SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Le Protocole Sigma ⇜ Robert Ludnum

Sorti en poche en 2005 au Livre de Poche, après une sortie chez Grasset en 2002. Traduit de l’anglais (américain) par Fleurianne Vidal (titre original : The Sigma Protocol). 917 pages. Thriller historico-politico-science-fictionnel.

L’auteur (1927-2001), je n’ai pas besoin de le présenter. Je dirai seulement qu’outre ses fonctions de comédien et de scénariste, il est à l’origine d’une vingtaine de romans, tous énormes par leur pagination, leur succès et leurs ventes pharamineuses. Sans parler des prix obtenus et des adaptations cinématographiques, toutes des succès internationaux…


Mon avis sur le livre. Une fois n’est pas coutume, je commence la chronique par mon avis, vous allez vite comprendre en continuant…
Il ne faut jamais dire jamais. Il ne faut jamais dire « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau… ». Car il est clairement sous-entendu : si l’on a soif et rien à boire que l’eau de la fontaine susnommée, on boira celle-ci, avec volupté et reconnaissance.

En matière de lecture, j’ai vérifié ces deux proverbes qui n’en font qu’un. Moi, lire un Robert Ludnum ? Que nenni ! Je me suis déjà laissée avoir avec le premier tome de la trilogie Le Siècle de Ken Follet et j’ai enchaîné sur le second. L’honneur est sauf, j’ai éludé le troisième !

Mais, car il y a forcément un mais puisque cette « chronique » existe, quand, en villégiature deux semaines chez des amis je me suis retrouvée coincée, avec un orteil gelé et un autre se préparant à la même chose, dans un appartement, à trois kilomètres au moins de la librairie la plus proche, et juste un Carrefour Market minuscule en face de l’immeuble (avec ascenseur, certes, mais bon), j’ai dû rester les pieds au chaud quelques jours. Quand ces amis, qui rentraient à vingt heures, ne lisaient QUE des thrillers historico-politico-scientifico-fictionnels mâtinés d’espionnite… J’ai craqué. Debout devant les étagères, j ai pris le premier venu, les yeux fermés au hasard d’am-stram-gram. Et… sur le plus épais je suis tombée ! Dépitée, mais sûre que je m’en lasserai très vite, surtout si je voulais épargner mes doigts… de main, j’en attaquai la lecture.

Les choses se passent rarement comme on les prévoit. Pour certaines personnes c’est même une habitude. Enervée, je tournais les pages en cherchant la petite bête : le héros qui se plaint et qui commente ses propres faits et gestes, les incohérences, les accumulations de coups de poing, les allers et retours dans tous les sens du globe et les explications politiques et scientifiques compliquées… tout ça en version plus, plus, plus. Et je me sermonnais : « Tu as déjà vu un Jason Bourne (La mort dans la peau, le premier des trois films tirés de romans de Ludnum) ; tu n’aimes ni l’espionnage, ni la science ou politique-fiction, tu as déjà lu cent fois des histoires de jumeaux avec dépossession et usurpation d’identité de l’un par l’autre… tu as des dizaines de livres en retard, appelle ton mari qu’il t’en envoie un, commandes-en-un mais pas sur Amazon).

Finalement, comme je ne pouvais pas taper des pieds comme une sale gosse à cause de mes sales pieds, je me suis installée confortablement, avec un coussin pour m’aider à supporter le poids du livre (vous n’avez jamais reçu un livre sur le nez, vous, en lisant allongé ? Moi si, Et il n’a pas aimé, mon nez, d’autant que j’y avais chaussé mes lunettes !).

Et voilà que d’un coup d’un seul mon cerveau s’illumine : le test de la page 9, c’est ça qu’il faut que je fasse (ou la 100, ou la 111 selon les lecteurs) ! Il paraît que si cette page plait au lecteur, il mènera la lecture à son terme. La méthode a été expérimentée à différentes reprises et déclarée fiable. Je pense aussi à la rubrique « Tombés des mains » de Bouquivore, qui n’est pas assez remplie et qui pourrait bien profiter de l’aubaine… Maintenant, pour un livre de près du millier de pages, mieux vaut peut-être se fier à la page 200 voire plus. Quoiqu’il en soit, quand j’ai regardé en bas de la page que je lisais, j’ai lu 241. Trop tard pour le test. Et tant mieux pour moi car je n’ai pas regretté un instant d’avoir, consciemment ou non, choisi le Protocole Sigma.

