Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

L'année du lion ⇜ Deon Meyer

Lannée du lion
L'année du lion ⇜ Deon Meyer 3

Sorti en 2017 aux Editions du Seuil. 640 pages. Version poche sortie chez Points en octobre 2018, 672 pages. Traduit de l’afrikaans et de l’anglais par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert (titre original : Koors). Roman noir postapocalyptique.

EN DEUX MOTS
Un roman post-apocalyptique construit comme un polar avec une enquête au long cours maîtrisée dans sa chronologie, une fin HAL-LU-CI- NAN-TE qui m’a laissée pantoise et un sujet pour le moins actuel : le coronavirus. On est loin de la science-fiction à laquelle les premières pages nous laissent supposer. Et une vraie question se pose à la dernière page : « Et si... ? 

Les cinq premières lignes, qui sont en même temps celles du début de l’histoire : « Je veux te raconter comment on a assassiné mon père. Je veux te raconter qui l’a tué et pourquoi. Car c’est l’histoire de ma vie. Et l’histoire de ta vie et de ton monde, tu verras. J’ai attendu longtemps avant de le faire parce que je crois qu’il faut de la sagesse, de la perspicacité. Et du recul. Je pense qu’il faut d’abord arriver à surmonter tout le mal, dominer ses sentiments ».

LA PHRASE du livre (elle est d’Albert Einstein mais reprise par une femme du conseil de la colonie, Birdie : « Einstein a dit : « Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine ; mais je ne suis pas sûr pour l’univers ». Maintenant, je sais ce qu’il voulait dire ».

Deon Meyer, l'auteur, fait sa première apparition sur Bouquivore. Elle est tardive. Ce n’est pas pour autant la dernière et je lui souhaite la bienvenue. Originaire d’Afrique du Sud, il écrit en afrikaans ; d’abord des articles comme journaliste local puis comme correspondant de presse et rédacteur publicitaire. À partir de 1994, il commence à publier des romans policiers rythmés et efficaces. Tous connaîtront le succès au point d’être des best-sellers traduits dans très nombreuses langues et d’obtenir pour certains des prix littéraires prestigieux. Il est enfin scénariste de télévision et de cinéma. Tous ses polars se déroulent en Afrique du Sud ; il y témoigne de sa grande diversité culturelle, climatique et de ses efforts constants pour accéder au développement économique et social vers lequel elle tend, tout en contrant le racisme. Deon Meyer est une des plus grandes voix de la littérature sud-africaine.

L’histoire est racontée par Nicolas Storm, 47 ans, qui revient sur la mort de son père assassiné trente ans plus tôt alors qu’il n’était encore qu’un adolescent de dix-sept ans. Il se concentre sur les quelque cinq années qui séparent la période post-pandémie et le meurtre de son père, sur lequel il veut faire enfin la lumière. Autant dire que l’histoire se déroule dans un futur très proche, à moins que ce ne soit aujourd’hui, en Afrique du Sud, dans un décor postapocalyptique certes, mais avec des régions et des villages en partie épargnés.
Un coronavirus venu d’Afrique a décimé plus de quatre-vingt-dix pour cent de la population mondiale. Un homme, Willem Storm et son jeune fils de douze ans, Nico, ont survécu au chaos et sont sur la route de l’exode. Cet exode a un but : Willem connaît un village abrité, situé à côté d’un barrage, difficile d’accès, dans lequel ils pourraient reconstruire une communauté. Intéressant : cette petite ville existe réellement. Il s’agit de Vanderkloof, sur le cours du fleuve Orange, et a été renommée Amanzi par l’auteur.

L’histoire commence véritablement près d’un an après « la Fièvre ». Quand nous rencontrons les deux hommes, épuisés par le trajet et ses dangers redoutables (hordes de chiens sauvages, mauvaises rencontres), ils arrêtent « leur » camion (trouvé sur une aire) dans une station-service désertée, juste avant d’arriver à Vanderkloof. Des chiens sauvages les agressent, dans une scène qui m’a fichu une sacrée trouille ; ils s’en sortent in extremis mais le père est grièvement mordu en plusieurs endroits. Réfugiés provisoirement dans une maison le temps qu’il guérisse, une nouvelle agression, humaine cette fois, amène Nico à tuer pour la première fois des êtres humains : il tire sur deux hommes venus… pour les tuer et les voler.

