maîtrisée. Le déroulement et la chronologie de l’histoire sont abordés de manière désordonnée par les personnages et, pour les relier et nous aider à comprendre à la fois les événements et les personnages, des fragments de passé, parfois longs, viennent consteller le présent de chacun. Petit à petit l’histoire de toute la famille-tribu se reconstitue sous nos yeux. Pourtant, si le passé explique le présent  (les actions commises et ce qui en découle), il ne justifie en rien la violence de certains personnages…
Le suspense est bien présent dans le cheminement et la résolution de l’intrigue,  d’autant que les événements qui nous exposés sont « inconcevables » et que  l’auteur des faits est… désigné. Les femmes évoluent dans leurs relations, notamment Stella qui, en remontant dans le passé, ”ces bribes d’histoires qui racontent une vie”, passe de la culpabilisation à l’envie de retrouver les femmes de sa famille, en composant avec ce qui est advenu et reste inchangeable. La résolution de l’énigme en surprendra plus d’un et pas seulement parmi les lecteurs…

Pour ce qui est du style à proprement parler, avec dix voix différentes, plus les personnages secondaires, et sans intervention de l’auteure en tant que narratrice, il n’est pas évident de s’y retrouver et de relier les personnes, d’autant que certaines femmes ne portent pas un prénom forcément féminin : Lou, Paul… Pas de panique : Katherena Vermette a placé un arbre généalogique en ouverture et s’y reporter facilite grandement la lecture.
Les femmes du North End est particulièrement bien écrit et tout aussi bien traduit par Hélène Fournier, qui travaille beaucoup pour la collection de Francis Geffard et dont j’ai pu apprécier le talent à de nombreuses reprises. Elle restitue toujours dans ses traductions non pas tout ce qui est factuel, c’est la moindre des choses, mais le ressenti et les sentiments propres à chacun des personnages. Dans leurs moindres détails et d’une plume respectueuse. Au point de me demander parfois, tout en connaissant la réponse, si Les femmes du North End n’avait pas été écrit en français.

Autre caractéristique de l’écriture : l’auteure (et là aussi sa traductrice) réussissent avec bonheur à changer de langage en  changeant de personnage. Ainsi trouvons-nous des paroles quasiment ordurières avec une écriture orale parfois brutale  chez quelques jeunes et une langue élégante, sensible, une sorte de poésie spirituelle pour d’autres femmes, notamment celles qui ne sont plus sur terre… Cette alternance stylistique nous permet de différencier les narrateurs et de considérer leurs comportements et “motivations” à l’aune de leurs paroles. C’est du grand art, véritablement…

Mon regard sur le livre. Je l’ai lu il y a bien deux mois. La tranche était bariolée de post-it de couleur. Je l’ai volontairement laissé “reposer” pour voir si mon enthousiasme allait s’affaiblir. Habituellement, avant de chroniquer un roman, je me « contente » de le reparcourir en m’arrêtant sur les signets. Dans le cas présent, j’ai commencé de cette même façon pour finalement me replonger dans l’histoire de la première à la dernière page. Et il se pourrait bien que je le relise une troisième fois quand je serai en manque de grande littérature. 

La raison majeure est la teneur de l’histoire, d’une grande noirceur et triste à pleurer, mais éclairée par l’espoir infini de son dénouement. Et par les femmes qui l’habitent dont je parlerai après avoir évoqué les  nombreux thèmes véhiculés, tous récurrents dans la littérature amérindienne contemporaine (je pense à Louise Erdrich, Richard Wagamese et tant d’autres). Parmi eux, l’omniprésence de l’alcool et des drogues, pour toutes les générations d’Amérindiens, chez les hommes et chez les femmes. Cadeaux des Blancs à leur arrivée, avec les armes et les maladies… Sans oublier les conditions de vie précaires dans les réserves mais aussi dans les villes, où les quartiers aisés leur sont interdits, surtout pour les femmes malmenées, qui se voient maltraitées par les hommes en général et par ceux qui sont devenus siècle après siècle “les” Américains. Ce mélange de noirceur et d’espérance est fréquent dans la littérature nord-américaine et canadienne, les autochtones étant particulièrement résilients.

Autre sujet d’importance :  le respect ancestral des Amérindiens pour leurs “vieux”, qu’ils appellent toujours “les anciens”, dont ils s’occupent jusqu’à leur fin. Le personnage essentiel, Flora, vit à deux étages de sa fille après avoir vécu des années avec sa petite-fille Stella, après la mort de la mère de celle-ci. Pas un ancien n’est laissé sur la touche par sa famille, aujourd’hui encore, et plusieurs générations cohabitent souvent sous le même toit ou, si cela n’est pas possible dans le même quartier. Les fêtes ancestrales sont intergénérationnelles, y compris les danses et les rituels des loges de sudation.

