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SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Dans les forêts de Sibérie ⇜ Sylvain Tesson

Dans les forêts de Sibérie ⇜ Sylvain Tesson - Dans les forêts de Sibérie - BouQuivore.fr

Sorti en septembre 2011 chez Gallimard, 269 pages, puis en plusieurs versions poche chez Folio (et d’autres éditeurs je crois bien). Essai/récit de voyage. Prix Médicis essai 2011. En 2016, un film de Safy Nebbou inspiré du livre de Sylvain Tesson est sorti, intitulé Dans les forêts de Sibérie.

Sylvain Tesson est un écrivain voyageur. Attiré par les pays froids, par l’altitude, le goût du risque, la marche. Il nous régale de ses récits d’aventures. Il s’était fait le pari de passer plusieurs mois, en ermite, dans une cabane, au bord du lac Baïkal avant ses quarante ans. Pari tenu ! C’est le récit de ce séjour sous forme de journal qu’il nous livre dans « Dans les forêts de Sibérie », paru en 2011 chez Gallimard (depuis également paru en livre de poche).
En octobre 2019 une nouvelle expérience : l’affût en compagnie d’un grand photographe animalier constitue une nouvelle expérience dans le domaine du contemplatif… Avec cette « Panthère des neiges » il remporte le prix Renaudot. N’allez surtout pas croire qu’il ne marche ni ne grimpe plus ! Rien ne peut arrêter très longtemps ce géographe bourlingueur.

J’ai trouvé intéressant de lire son livre d’ermite volontaire durant notre période de confinement forcé. Vous êtes confinés dans un appartement minuscule ? Offrez-vous les immensités de la Sibérie, en hiver tout d’abord : « Forêt d’hiver : fourrure d’argent jetée sur les épaules du relief. Les vagues de la végétation couvrent les pentes. Cette volonté des arbres de tout envahir. La forêt, houle lente. A chaque pli du relief, l’albumine des houppiers s’assombrit de traînées noires » (page 38).

Ou encore page 82 : « Je traverse des chaos de banquise. La neige a déposé une crème blanche au-dessus des tranches bleues. Je marche dans le gâteau d’un dieu boréal ».

Savourant au fil des pages ses impressions sur le temps qui passe, page 43 : « Moi qui sautais au cou de chaque seconde pour lui faire rendre gorge et en extraire tout le suc, j’apprends la contemplation. Le meilleur moyen pour se convertir au calme monastique est de s’y trouver contraint. S’asseoir devant la fenêtre le thé à la main, laisser infuser les heures, offrir au paysage de décliner ses nuances, ne plus penser à rien et soudain saisir l’idée qui passe, la jeter sur le carnet de notes. Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir » : sur la solitude (page 51) : « Jaillissent à mon esprit les visions de mes proches. Mystères des mécanismes spirituels, des visages sautent à la mémoire. La solitude est une patrie peuplée du souvenir des autres. Y penser console de l’absence. Les miens sont là, dans un repli de mémoire. Je les vois. »

Sylvain Tesson vit dans une cabane minuscule loin de tout. Alors vous allez me dire : que peut-il bien raconter ? TOUT, à commencer par la liste exhaustive de ce qu’il apporte : matériel, nourriture, livres. Dans cette situation coupée des autres ; ermite ou confiné la lecture est l’absolue priorité, l’évasion primordiale. Peu importe si nos lectures ne sont pas aussi intellectuelles que les siennes.

Dans les forêts de Sibérie ⇜ Sylvain Tesson - Sylvain Tesson - BouQuivore.fr

Sylvain Tesson

Dans les forêts de Sibérie est écrit sous forme de journal, il nous prouve sa richesse intérieure s’il en était besoin… Il y consigne ses éblouissements, ses découvertes, les pépites de petites rencontres insignifiantes. La visite d’une mésange le remplit de bonheur (page 53) : « La visite du petit animal m’enchante. Elle illumine l’après-midi. En quelques jours, j’ai réussi à me contenter d’un spectacle pareil. Prodigieux comme on se déshabitue vite du barnum de la vie humaine. (…) Et voilà que je reste gâteux devant l’oiseau. La vie de cabane est peut-être une régression. Mais s’il y avait progrès dans cette régression ? ».

Ses activités physiques sont nombreuses dans une nature sauvage. Longue marche en tirant une luge d’enfant sur la glace (130 km pour aller rendre visite à des copains !), marches avec raquettes dans la forêt, fendre le bois indispensable à son chauffage, puiser son eau pour sa consommation quotidienne dans la glace… y pêcher aussi des poissons pour améliorer son ordinaire. Pas besoin d’autorisation pour ses sorties… Il est seul. Unique interdiction puisqu’il est dans une réserve : la chasse, il n’en a d’ailleurs nulle envie, comme il nous dit page 193 : «Comment peut-on préférer mettre les oiseaux dans la mire d’un fusil plutôt que dans le verre d’une jumelle ?».

Son régime alimentaire, on s’en doute n’est pas des plus équilibrés ni des plus variés ; beaucoup de pâtes, de riz, céréales, du tabasco pour donner du goût, boîtes de fruits, miel, épices… une énorme quantité de thé pour faire glisser le tout et surtout de la vodka !!! Il se fait des blinis ! (Vous je ne sais pas… mais dans mon supermarché pas de farine de froment, le rayon est dévalisé…alors farine de blé noir ou rien. C’est décidé je vais préparer des blinis c’est nourrissant !).

