Atiq Rahimi est romancier et réalisateur (il adapte entre autres ses romans au cinéma). Né en 1962 à Kaboul, il a obtenu l’asile politique en France en 1984. Il a la double nationalité française et afghane. Il a reçu le prix Goncourt en 2008 pour son roman Pierre de patience.
Le roman est à la fois brillant et noir. Tant par sa superbe écriture (comment est-il possible d’écrire aussi bien dans une langue qui n’est pas sa langue d’origine ? Ceci dit, il étudiait déjà le français à Kaboul, ses professeurs devaient être bons !) que par ses personnages que l’on n’est pas près d’oublier.
Une écriture hautement poétique (la poésie étant occidentale, afghane et hindouiste) et chargée de symbolisme. Celui de l’eau, dans la grotte, puisée indéfiniment par le pauvre homme harassé, par exemple.
A souligner l’unité de temps dans cette histoire : Destruction des deux Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan le 11 mars 2001… par les talibans, un acte qui a ému le monde entier. C’est cette journée que l’auteur a choisie pour faire vivre le drame de ses deux personnages principaux :
Yûsef, simple porteur d’eau dans la ville de Kaboul qui se meurt de sécheresse. Il vit dans une grande précarité matérielle… et une grande pauvreté psychologique. Il n’a aucune vie sexuelle et ne sait pas nommer ses sentiments. On sent le poids de son outre chargée d’eau sur son dos ; on craint de le voir tomber à chaque pas sans espoir de se relever. Notre empathie pour lui est grande. Les talibans sont là, en filigrane comme une menace suspendue qui peut passer à exécution d’un moment à l’autre.
« Sous la lumière fade et froide de la lune, le porteur d’eau avance, fantôme fatigué, traînant dans une brume laiteuse. Tout lui pèse, sa canne de roseau comme son outre vide ; même la poussière de la ville, la fumée des maisons ; mais aussi ses mots gelés en lui ; ses doutes, son désespoir, jusqu’à son souffle qui à peine expiré devient une nuée glaciale qui s’accroche à sa barbe. »
Tom (Tamim : il a occidentalisé son prénom), un exilé afghan, depuis vingt-cinq ans, parfaitement intégré à la vie européenne. Il est commercial pour un système de reproduction sérigraphique d’œuvres d’art, ce qui lui vaut de naviguer entre Paris et Amsterdam… et l’arrange pour ses relations adultérines. Il bénéficie donc d’une une vie matérielle à l’abri des soucis, il apprécie et déguste les grands crus français, et contrairement à Yûsef il a une vie sexuelle épanouie, cela grâce à l’influence du monde occidental.
« Lui qui a tant voulu vivre autrement, ailleurs, dans une autre langue, dans un autre temps, sans lien avec ses racines, le voilà planté dans une étrange forêt verte et bleue, comme un vieil arbre coupé, dépouillé, mais dont la souche reste quoi qu’il fasse, enterrée dans le sol d’origine. »
Les chapitres alternant ces deux principaux personnages, on a hâte de les retrouver l’un et l’autre.
Autour d’eux gravitent des personnages féminins très beaux. Yûsef n’a d’yeux que pour Shirine, sa belle-sœur dont il se sent responsable en l’absence de son frère ; elle incarne la sensualité, l’érotisme, l’envoûtement, pour un homme totalement ignorant en ce domaine. Shirine est elle-même fortement influencée par un vendeur hindou, Lâla Bahâri. Bien plus qu’un commerçant, il initie ces deux-là (et nous par la même occasion) à la bienveillance et à l’épanouissement par la sensualité dans cette religion. Toute la tolérance de celle-ci face à son contraire incarné par les talibans.
Près de Tom : sa femme afghane, Rina épousée dans la tradition, intelligente, lucide, aimante… et Nuria, cette très jeune femme si mystérieuse, insaisissable, pour laquelle il veut quitter la première. Tom, qui navigue aisément entre ses deux vies parmi les écueils du mensonge, a peut-être trouvé son maître en la matière !
Au début, on voit Tom et Yûsef se lever… une vie quotidienne presque tranquille. Peu à peu, de précisions en révélations l’aspect dramatique se dévoile comme au théâtre, le crescendo final de part et d’autre est totalement maîtrisé (la fin concernant le porteur d’eau part dans une envolée onirique assez surprenante dans laquelle on retrouve la forme du conte) et nous laisse moulus comme après une tempête, un naufrage.
Si comme moi vous vous demandez quelles sont les convictions religieuses de l’auteur, après cette apologie du bouddhisme à la fin du roman : « Je suis bouddhiste parce que j’ai conscience de ma faiblesse, je suis chrétien parce que j’avoue ma faiblesse, je suis juif parce que je me moque de ma faiblesse, je suis musulman parce que je condamne ma faiblesse, je suis athée si Dieu est tout puissant. » (Wikipédia)… voilà une citation qui ne nous éclaire pas vraiment.