Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Celui qui veille ⇜ Louise Erdrich

LES CINQ PREMIERES LIGNES « Thomas saisit la bouteille thermos calée sous son bras et la posa sur le bureau en acier, à côté de sa mallette éraflée. Sa veste de travail atterrit sur la chaise, et sa gamelle sur le rebord glacé de la fenêtre. Lorsqu’il retira sa casquette matelassée, une pomme sauvage tomba du rabat cache-oreille. Un cadeau de Fee, sa fille. Il plaça le fruit sur le bureau pour le contempler, avant d’insérer sa fiche dans la pointeuse. Minuit. ».
EN DEUX MOTS Ce livre est un miracle, son autrice une fée. L’amour des gens, de son peuple et ses traditions, de sa famille. L’amour des mots qui font de ses romans de longs poèmes en prose. Louise Erdrich, c’est de l’amour en pages.
Sorti en janvier 2022 chez Albin Michel, Collection Terres d’Amérique. Traduit de l’anglais (américain) par Sarah Gurcel (Titre original : The Night Watchman) Roman. 543 pages.
Louise Erdrich portrait
Celui qui veille ⇜ Louise Erdrich 7

LaRose, L’enfant de la prochaine aurore, Le jeu des ombres, Dans le silence du vent, La chorale des maîtres bouchers, Le pique-nique des orphelins, Ce qui a dévoré nos cœurs, La malédiction des colombes… c’est tout cela Louise Erdrich, et bien davantage. D’origine ojibwé par sa mère et germano-américaine par son père, elle a grandi dans une réserve indienne, celle de Turtle Mountain, dans le Dakota du Nord et y a localisé l’histoire de tous ses romans. Son œuvre est imprégnée de son amour du peuple et de la culture ojibwé, dont elle a toujours voulu honorer les ancêtres et faire entendre la voix.
L’œuvre de Louise Erdrich a été récompensée par de nombreux prix littéraires. Elle est aujourd’hui reconnue comme l’une des plus grandes écrivaines américaines contemporaines et appartient au mouvement de la Renaissance amérindienne, quel espoir ! Celui qui veille a reçu aux USA le Prix Pulitzer 2021, l’un des prix les plus prestigieux au monde. Ni plus ni moins !

L’histoire est en grande partie (auto)biographique, le personnage principal, Thomas Wazhashk, veilleur de nuit de l’usine de pierres d’horlogerie, étant le grand-père de Louise Erdrich. Elle se déroule en 1953, sur deux tableaux dans le Dakota du Nord : à Turtle Mountain et à Minneapolis.
Le premier « suspense », sociétal, concerne tous les Amérindiens. Le veilleur apprend que le gouvernement fédéral des Etats-Unis, 461 ans après l’arrivée de Christophe Colomb, décrète une loi qui stipule notamment :
« réallocation des propriétés fédérales acquises
qu’un terme puisse être mis à… ces Indiens… au vu de la conséquente inutilité de ces derniers
procéder à la vente de ces terres et allouer les sommes ainsi acquises »…
Des mots « signifiant » ou faisant semblant de signifier dans l’esprit du rapporteur de la loi :
« La proposition stipule, une bonne fois pour toutes, qu’il n’y aura plus de services apportés aux Indiens pour les gens de Turtle Mountain. Vous serez désormais les égaux des Blancs aux yeux du gouvernement ».
De quoi cauchemarder éveillé quand on sait lire entre les lignes comme Thomas. Le premier moment de stupeur passé, celui-ci décide de jouer le tout pour le tout : aller jusqu’à Washington pour tenter d’empêcher le projet de loi d’aboutir au Sénat. Pour cela, il lui faut du temps, de l’aide et surtout des moyens. Le temps, il le prend sur ses congés. L’aide il la trouvera en convaincant le maximum de ses proches, dans tous les coins même les plus reculés de la réserve, de l’accompagner en délégation à Washington pour défendre leur cause. Pour les moyens, le peuple amérindien des réserves, uni et solidaire dans la vie au quotidien, le devient plus encore dans l’adversité et, entre les manifestations caritatives (matches de boxe et repas d’associations notamment) et les démarches de chacun au fin fond de la réserve pour distribuer affichettes et listes de revendications, les idées fusent pour trouver l’argent nécessaire pour se déplacer tous ensemble.