Les mois passant, une petite communauté voit le jour grâce à eux. Elle s’agrandit, s’organise, se protège des rôdeurs en tous genres, se structure. Elle regroupe un échantillon de tous les « corps de métier » ou presque. Un pasteur, même, un pilote et son Cessna, petit avion biplace. À sa tête, un conseil élu de manière démocratique. Enfin, grâce à la centrale hydroélectrique du barrage qu’une réfugiée a réussi à remettre en marche, ils ont même la fée électricité grâce à laquelle tout semble permis. Et bien sûr, l’eau, sans laquelle rien ne vit, avec le barrage. Ce qui leur manque (essence, gasoil, graines potagères, armes), ils le troquent avec les « clans » qu’ils rencontrent, ou organisent des expéditions armées (mais non offensives) pour se le procurer dans les villes voisines désertées. Les enfants vont à l’école le matin.
Les difficultés ne manquent pas mais dans l’ensemble Amanzi est devenue une colonie prospère, démocratique et autonome. Sûre et en paix pendant plusieurs mois et plusieurs centaines de pages.

Cela finit par se savoir dans les alentours et ne plaît pas à tout le monde - des jalousies naissent parmi les autres clans dominants. Et par provoquer des attaques, puis une véritable scission qui entraînera une attaque bien plus grave que les précédentes car elle sera suivie de près par le meurtre de Willem. On a dépassé le mitan du livre.
La suite est essentiellement constituée de l’enquête que vont mener son fils et quelques amis. La guerre s’est installée entre les clans, la même que toutes les autres qui l’ont précédée et que celles d’aujourd’hui dans le monde : avec des tranchées, une lutte pour la survie mais également pour le pouvoir. Ce qui était une petite guerre des clans avant la scission est devenue une guerre à deux, une guerre « réelle », une guerre de chefs.

Des personnages nombreux et hauts en couleurs, une aventure semée d’embûches et de joies, une vie dont les sentiments ne sont pas absents loin de là, et une quête haletante pour trouver la vérité qui surgit d’un seul coup et nous assomme, quand nous l’attendons depuis plusieurs centaines pages (bien malin celui qui aura compris avant la fin), font de L’année du lion un roman qui se lit avidement et nous pousse à réfléchir sur sa plausibilité. La fin, oui, la fin, de l’avoir lue j’ai cru à la berlue (ça y est, je suis contaminée !). On est OK, on n’est pas OK, on pense que c’est trop, que c’est fou, que c’est pas « dans l’éthique »... En tout cas, cette fin donne à réfléchir, plus encore à l’aune de la pandémie d’aujourd’hui…
Je vous passe le relais…

Sur le plan du style, rien à dire, c’est parfait, la traduction aussi. Le récit est essentiellement écrit dans les pages du journal de Nico qui s’adresse, si j’ai bien compris, à son fils. Mais il est en partie choral, d’autres personnes venant raconter leur histoire, brièvement ou durablement, en des retours en arrière temporels. Des points de vue différents, parfois divergents, toujours utiles, nous sont ainsi présentés. Ces micro-histoires, aussi différentes soient-elles, sont aussi toutes les mêmes. Et dans l’ensemble, la chronologie est respectée.
Dans les dialogues, l’écriture se fait efficiente (avec Domingo) ou explicite (avec Willem) selon les personnages qui parlent. L’ensemble est long bien sûr, sept cents pages, mais coule plutôt vite grâce à des chapitres courts, des intervenants successifs et un intérêt constant. Avec une fin stupéfiante qui clôt « en beauté » l’histoire à un moment clé : celui où Nico apprend la vérité. La construction est celle d’un polar (la routine pour l’auteur) avec un suspense montant à mesure que l’enquête de Nico avance et que la clé de l’énigme se profile pour nous être livrée… dans les trente dernières pages !
En ce qui concerne la construction, l’histoire, essentiellement racontée par Nico, est si longue que ce dernier laisse par-ci par-là des indices que nous ramassons petit à petit et qui nous recadrent dans la chronologie et le suspense. C’est habile et utile sur une telle pagination.

