Paru en mai 2013 au Cherche-Midi. 285 pages. Roman.
L’auteur. Jim Fergus, un de mes auteurs préférés, est né d’un père américain et d’une mère française. Il a été journaliste avant de commencer à écrire des livres. J’ai lu et apprécié pour ne pas dire adoré Milles femmes blanches, sorte d’épopée de l’ouest américain absolument incroyable à tous points de vue, à lire absolument et surtout Marie-Blanche, magnifique saga familiale se déroulant sur un siècle et racontant l’histoire hors normes de sa grand-mère. Me reste La fille sauvage qui m’attend bien sagement.
L’histoire. Jim Fergus nous a habitués à de bien belles histoires, comportant de très beaux portraits de femmes. C’est un conteur hors pair qui trouve souvent ses sources d’inspiration dans l’histoire de sa propre famille. Ses livres comportent une belle part autographique autour de laquelle s’organise la narration. Dans Chrysis, Souvenir de l’amour, une fois encore l’histoire personnelle de l’auteur est à l’origine de l’histoire du livre.
Mari, la compagne de l’auteur est atteinte d’un cancer incurable et il l’emmène en Allemagne consulter un spécialiste avec l’espoir d’un nouveau traitement. Au cours de ce séjour en Europe, ils chinent chez un antiquaire niçois et tombent sur un tableau abîmé posé contre les pieds d’un vieux fauteuil. Il est signé Chrysis Jungbluth, peintre des années folles, et s’intitule Orgie. Mari est immédiatement séduite par ce tableau et l’atmosphère d’érotisme, de jeunesse et de liberté qui s’en dégage. Un peu plus tard, Jim Fergus le fait venir, le fait restaurer et le lui offre, ultime cadeau pour ce qui sera son ultime Noël. Celle-ci le lèguera à sa fille et Jim Fergus entamera, après la mort de sa compagne, des recherches sur ce tableau. C’est l’histoire à peine romancée de l’auteure du tableau et du tableau lui-même qui nous est racontée, même si Jim Fergus assure dans le prologue qu’il s’agit d’un roman. Et d’abord et avant tout l’histoire d’un amour fou.
Tout commence en 1916, en pleine première guerre mondiale, en Amérique (bien sûr !). Bogey, de son vrai nom Bogart Lambert, cow-boy âgé de 17 ans, romantique et amateur de boxe, quitte le ranch de ses parents dans le Colorado, avec son cheval (les chevaux sont des «personnages» récurrents dans l’œuvre de Jim Fergus) pour venir en France grossir les rangs de la Légion étrangère aux côtés des Alliés. Il ne tardera pas à devenir «le courrier cow-boy», sillonnant les tranchées sur Crazy Horse pour distribuer le courrier aux officiers et aux soldats sous les yeux ébahis des Allemands qui n’oseront pas le tuer de peur de se porter malheur, tant il est impressionnant filant sur son cheval, défiant balles et obus qui fusent de toutes parts. Il sautera pourtant sur un obus le 11 novembre 1918 et, d’abord laissé pour mort, nous apprendrons plus tard que le corps de son cheval adoré l’a sauvé. Vétéran à vingt ans, il ne se résoudra pas à quitter la France après sa longue convalescence et restera à Paris, traînant les bars en écrivant ses souvenirs de guerre dans des carnets intimes.
De son côté, Chrysis, de son vrai nom Gabrielle Jungbluth, d’origine bourgeoise conservatrice, quitte la Normandie pour s’inscrire à Paris dans une école de peinture avec l’ancien professeur de Georges Braque. Rebelle et passionnée, elle préfère à sa petite vie familiale ouatée mais trop étriquée la vie de bohème que mènent les artistes de son époque, les années 20, que l’on a nommées «folles». Elle quitte le cocon familial pour mener une vie émancipée dans le Montparnasse d’après-guerre, goûtant à tous les plaisirs et ne reculant devant aucune expérience, qu’elle soit intellectuelle ou sexuelle, ce qui pour l’époque, n’était pas conventionnel. C’est dans cet esprit de liberté totale qu’elle mettra en scène et peindra l’orgie (à laquelle ne participeront que des amis) représentée sur ce tableau.
Ces deux-là vont s’aimer. Au premier regard, à la première rencontre, même s’ils ne pourront se l’avouer que plus tard (presque aux deux tiers du livre). Et d’un amour absolu, indéfectible mais qui pourtant sera sacrifié, je n’en dis pas plus…
Le style. C’est du Jim Fergus. Formidable conteur, il est tout aussi brillant dans les descriptions de paysages (les scènes de guerre sont peu nombreuses mais intenses et bien rendues) que dans les portraits des personnages, domaine dans lequel l’auteur excelle, surtout dans ses portraits féminins. L’essentiel de l’histoire se déroulant à Paris, on sent cependant que Jim Fergus s’y est un peu senti à l’étroit, habitué qu’il est à nous parler du grand ouest américain dans ses précédents romans. Mais c’est bien histoire d’ergoter un peu.
Quand même, une —toute— petite faiblesse, ou plutôt de la maladresse dans la narration des scènes d’amour intime. C’est la première fois que je note cela chez Fergus. Cette façon qu’ont les amants de s’appeler à tout bout de champ ma chérie et mon amour sonne un peu creux, comme les scènes où ils font l’amour. Mais le sentiment amoureux, tout comme l’acte d’amour, n’est-il pas une des choses les plus difficiles à décrire ? Comment éviter la mièvrerie et/ou la vulgarité ? Mais on est loin de tout ça dans Chrysis… C’est juste que l’auteur n’a pas l’air d’être totalement à l’aise dans ces passages quand tout le reste coule de source.
Le livre est court et se lit d’une traite même en s’arrêtant pour savourer certains passages. Je suis un peu restée sur ma faim, j’aurais bien aimé être plus longtemps sous le charme de cette touchante histoire. Il est vrai que l’auteur nous a habitués à des paginations plus importantes. Mais il lui aura fallu beaucoup de recherches et surtout d’imagination pour parvenir à nous raconter une aussi belle histoire à partir d’un simple tableau. C’est tout le génie de Jim Fergus. Et cette «petite» pagination, en nous permettant de le lire d’une seule traite, nous embarque sans escale et sans répit dans l’aventure ; on y est, on y reste, un vrai bonheur.
En définitive, j’ai beaucoup aimé ce livre. Normal, j’adore son auteur et je ne suis peut-être pas à cent pour cent objective ! Jim Fergus a beaucoup de charisme, c’est un bonheur de l’entendre parler car il respire la générosité et l’amour des autres. Même s’il évoque sa famille et lui-même, il ne se met jamais en avant et n’utilise son histoire que comme un matériau littéraire.
Côté psychologie, les deux personnages principaux sont fouillés avec habileté et profondeur. J’ai une forte préférence pour le jeune cow-boy, surtout au début, et j’avoue qu’il m’a parfois émue aux larmes. A la fois fragile et fonceur, à la fois doux, sensible (j’ai pleuré avec lui la mort de son cheval bien-aimé) et violent (il répond coup pour coup si on le cherche), c’est un jeune homme que la guerre endurcira sans le corrompre et qui restera jusqu’au bout juste et bon. Le fils que bien des femmes auraient aimé avoir. Et serrer dans leurs bras.
Cependant, si je devais conseiller la lecture d’un Jim Fergus, un seul, je ne choisirais peut-être pas celui-là mais Marie-Blanche, plus proche de nous.
Et si je devais le noter sur 10, je lui mettrais 9 uniquement à cause de la maladresse dans les scènes d’amour.