Réussiront-ils dans cette tâche difficile, au résultat vital pour le peuple amérindien ? Je vous laisse le soin de le découvrir.

L’autre tableau, totalement romanesque lui, concerne la nièce de Thomas, Patrice-Pixie Paranteau, dont la sœur Vera a disparu peu après son mariage et son installation à Minneapolis. Patrice travaille aussi à l’usine de pièces de bijouterie, de jour, elle. Très courtisée, elle ne s’en laisse pas conter par les hommes qui l’entourent, l’alcoolisme de son père la rendant méfiante. Elle part, seule, pour Minneapolis afin de retrouver Vera, dont elle a appris entretemps qu’elle était enceinte. A peine arrivée, elle trouve un emploi (très « original » !) dans un restaurant-bar de la ville et se lance à la recherche de Vera.
Cette partie de l’histoire en change le rythme, un suspense d’un autre ordre nous embarque.
Et je n’en dirai pas davantage, juste que Patrice se met elle-même en danger pour retrouver sa sœur et que le suspense « romanesque » tient ses promesses.

Dans la forme comme dans le fond, les romans de Louise Erdrich – tous ceux que j’ai dévorés avant et depuis Bouquivore – furent d’absolus bonheurs de lecture. Presque tous polyphoniques, leur écriture est foisonnante, le rythme varie en fonction des péripéties. Ici, un double suspense s’installe dans le premier tiers du roman.
Louise Erdrich a un grand talent de « nature writer » : ses descriptions, courtes et belles, surgissent alors qu’on ne les attend pas et leur emphase est fonction du personnage qui dépeint ce qu’il a devant les yeux, comme les dialogues, tout aussi riches et variés, pour lesquels la traductrice Sarah Gurcel a fait des merveilles : il fallait rendre à la fois les échanges entre les personnages, ceux avec les morts (et leurs esprits) qu’ils fréquentent et leurs propres dédoublements dans des soliloques à deux voix... Le travail n’a assurément pas été facile.
Louise Erdrich est férue de botanique, elle connaît les plantes et leurs bienfaits. A l’instar d’autres auteurs amérindiens (au hasard Richard Wagamese, Philipp Meyer et combien d’autres depuis le grand Jim), elle les appelle par leur petit nom et nous les présente avec empathie. Les Indiens se soignaient exclusivement par les plantes, simples ou en mélange, et dans sa librairie Louise Erdrich propose aussi – à déguster ou à emporter – des tisanes fabriquées avec différentes herbes et fleurs. J’ai noté le cynorrhodon, églantine sauvage, conseillé pour renforcer les défenses immunitaires et alléger les douleurs de l’arthrose.
Enfin, malgré la gravité du propos, l’humour n’est jamais absent, au contraire, dans la narration d’un match de boxe désopilant notamment.

Mon regard sur le livre. Comment parler d’un tel roman ? Comment ne pas le trahir, comment évoquer les personnages, les sentiments et les faits enfermés dans les pages ? L’empathie de leur autrice… Comment ne pas rêver d’avoir été Indien (ne) dans une autre vie ? Comment ne pas pleurer devant ce que « nos » Anciens ont fait aux « leurs » ? Comment réparer l’irréparable ? En essayant.

En 1953, les Européens d’Amérique estimaient qu’ils pouvaient/devaient aller plus loin dans le « traitement » des Indiens. Autrement dit mener le génocide amérindien à son terme plus de quatre siècles après l’arrivée de Christophe Colomb – cinq révolus à présent – « rendre » enfin et définitivement le continent américain à ceux qui l’ont découvert, conquis, colonisé, civilisé, en un mot spolié. L’époque on la connaît : celle des belles Caravelles dépêchées par les monarques blancs, avec les nobles explorateurs aux commandes, pour explorer le vaste monde et (très éventuellement) en rapporter des richesses ; les méthodes un peu plus à mesure que l’histoire se (ré)écrit, ou s’écrit purement et simplement. Toutes plus dures les unes que les autres, elles sont allées au fil des siècles de la tentative de prétendue « civilisation » via la christianisation d’un peuple de sauvages à l’élaboration de lois pour le moins scélérates censées en finir avec ces problèmes que sont les Indiens.