Dans la culture amérindienne, le passage à la vieillesse ne se fait pas d’un seul coup. Avant d’être des vieux, les anciens sont des “sages” et c’est l’expérience de leur vie tout entière qui leur a apporté cette sagesse. 

Après la vieillesse, tout naturellement les anciens s’acheminent vers la fin de vie. En réalité leur fin de vie sur la terre car la mort, chez les Indiens, n’est pas la cessation définitive de la vie. L’idée de la mort comme un passage vers une vie meilleure est dans l’esprit de tous les personnages Les femmes et les hommes “envolés” vers leurs aïeux (nous Occidentaux parlerions de « fantômes’‘) sont vivants. Si leur corps a lâché, leur esprit s’est envolé et ils continuent de  »vivre” auprès de leurs familles. Les fantômes parlent aux vivants et ceux-ci leur répondent. De vrais dialogues ont lieu et si les fantômes ne sont pas faits de chair et de sang, ils se manifestent sous une forme ou une autre pour rendre visite à leurs familles. Ce qui donne lieu à des scènes d’une grande poésie dans certains romans, notamment ceux de Louise Erdrich, dont Katherena Vermette semble être la petite sœur.

En cela la fin du roman est d’une beauté sidérante. Le chapitre 28 (qui se lit plusieurs fois) vous mouillera forcément les yeux. Le départ de Kookoo pour le ciel (je ne dévoile rien, nous le savons depuis le début) est décrit comme un véritable envol et pourrait presque nous faire changer d’idée sur la mort et la peur qui l’entoure, la trouver belle, entre rêve de départ, voyage réel et grandes retrouvailles. Le voyage de Kookoo, devenue Flora pour la grande occasion, courant sur plusieurs pages est en soi un  bonheur absolu de lecture et l’une des plus belles fins romanesques qu’il m’ait été donné de lire jusqu’à présent, pour ne pas dire la plus belle, car elle apporte l’espoir à toute une famille de femmes qui avaient failli l’abandonner. Nous comprenons clairement que c’est l’esprit de Flora qui nous parle (et nous a toujours parlé dans les pages à la première personne), la seule femme du clan à ne pas avoir été quittée par son homme, Charlie, qu’elle a quitté, elle.

Tout ceci m’amène à penser à la vie après la mort, à laquelle tentent de se raccrocher toutes les religions. Et à la “simple croyance” (non religieuse) indienne. J’ai rarement lu, encore moins vu un croyant catholique (ou musulman) mort revenu voir ses proches autrement qu’à l’occasion de souvenirs bien précis. Alors que les fantômes “vivants” pullulent dans les pages de la littérature amérindienne et dans la vie réelle des Indiens d’Amérique. Peut-être cela tient-il au fait que les rituels funéraires indiens consistent à mettre les corps le plus haut possible, au faîte d’un arbre par exemple afin que l’esprit du mort rejoigne au plus vite les vivants… et les morts. Bigre, on doit bien s’amuser là-haut.
On entend souvent l’expression pépite littéraire. Eh bien, rien que pour son dénouement, Les femmes du North End en est une. Qui nous réchauffe l’âme et le cœur, tout comme il réchauffe l’âme et le cœur de tous les Indiens de l’histoire. On entend fréquemment dire : “Partir c’est mourir un peu’’… Ici non, c’est même tout le contraire : “Partir c’est voyager beaucoup”. Accéder à une sorte de vie éternelle en transcendant les lieux… et le temps. Le contraire de la mort au sens médical et chrétien du terme.

Je suis la première à ne pas penser qu’il faille toujours “respecter les traditions”. J’avoue pourtant que celles qui ont du bon méritent d’être perpétuées de génération en génération. Entre autres celles des autochtones, toutes basées sur les mêmes notions. Et je rêve encore et toujours d’aller dans la belle librairie « Écorce de bouleau” de Louise Erdrich, d’y boire des tisanes d’herbes ancestrales accompagnées de pain bannick (appelé ici le pain bannock, également apprécié des femmes dans le roman) tout chaud. Qui sait, j’y rencontrerais peut-être Katherena Vermette en train de converser avec Margaret Atwood !