Exit les blagues à deux balles et les raisons-conditions de ma lecture qui n’ont pour but que de me « déculpabiliser » du bon temps que j’ai pris avec ces presque mille pages bourrées de qualités, au premier rang desquelles figure la facilité « pratique » de lecture : pas besoin de tourner les pages, elles se tournent toutes seules et, vu le poids du livre c’est tant mieux pour nos petites mains…

Globalement, Le Protocole Sigma a énormément de qualités. S’il fait la part belle au suspense et à l’action, la partie enquête n’est pas négligée loin de là. Le mystère reste entier jusqu’au bout, les rebondissements nous tiennent en haleine. Robert Ludnum, en véritable marionnettiste, dirige ses personnages dans les replis les plus sombres innombrables de l’histoire et les amène tous sans exception à leur destination finale. C’est du grand art compte tenu de la complexité et de la longueur du roman.

Je crois même que si l’on devait se « contenter » d’énumérer les sujets abordés ici, on pourrait y passer pas mal de temps et noircir des pages et des pages. La plupart sont historico-politiques et recouvrent plusieurs décennies de l’histoire mondiale, mais concernent également les évolutions technologiques (transports, industries de tout poil, le début du nucléaire et le calcul binaire…). Nul doute que l’auteur a dû être effectuer de monumentales recherches avant la rédaction proprement dite du roman. Au hasard et sans commentaire :
. Une analyse pas forcément banale de la gémellité.
. Des trafics juteux de personnes haut placées (avocats et financiers) : « ces escrocs s’étaient enrichis aux dépens des survivants de l’Holocauste désireux de récupérer leur patrimoine familial ».
. La collusion entre de gros industriels européens et américains avec les nazis (sujet exclusif du Prix Goncourt 2017 : L’ordre du jour, d’Eric Vuillard qui n’évoque que les Allemands). L’auteur va  plus loin quand il écrit : « Après la guerre, les dirigeants allemands ont été condamnés, certains d’entre eux du moins. Mais on n’a jamais ouvert d’enquête sur la citadelle imprenable des industriels de l’Axe. Ceux-là n’ont jamais été inquiétés »…
. L’or suisse et ses origines sales et douteuses, le rôle de la Suisse dans l’évasion fiscale des anciens nazis.
. Le rôle, aussi, de l’Amérique latine, principalement de l’Argentine qui fut longtemps l’Eldorado des anciens nazis et de leur descendants, vivants à l’époque de l’histoire, au début des années 2000 et aujourd’hui encore pour quelques-uns…
. Les expériences médicales immondes pratiquées par Joseph Mengele et d’autres « médecins » sur les prisonniers juifs, notamment les enfants.
. La guerre froide et ses magouilles entre Staline et Roosevelt.

Enfin, je dois l’avouer : je n’aime pas du tout l’espionnage et n’y comprends pas grand-chose, pour ne pas dire rien quand les agents sont doubles. Cependant, dans Le Protocole Sigma, le sujet qui m’a le plus intéressée est celui des services secrets. La puissance de la CIA et, avant elle, l’OSS, son rôle actif prépondérant dans la géopolitique et les finances mondiales. Et, plus encore, si comme c’est le cas ici tous les services secrets (communistes à l’Est avec la Stasi, capitalistes en Occident avec l’OSS puis la CIA aux USA et le MI5 en Angleterre) signent des accords et des alliances secrets et se regroupent pour former une organisation internationale des plus riches et des plus puissants consortiums mondiaux, se couvrant mutuellement pour les pires atrocités commises, alors oui, le mal est partout et le monde est en grand danger.

Pour toutes ces raisons, et même si j’ai relevé des longueurs et des invraisemblances, même si à cause de l’accent mis sur l’action je n’ose le mettre dans la rubrique Coups de cœur, je vous dis allez-y, foncez, lisez ; c’est historique, plausible souvent, agréable à lire et abouti… Bref, c’est jouissif !