Des standards et des récurrences

Il y a de nombreux standards dans les romans de Louise Erdrich. Au premier rang, l’amour de son peuple, qui va de pair avec la réhabilitation des racines et de la culture amérindiennes. Dans chacun, un ou plusieurs personnages nous font vibrer d’émotion ou/et d’admiration. Ici Thomas, vieil Indien dont le nom de famille bien porté – Wazhashk signifie le rat musqué est déterminé à aller jusqu’au bout de ses idées pour faire valoir la cause de son peuple. Et Patrice-Pixie, sa nièce, elle aussi porteuse des valeurs amérindiennes et en même temps décidée à être reconnue en tant que femme. Louise Erdrich est très concernée par la condition des femmes, notamment les violences qui leur sont faites.

Patrice et Thomas portent l’essentiel de l’action, du suspense et de l’histoire. En les accompagnant dans leur cheminement de pensée, nous comprenons les sentiments qui les guident.
L’auteure chérit ses personnages et bichonne leur profil psychologique. Tous sont extrêmement attachants, bouleversants pour certains, y compris la famille et les amis proches des « héros », dont certains nous mouillent abondamment les yeux. C’est peut-être grâce à la force, la sincérité et la pérennité des sentiments qu’ils expriment que les personnages nous agrippent et ne nous lâchent plus, même le livre refermé.

Cette profondeur des sentiments chez les Indiens dépasse la filiation par le sang. Les enfants sont aimés, parfois élevés par d'autres membres de la famille que leurs géniteurs. Ici un jeune boxeur tombe amoureux fou du nouveau-né sans père d'une lointaine cousine. Et cet amour devient très vite réciproque. Le bébé est amoureux.
Un autre détail récurrent : dans chacune de ses histoires, un personnage (masculin ou féminin) se prénomme Rose ou LaRose et tous ces Rose et LaRose ont un don particulier.
Ceux-là et bien d'autres, ­ici majoritairement Thomas, Patrice et sa mère Zhaanat possèdent des dons spéciaux (surnaturels ?), cette dernière ayant même celui de shaman. Zhaanat « sent » (ou plutôt ressent) les choses que les autres ne voient pas. Non comme des rêves mais comme des scènes de vie, des « scénarios vivaces », et la plupart des scènes qu’elle voit surviennent ou sont arrivées par le passé. Des prémonitions, dirions-nous.
Un autre de ces dons consiste à quitter son corps par la pensée, comme le fait Patrice de temps à autre. Et Thomas bien plus souvent, qui dialogue sereinement et sciemment avec les morts et leurs esprits. Le respect et le souvenir des morts est lui aussi culturel chez les Amérindiens ; ils ne prennent pas la forme de fantômes en robe blanche, mais d’oiseaux ou juste de lumières qui viennent visiter leurs proches en maintes occasions, joyeuses ou dramatiques.

Peuple solidaire s’il en est, le sens de la famille des Indiens est inouï alors qu’il est plutôt rare dans les sociétés européennes, les « civilisés » où règne souvent le chacun pour soi
D’où les vieux rites funéraires indiens « à l’ancienne », comme nous en parle ici le père de Thomas, Biboon :
« Biboon disait que son propre père se souvenait d’un temps où les morts étaient soigneusement enveloppés dans de l’écorce de bouleau puis suspendus haut dans un arbre. Ça semblait préférable. On y était mangé par les corbeaux et les vautours plutôt que par les vers. Le corps volait dans le ciel plutôt que d’être livré aux minuscules créatures souterraines ».
Ce mode de funérailles fut d'ailleurs l’un des thèmes essentiels du merveilleux roman de Richard Wagamese Les étoiles s’éteignent à l’aube, raconté dans un passage particulièrement bouleversant.
Les Amérindiens morts ne le sont pas au sens strict du terme : seul leur corps n’est plus. Loin de n’être devenue qu’un souvenir, leur âme a migré tout entière dans l’esprit des personnes disparues. Pour les vivants ces esprits sont toujours là, ils vivent juste « de l’autre côté » et communiquent, en toutes circonstances avec leurs proches. Ainsi lisons-nous :
« Thomas avait des amis de l’autre côté. De plus en plus d’amis. Trop. Parfois il leur parlait. Il leur parlait, oui. Et pourquoi pas ? C’était réconfortant de penser qu’ils étaient partis vivre dans un autre pays. Sur l’autre rive d’un fleuve qu’on ne traversait qu’une fois ».