Comment les populations blanches ont-elles pu exterminer celles-ci qui, à l’instar des peuplades africaines ne sont qu’amour, solidarité et partage ? S’il a dépossédé (de tout) les peuples de couleur, l’homme blanc n’a rien pu faire pour leurs âmes et leurs mœurs. Elles sont toujours vivaces. Aujourd’hui encore, malgré la colonisation et tout ce qu’elle a engendré, malgré la vie dans les  réserves ou les quartiers défavorisés, un sens de la famille suraigu, une résilience à presque toute épreuve et une solidarité sans faille animent toujours  les populations autochtones.

Mais Les femmes du North End est avant tout une histoire de femmes, intergénérationnelle (quatre générations s’y côtoient), écrite par une femme et pour les femmes. C’est un hommage aux femmes autochtones, véritables piliers de leurs familles, une ode à leur courage indéfectible. La plupart exercent des métiers “humains” (assistante sociale, aide-soignante…). A elles seules, elles forment une tribu. Une tribu dont la valeur première est la solidarité. Une femme de la famille est agressée et tous les membres de la tribu sont à l’hôpital à ses côtés.
Les hommes, peu présents, n’ont pas la part belle. Ils sont en général sans travail, s’adonnent à la boisson, répugnent à dire les chose, et violentent leurs femmes et leurs enfants comme l’ont fait les hommes de leur famille. Pourtant certains, dont le jeune policier Tommy, sont effacés et respectueux des femmes pour leur force, leur solidarité et leur résilience.

Stella, Cheryl, Paul et les autres sont toutes des femmes attachantes, Flora (Kookoo) en tête, d’une humanité est prégnante : simples mais intuitives, aimantes et aimées, elles sont ce que nous aimerions l’être. L’une d’elles, Cheryl, est peintre et les sujets de ses peintures sont… “les femmes-louves”, les femmes fortes de son entourage qui toutes se ressemblent, en des portraits-patchworks assemblant photos, dessins et peintures. Le loup est très présent dans la littérature amérindienne contemporaine, pour son symbole de force et de solidarité, sa vie en meute.
Nous lisons : “Les loups nous apprennent l’humilité. Ils nous apprennent que nous sommes tous dans le même bateau, que nous faisons partie d’un grand tout. Si quelque chose arrive à l’un d’entre eux, la meute entière le ressent. Cheryl expire à fond, son souffle est chaud, puis elle inspire la douleur d’Emily et lui offre en échange toute la force dont elle dispose”.

Aucune femme en particulier ne prend la vedette sur les autres même si Kookoo, l’ancêtre de la première génération est de fait le personnage principal car placée tout en haut de l’arbre généalogique. Intuitive comme ses descendantes, elle sait si sa petite-fille Stella va bien ou mal rien qu’à “sa façon de dire “allo”  au téléphone”. Toutes ont un rôle important dans la tribu, et dans l’histoire.

Voilà. Rien que des bonnes raisons de lire Les femmes du North End, coup de cœur absolu en ce qui me concerne, qui vous bouleversera, vous transportera à la fois dans un univers sombre, glauque, dans lequel évoluent des créatures malfaisantes et leurs victimes si jeunes, et dans l’intimité d’une famille – presque uniquement féminine  – comme on en connaît peu ou pas du tout. Ne pas le lire serait passer à côté de quelque chose de grand, à côté d’un peuple qui considère que l’homme appartient à la terre et non l’inverse… Un grand, très grand premier roman.

ALORS, A QUOI CA SERT DE LIRE : Ici, à conserver sur sa table de chevet ce genre de roman afin d’avoir toujours sous la main le chapitre 28 en cas de doute, de nostalgie, de lassitude. Ou d’insomnie.