Éparpillés à des dizaines de kilomètres Sylvain Tesson a des copains (souvent dans de petites stations météorologiques)… auxquels il rend parfois visite ; ou I’inverse : ils arrivent, entrent sans frapper (un peu rustres tout de même !!!), on mange ce qu’ils apportent… et on boit de la vodka ! Ils admirent la façon dont il entretient sa cabane : rester propre n’est pas leur grande priorité. Ils apportent aussi des nouvelles (pas toujours fraiches)… et bien sûr la chaleur humaine ; page 97 : «  …Immuablement, dans ces situations, les convives se renversent par terre, se couchent sur les coudes, les jambes croisées, la chapka en arrière. Parfois un feu jaillit, des produits surgissent des sacs, on ouvre une bouteille de vodka, les rires fusent, les verres se remplissent. On partage un pain, on tranche le reste d’un foie d’élan… La conversation s’anime, articulée autour de trois sujets : le temps qu’il fait, l’état de la piste, la valeur des moyens de transport. »

Puis c’est le printemps, pas le tiède de chez nous, non, le turbulent, le déchaîné, le libérateur qui fait fondre les tonnes de glace du lac. Deux chiots accompagnent l’ermite dans cette intense métamorphose.

Vous connaissez le « Sacre du printemps » d’Igor Stravinsky. Vous allez adorer celui de Sylvain Tesson. Cet homme a un œil de lynx : rien ne lui échappe… et il approfondit ses connaissances ornithologiques dans les guides Delachaux et Niestlé (il a réellement apporté une bibliothèque !).
Page 156 : « Le ciel est en charpie et le vent s’est levé. A travers les nuages, des rayons balaient la taïga de traînées fauves et y plaquent des empiècements d’or… Un aigle tournoie hors de portée. Le vent soulève des gerbes de paillettes. Elles deviennent poussière de pyrite quand elles croisent un rai de soleil. La forêt gronde sous les rafales. Les forces du printemps sont là. Je les sens, prêtes à l’attaque, n’osant pas encore la reconquête ». Et encore, page 173 : « Sur le bord de l’entaille menant à la chute d’eau, le printemps prépare le sacre. Des forces fragiles percent… Une ligne de mes empreintes a tenu sur un pan de neige. Un ours l’a suivie avant de redescendre vers la rivière. Les fourmis ruissellent sur le flanc de leurs cités d’aiguilles… ».

Reste la marche, mais arrive une nouvelle activité : le kayak. Sylvain Tesson slalome entre les blocs de glace, là un phoque se prélasse au soleil, ici des oies reprennent leur souffle.
Page 221 : « Le kayak : une navette de métier à tisser qui court sur la lisse des soieries baïkaliennes ».

Sylvain Tesson philosophe aussi bien sûr, comme à l’accoutumée et nous sert de magnifiques propos écolos en osmose avec ce sublime décor. Ainsi page 42 : « La vie dans les bois permet de régler sa dette. Nous respirons, mangeons des fruits, cueillons des fleurs, nous baignons dans l’eau de la rivière et puis un jour nous mourons sans payer l’addition à la planète. L’existence est une grivèlerie. L’idéal serait de traverser la vie tel un troll scandinave qui court la lande sans laisser de traces sur les bruyères ».

Je dois m’arrêter car je recopierais bien son livre en entier… J’espère seulement vous avoir convaincus de le lire ! Vous vous sentirez moins confinés, c’est sûr, dans le grand blanc ! Mais attention, enivrez-vous de paysages, pas de vodka ! Si toutes ses sublimes descriptions sont à savourer sans aucune modération, il n’est est pas de même pour le liquide transparent russe.

Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de vous permettre de continuer (ou reprendre) l’aventure en images. Voici un lien pour le film de Sylvain Tesson sur son séjour au bord du lac Baïkal.



2 Responses

  1. Nouvelliste, écrivain voyageur, aventurier, Sylvain Tesson nous offre à chaque fois dans ses ouvrages des leçons de sagesse toujours avec une pointe d’humour.

    Je n’ai pas lu ce livre mais j’ai vu le film « Les forêts de Sibérie », adapté au cinéma par Safy Nebbou en 2016, avec Raphael Personnaz, qui m’avait beaucoup plu.

    Effectivement, en cette période sidérante, où le confinement est de rigueur ou risque de devenir une nouvelle manière de vivre, je ne peux m’empêcher de rapprocher ce livre de l’actualité.

    L’expérience solitaire de Sylvain Tesson est très intéressante et particulièrement dans ce contexte, et je me demande si je ne préfère pas le « philosophe » à l’écrivain qui nous fait toujours voyager avec sa plume aussi magique.

    Une belle lecture en perspective !

  2. Merci Swallow bird pour cette belle chronique d’un confiné volontaire. Tu me donnes envie de relire cet hymne à la nature à l’écriture brillante que j’avais lu à sa sortie. Mais le temps passe et les souvenirs s’émoussent. Je crois que je vais lire La panthère des neiges et enchaîner en Sibérie, histoire de rester dans le blanc pour une fois !

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