une philosophie de la vie

Ce respect des morts suppose (et entraîne) des relations sentimentales entre les êtres plus fortes et plus durables que dans d’autres populations. Les sentiments sont omniprésents, les liens familiaux et amicaux d’une solidité à toute épreuve.
Un exemple : l’amour vrai, celui qui dure une vie et s’écrit avec un grand « A ». Celui de Moses pour son épouse disparue :
« Son épouse lui manquait. C’était une petite femme au sourire impertinent, gentille et ordonnée. Ils se connaissaient depuis l’enfance et n’avaient jamais été séparés. Jamais aussi longtemps. Moses avait emporté avec lui une écharpe rouge qu’elle s’était tricotée et qu’il tenait contre son visage en dormant, même dans le train. Leurs enfants les surnommaient « les tourtereaux à l’ancienne » parce que leur amour était ainsi – à l’ancienne. Ils se tenaient la main. S’embrassaient. S’appelaient « niinimoshehn ». Bonjour, mon petit cœur, lui disait-il tous les matins. L’idée qu’il puisse arriver quelque chose à sa femme en son absence le terrifiait ».

Je pense que les Indiens d’hier et le peu qu’il en reste aujourd’hui ont, en guise de croyance religieuse une simple philosophie de la vie. Leur véritable Dieu c’est la nature, qu’ils vénèrent dans toutes ses formes : un bison qui les nourrit et les habille, des herbes et des arbres qui les soignent, une pluie qui arrose leurs cultures et un soleil qui les éclaire toute l’année et les chauffe en hiver. Même hostile par grand froid ou grosses chaleurs, ils s’adaptent à elle comme à leur source de vie.
Amusante est la version donnée ici de l’origine du monde (elle varie de personne en personne, de tribu en tribu, mais reste toujours une belle légende, liée à la nature, sur laquelle va se baser la « religion » de la tribu.

rat musque
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Pour les ojibwés, selon Biboon, l’origine du monde serait liée à celle du Créateur tirant la terre tout entière de l’une des pattes minuscules d’un rat musqué, le Whazhashk. Pas vraiment scientifique mais attendrissante et belle, et mieux qu’un big bang ou un dieu chrétien sorti d’on ne sait où…

Enfin, un détail qui a son importance pour ces peuplades opprimées depuis cinq siècles : l’importance du sport pour être reconnu, devenir quelqu’un aux yeux des autres et aux siens propres en Amérique quand on n’est pas totalement blanc de peau. Devenir quelqu’un, c’est le thème majeur que l’on retrouve dans le roman éponyme de Willy Vlautin (Albin Michel, Collection Terres d’Amérique, 2021) avec le choix de la boxe comme dans celui-ci. Le hockey sur glace ayant été le sport de prédilection du héros de Richard Wagamese Jeu blanc (Editions Zoé, 2017). Des romans que je vous conseille vivement si vous avez la chance de ne pas les avoir lus…

Déchirement des cœurs, malaise dans les familles, exaltation de tous les sentiments, beautés de la nature, empathie de l’auteure pour ses personnages et son peuple tout entier, histoire des premières colonisations, richesse et variété des dialogues… rien ne manque pour provoquer les larmes, le rire, la compréhension et l’indignation. L’empathie, la nôtre donc, là aussi. De page en page le plaisir dure jusqu’à la sensation réelle d’éblouissement littéraire.

Au plan sociétal, Louise Erdrich est un peu pour son peuple ce que Toni Morrison fut aux Noirs américains. Les Amérindiens n’ont pas été mieux traités que ces derniers aux USA et ce n’est que depuis 1978 qu’ils ont le droit de pratiquer leur religion en public, notamment ! Elle s’évertue à perpétuer les coutumes ancestrales afin qu’elles ne soient jamais tout à fait abandonnées, toujours gardées en mémoire et évoquées. Pour que les Amérindiens continuent d’exister, tout simplement. Une vraie belle et bonne personne.

Je dirai pour finir que Celui qui veille est au moins aussi beau que tous les autres romans de son autrice. Si beau et si « romanesque » que l’on finirait par croire lire une fiction, alors que c’est une histoire vraie. Un livre grave sur un peuple en perdition mais toujours digne. Une vraie merveille. Lire Louise Erdrich ne comporte en fait qu’un seul risque : celui de devoir refermer le livre après le point final.