Maintenant, si vous avez atteint ces lignes, je vois dois un aperçu du début de l’histoire. Un aperçu seulement car elle est totalement impossible à résumer. Trop dense, trop longue, trop de personnages (en tout cas beaucoup), trop d’intrigues parallèles (mais utiles). Je dirai seulement qu’elle se déroule (au départ) à Zurich au tout début de notre siècle (le XXIème).
Ben Hartman, la trentaine jeune, vit dans cette ville. Son père, gros investisseur financier, a survécu aux camps de concentration allemands et fait fortune aux USA, où il a émigré après une tentative d’assassinat. Son frère jumeau, Peter, est mort quatre ans avant dans un accident d’avion et Ben ne s’en est pas remis.
Dans une scène d’action annonciatrice de tout ce qui va suivre, il échappe pour la première fois à une mort violente et assiste en s’enfuyant à un carnage dans une galerie commerciale provoqué par un tueur fou en qui il reconnaît… son meilleur ami Jimmy Cavanaugh qui est abattu par la police.
Et lorsque qu’après cette tentative d’assassinat il tombe nez à nez avec son jumeau qui meurt pour la seconde fois, sous ses yeux, non sans lui avoir révélé un terrible secret, il est en proie à une terrible confusion mêlée de peur et de curiosité. Et n’a plus qu’une idée en tête : la vengeance.

Quelques dizaines de pages plus loin, nous faisons la connaissance d’Anne Navarro, enquêtrice surdouée du gouvernement américain qui doit trouver les responsables de meurtres de personnes très âgées. Des morts qui semblent suspectes car tous les dossiers médicaux comportent la même mention : « Sigma ».

Les deux enquêtes vont forcément se télescoper assez vite. Et à partir de là, l’action et les lecteurs (je peux même dire les spectateurs tant le roman dans son intégralité est de facture cinématographique), se déplacent dans l’espace (un peu partout dans le monde) et dans le temps, entre la Seconde Guerre mondiale et la fin du XXème siècle. Avec un but pour les deux héros : découvrir la nature, le projet et le but véritables de l’organisation Sigma. Son emprise sur les grands de ce monde, y compris les gouvernements. Tout cela fait frémir et l’on va de mauvaise surprise en mauvaise surprise. Et vu la complexité, il faut vraiment s’accrocher pour arriver au bout. S’accrocher mais ne pas s’acharner car heureusement, un passage trop ardu abandonné ne nuit en rien à la compréhension globale de l’histoire et l’on finit toujours par s’y retrouver car les salauds le restent jusqu’au bout ; mais Robert Ludnum est sacrément doué, il faut bien le reconnaître.

Côté plume, sûr et certain, ce n’est pas du Franck Bouysse ou du Emmanuelle Pirotte. Du Richard Wagamese ou du Gaëlle Josse non plus. Mais ça tient la route et ça fonctionne à merveille. On ne s’ennuie pas une minute. Ce ne sont pas les descriptions ou les digressions en tout genre qui allongent la pagination, ce sont… les événements eux-mêmes, très nombreux et parfois redondants c’est vrai. Une action en entraîne une autre et l’on se demande comment les héros se remettent de leurs blessures…
Un reproche sur la forme : le héros, plutôt charismatique est je trouve un trop « habité » par son auteur, au début du moins et lire ses états d’âme à la troisième personne alors que l’on croirait que c’est le personnage et non l’auteur qui parle, m’a semblé curieux. Pas longtemps, prise comme je l’ai été dans l’emballement de l’action.

Un extrait, un seul, mais tellement explicite et vérifié plus que partiellement aujourd’hui : « La technologie n’a fait qu’encourager les pires folies. Le totalitarisme s’est largement servi de la communication de masse. Et L’Holocauste n’aurait jamais eu lieu sans les scientifiques. (…) Il a suffi d’un fou pour que l’Europe arrive au bord de l’anarchie. De l’autre côté du continent, une petite bande d’agitateurs avait transformé en poudrière l’empire de Pierre Le Grand. La colère des foules est le catalyseur des folies individuelles. Voilà ce que ce siècle nous a appris. (…°. Les séquelles de la guerre avaient creusé un vide terrible. Partout dans le monde, la société civile était plongée dans la plus grande confusion. La tâche revenait à un petit groupe d’hommes puissants et bien organisés d’imposer leur ordre. En gouvernant, mais de façon indirecte. Le pouvoir officiel serait manipulé à tous les niveaux mais cette manipulation resterait confidentielle, bien camouflée derrière les institutions. L’heure était venue du gouvernement des sages – un gouvernement exerçant dans la coulisse ». Brrrrrrr ! Tout ça fait froid dans le dos !

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