DES EXTRAITS, DIFFICILES À CHOISIR
TANT LEURS MOTS ET LEUR SENS SONT EXCEPTIONNELS

Une réflexion, sensée et profonde sur la vie, la différence entre les faits et leur ressenti. Dans l’esprit de Flora. L’ancienne, la sage :
A la fin, tout ce qui compte, c’est ce qui est. Je pense beaucoup à ces choses ces derniers temps. Sans doute parce que je suis vieille, fatiguée, et que je m’ennuie. Je pense à ma vie et à celle de mes filles. Je pense à mon corps, à mon cœur, à mon âme et à mon esprit, et à tout ce qu’ils ont enduré. Mais à la fin, rien de tout cela ne compte. Seul compte ce qui est, ce que nous savons. Cependant il y a un secret. Un nouveau secret. Que Stella et Cheryl gardent précieusement. Elles me cachent quelque chose. Comme si j’étais une enfant. Comme si je ne savais pas. Ca les rassure de croire qu’elles me protègent et donc je les laisse faire. Cheryl et moi avons agi de la même façon quand ma Lorraine est partie – nous avons entouré Stella et les autres, mais surtout Stella. Nous voulions la protéger. Ça nous aidait de la protéger même si pour elle ça ne changeait rien. Ta mère n’était plus là. Il y avait ce vide en elle. Et d’une certaine façon, elle savait tout, parce que les détails ne comptent pas. Seul comptait le fait que sa mère n’était plus là. Je ne le savais pas à l’époque. À l’époque, j’avais bien trop mal et la colère me submergeait. J’avais mal pour moi et pour ma famille car nous étions obligés de vivre sans Rain. (…) Ce n’est que ça qui compte. Seul compte le fait qu’elle n’est plus là”.

D’autres mots de Flora pour décrire le seul amour de sa vie : “Je me rappelle tellement bien Charlie que je sens sa présence. Son doux parfum, ses cheveux gominés qu’il plaquait en arrière, son sourire plus vaste que le ciel. J’aime encore Charlie parfois. Mais je suis contente de l’avoir quitté. Il fallait que je le fasse”.

Le départ de Flora se fait dans la douceur, son envol dure un chapitre et une journée entiers, Flora est parfaitement consciente, elle le savoure sachant ce qu’il signifie concrètement, l’appréciant et l’acceptant.
Elle nous confie son avis sur ce qui est arrivé :
“A la fin tout ce qui compte c’est ce qui a été donné. Un monstre a fait du mal à Émilie. Je ne sais pas qui c’était, c’est un autre monstre dans une autre personne. Il y en a toujours un autre. L’important, c’est que ma petite Émilie aille bien. Elle va avancer et devenir une femme extraordinaire. Je le sais. Elle est forte. Il ne peut pas en être autrement. La chose qui compte c’est qu’elle guérisse. Et comme elle est vivante, elle guérira”.

Il est intéressant de voir que plus Flora avance vers la mort, vers le grand départ, Emilie, sa petite-fille chérie abîmée avance vers la vie, et c’est tout ce qui compte pour elle.
Elle part tout en faisant une sorte d’inventaire de sa vie de couple et de famille… De ses rapports privilégiés avec ses enfants et ses petits-enfants. Elle prend son temps, elle sait que le jour est arrivé, mais c’est elle qui tient les commandes, comme si elle allait appuyer sur le bouton au moment de son choix. Une sorte d’auto-euthanasie…
Comment ne pas admirer ces femmes soudées à la vie à la mort ? Comment ne pas avoir envie de leur ressembler ?

D’autres mots de Flora, toujours d’une grande sagesse. Aujourd’hui encore, ses mots résonnent en nous et nous donnent à réfléchir. Ainsi son avis sur les hommes, dans ce dialogue avec Stella :
“ – Ils sont tous comme ça. Ce n’est pas le rôle de comprendre.
– Je ne sais pas si je peux vivre avec quelqu’un qui ne me comprend pas.
– Dans ce cas, tu te retrouveras seule et tout se passera bien.
– Il (l’homme) a d’autres rôles à jouer, il n’a pas à comprendre, pas de la façon dont tu veux qu’il comprenne. Il comprend à sa façon à lui
– Je crois que je vais reprendre des études, m’annonce-t-elle, car elle devine mes pensées. Je crois que j’en ai envie.
– Très bien je lui dis et je suis sincère, c’est ce qu’il te faut.
– Je ne sais pas. Elle soupire. Parfois je me dis que c’est une connerie.
– Tu n’as pas encore trouvé ton but dans la vie, quand tu l’auras trouvé tu ne parleras plus de conneries mais de passion”.

« (…) À la fin, tout ce qui compte, c’est ce que nous laissons. Le temps passe si vite. Oui oui.« 

Juste après, ce sont les pages 414 et 415, que je vous laisse découvrir. Qui n’aimerait pas partir ainsi ?

Une réponse

  1. J’ai lu ce livre absolument sublime avec humilité et admiration devant tant de résilience.
    Le récit de l’envol de Kookom, grand-mère imprégnée de traditions et de sagesse, vers le grand voyage est bouleversant et me rappelle ce que disait Jean d’Ormesson :
    « Il y a quelque chose de plus fort que la mort c’est la présence des absents, dans la mémoire des vivants. »

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