Enfin je trouve que ce roman demande une suite. La réponse du Sénat. Même si nous savons que les conditions de vie actuelles des Amérindiens sont de plus en plus dures et leur pré carré de plus en plus exigu, subi d'un côté, assumé de l'autre, ça mérite d'être écrit.

ALORS, A QUOI CA SERT DE LIRE ?
Ici, à rêver grands sentiments, grands espaces et bonnes personnes. A réfléchir longuement sur les conditions de vie actuelles de populations oubliées car décimées par nos ancêtres. Et à éprouver la sensation terrible et merveilleuse d’être une fois encore « orpheline » de lecture !


Une librairie vraiment pas comme les autres. Louise Erdrich vit à Minneapolis où elle a ouvert une librairie qu’elle a baptisée « Ecorce de bouleau » en indien car l’écorce de bouleau était pour les Indiens comme le papyrus pour les Egyptiens , dans laquelle elle vend des tisanes concoctées selon les recettes de ses ancêtres, des bijoux et des objets artisanaux. Un de mes rêves (non, un vœu pieux !) : m'y rendre en camping-car, visiter le Dakota du Nord, et passer des après-midi entiers à siroter de la tisane de cynorrhodon histoire de renforcer mes défenses immunitaires si utiles en ces temps "covidiens" et en dégustant du pain bannique (dont je vous joins la recette, très facile à faire) couvert de miel fait maison. Assise dans un confortable fauteuil crapaud ou en arpentant les allées remplies de livres qui me feront regretter âprement d'avoir pris espagnol première langue ! Les photos présentes dans le lien ci-dessous vos donneront forcément l'envie de m'y rejoindre (ou de m'y accompagner !)
birchbarkbooks.com

Ecorce de bouleau exterieur
Photo: birchbarkbooks.com
Librairie ecorde de bouleau 2
Photo: Garrio Harrison
Librairie ecorce de bouleau
Photo: Jenn Ackerman for The New York Times

RECETTE DU PAIN BANNIQUE AUTOCHTONE, toujours présent à tous les repas

Il vous faut :
- 300 g de farine, si possible complète
- 10 g de sel fin (une belle pincée)
- 40 g (3 cuillères à soupe) de sucre en poudre
- 1 sachet de levure chimique et une cuillère à café rase de bicarbonate pour une meilleure levée (facultatif)
- de l’eau en quantité variable selon la farine
- de l’huile de cuisson

Préparation :
- Mettre les ingrédients secs dans un bol et les mélanger bien.
- Ajouter l’eau en tournant au fur et à mesure et pétrir jusqu’à obtenir une boule de pâte élastique.
- Fractionner la pate si besoin (en fonction de la taille de la poêle) ou de l’épaisseur souhaitée
- Mettre à cuire, un côté après l’autre, dans l’huile chaude.

Il ne reste plus qu’à le déguster seul ou en accompagnement en pensant aux Indiens (qui les cuisaient la pâte enroulée sur un bâton au-dessus d’un feu).
Vous pouvez y ajouter des herbes pour une version salée ou des fruits secs pour une version sucrée.
Voici la version Cathy la SL. Le pain bannique un soir de fête à la place des blinis : un délice culinaire et littéraire de l'avis de toute ma tablée.

pain bannique
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DES MOTS BEAUX, TRES BEAUX.
A lire lentement et pourquoi pas à voix haute, en pensant à l’autrice ET à sa traductrice !


« Sa route longeait les marécages, et l’air frais sentait la pluie en train de sécher. Les massettes à larges feuilles ressemblaient à des gourdins bruns tandis que les roseaux étaient encore droits et verts. Le vent ébouriffait l’eau du lac en vagues bleu nuit dont la dentelle d’écume venait laper le rivage. Le soleil brillait entre des nuages noirs galopants ».

Un peu plus loin, c’est l’osmose avec la nature, que l’on retrouve tout aussi vive dans Starlight de Richard Wagamese (Editions Zoé, 2019) : « Elle était presque arrivée quand les nuages s’épaissirent jusqu’à former une dalle sombre. On n’entendait que le tambourin de la pluie sur les feuilles luisantes. Il y avait là comme une présence, avec elle, autour d’elle, tourbillonnante et bouillonnante d’énergie. Les arbres étreignaient la terre avec tant d’intimité. Quel délice d’en faire partie intégrante. Elle ferma les yeux et se sentit appelée ».

« Oh, mais que les couleurs étaient belles, les ors et les jaunes des bois, les ocres, les touches d’orange, de pourpre, de vert et cet autre vert, toutes ces nuances de vert sur lesquelles ressortaient les trouées et gerbes flamboyantes qui se déversaient sur leurs cheveux, leurs épaules, leurs corps en marche ».


DES MOTS DURS ET SOMBRES POUR RELATER L’HISTOIRE DES AMERINDIENS SUR… CINQ SIECLES !

Une réflexion de Thomas :
« Alors on en est là, se dit Thomas en fixant la froide succession des phrases de la proposition de loi. On a survécu à la variole, à la carabine à répétition, à la mitrailleuse Hotchkiss et à la tuberculose. A la grippe de 1918 et à quatre ou cinq guerres meurtrières sur le sol américain. Et c’est à une série de mots ternes que l’on va finalement succomber. Réallocation, intensification, "termination", assurer, et cetera ». J'en passe forcément, mais comment ne pas en omettre, comme le massacre des bisons pour affamer les Indiens…

Et plus loin : « Leur objectif incroyable… Incroyable parce que l’impensable était rédigé dans un langage sobre et parfaitement inoffensif. Incroyable aussi, parce que cet objectif, au final, était de défaire, de revenir sur la reconnaissance officielle. D’effacer en tant qu’Indiens lui-même, Biboon (son père), Rose, ses enfants, son peuple : nous rendre tous invisibles, comme si nous n’avions jamais été ici, de tous temps, ici »

« Thomas appartenait à la génération d’après le bison, celle des qui-sommes-nous désormais. Il était né sur la réserve, avait grandi sur la réserve et tenait pour acquit qu’il mourrait sur la réserve. (…) Sa génération devait se définir. Qui était indien ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qui, qui, qui ? Et comment ? Comment leur identité pouvait-elle dépendre d’un pays qui, les ayant vaincus, essayait par tous les moyens de les absorber ? Ce pays continuait parfois à manifester sa haine frontalement, certes, mais, le plus souvent maintenant, ça passait par un déversement de grands sentiments glorieux. Guerres ? Citoyennetés. Drapeaux ? Cette loi de termination, Arthur V. Aktins (le sénateur qui la présente) était convaincu que c’était pour le mieux. Qu’elle les élèverait. Qu’elle leur ouvrirait même les portes du Paradis ? Comment les Indiens pouvaient-ils rester sur leur quant-à-soi quand il arrivait aux vainqueurs de leur tendre les bras pour les écraser contre leur cœur avec quelque chose qui ressemblait à de l’amour ? »
Plus durs (peut-être), des propos d’un autre Indien, lors d’une réunion :
« Relocalisation pacifique de ces Indiens ».
« Ces Indiens. Ces Indiens que nous sommes, prononça lentement Louis Pipestone d’une voix de plomb. Ces Indiens qu’on peut gaspiller au combat. Le sergent a fait signe à mon fils d’avancer. Il est parti seul. Prendre la température ».

Une autre réplique de Thomas à un Blanc, Barnes, sur l’identité indienne :
- « Nous, nous sommes d’ici. Réfléchissez. Si nous, les Indiens, nous avions levé l’ancre, vogué là-bas, tué la plupart des Européens et pris votre terre, hein ? Imaginons que vous ayez une grande ferme en Angleterre. Qu’on s’y installe et qu’on vous en chasse. Qu’est-ce que vous diriez, alors ?
- Je dirais qu’on était là les premiers.
- D’accord, dit Thomas. Imaginons qu’on s’en fiche. Comme vous avec survécu à tout le bazar, on vous autorise à garder un petit lopin et à y vivre, mais à condition que vous adoptiez notre langue et nos mœurs. Ajoutons que nous sommes des Indiens à l’ancienne. Vous devez donc devenir un Indien à l’ancienne et parler le Chippewa.
- Je ne le pourrais pas, dit Barnes.
- C’est normal, reprit Thomas, et ça tombe bien, personne ne vous le demande. Eh bien moi non plus je ne peux pas devenir un homme blanc. C’est comme ça. Je peux parler anglais, planter des pommes de terre, tenir une liasse de billets, acheter une voiture, mais même si ma peau était blanche, je ne serais pas un Blanc pour autant. Et je ne veux pas renoncer à mon lopin de terre. C’est chez moi. Je l’aime ».

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