Mon regard sur le livre. Même si les deux ou trois thrillers policiers de Deon Meyer que j’ai lus il y a pas mal de temps m’avaient emballée, ce dernier m’a plus encore interpellée par le changement de cap littéraire de l’auteur et par son « actualité » involontaire. Si L’année du lion a pu me sembler pendant sa lecture un livre prémonitoire, qui résonne avec la crise sanitaire mondiale que nous connaissons, c’est aussi un livre qui comporte plusieurs niveaux de lecture et d’une grande richesse scientifique, éthique et sociale.
En premier lieu, les relations monoparentales père-fils. Difficiles et variables, elles sont toujours émouvantes car ils s’aiment. Nico perd sa mère (du virus) à l’âge - difficile - de douze ans et elle lui manque cruellement. Les relations avec son père s’en ressentent et une première cassure se fait très tôt lorsque Nico découvre que son père est « faillible », contrairement à ce qu’il pensait : il lui en veut d’avoir été blessé et, surtout, incapable de tirer au moment de l’attaque des chiens et des deux hommes ; partant, de ne plus être « son héros ». Il met cela sur le même plan que la mort de sa mère : celui d’une source de souffrance pour lui, confondant refus de la violence et lâcheté. Et il comprend avec un certain accablement que les rôles père-fils se sont inversés : que c’est à lui maintenant de protéger son père. Il a treize ans.

Jusqu’au meurtre de son père, ces relations ne cesseront d’alterner un amour filial admiratif pur et simple et une certaine forme de respect (filial) mêlé d’un mépris caché, avec une bonne dose de culpabilité pour tout ce fatras sentimental. D’autant que Nico se sent extrêmement proche de son mentor Domingo, l’homme chargé de la sécurité d’Amanzi, l’extrême contraire de son père qui fera de lui un véritable « guerrier » en quelques années.
Tout au long de l’aventure, Nico va évoluer ; son cheminement psychologique, lent et régulier, lui permettra de réfléchir à ses actes, à ses pensées, à ses sentiments tout en accomplissant avec rigueur et obéissance ses fonctions sécuritaires pour la ville. Cette évolution le mènera à la maturité (précoce, circonstances obligent) : non seulement il retrouvera en lui le respect et l’amour de son père, mais il se remettra à l’admirer pour ce qu’il était : un homme courageux. Il réalise que le courage ne se mesure pas à la belliquosité et que le passage à l’âge adulte ne se fait pas sans dommages pour soi mais aussi pour les autres, en particulier les parents. Ne dit-on pas qu’il faut « tuer le père » pour devenir un homme ? Si, on le dit, et souvent et fort justement.

LA LÉGENDE DU COLIBRI
Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux, terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! ».
Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part »
.
(légende amérindienne reprise par Pierre Rahbi dans son livre éponyme)

Autre sujet, qui se voit lui d’un intérêt décuplé par le coronavirus d’aujourd’hui (dont j’ose espérer qu’il ne tuera pas les neuf dixièmes de l’humanité) : la survie difficile d’un petit groupe de rescapés en Afrique du Sud. Je ne rentrerai pas dans les détails, ce serait trop long et l’auteur l’a fait à la perfection. Il n’a rien oublié. Ni pour ce qui concerne les relations humaines, les luttes internes ou externes, ni ce qui touche à l’organisation générale et à la socialisation du groupe à mesure qu’il s’enrichit en nombre de personnes et en biens obtenus. Les résultats sont impressionnants, une véritable cité est sortie des décombres, avec ses avantages et ses inconvénients. Quant aux informations foisonnant dans les pages, nul doute que Deon Meyer a passé des mois voire des années (mais oui, des années, il l’a dit en interview) à se documenter avant d’écrire L’année du lion qui l’a éloigné un temps de son registre habituel du polar noir.

À souligner aussi que L’année du lion se démarque fortement des autres romans (et de leurs « écueils ») répondant au genre dit « postapocalyptique ». Un homme et un enfant sur les routes d’un pays en ruines, des hordes de chiens sauvages et des menaces à chaque carrefour… là forcément, vous pensez à La route, le génial roman de Cormac MacCarthy! Et vous avez raison, j’y ai pensé moi aussi. Mais celui-ci est plus approfondi et plus prenant. Là où McCarthy avait planté un décor unique – une route grise poussiéreuse et jonchée de cadavres sur laquelle marchent en direction de la mer un homme et son fils avec pour seules richesses, outre leur amour mutuel, un caddie rempli de tout et de rien, traversant des régions où la violence peut aller jusqu’au cannibalisme…

Pas de place ni de temps pour parler, il faut fuir en suivant la route. Tandis qu’ici Willem et Nico dialoguent en permanence, le père considérant son fils comme un jeune adulte et lui expliquant en détail, d’un bout à l’autre de l’histoire, tout ce qu’il lui dit. Et le fils l’écoutant, le questionnant avidement ? Autre différence : leur exode a un but car Willem connaît un endroit bien situé où ils pourraient s’établir et reconstruire une communauté. Enfin, si la violence est dans les pages, survie oblige, l’horreur pure et dure (cannibalisme, attaques de morts-vivants…) pléthorique dans les romans postapocalyptiques est totalement ou presque absente ici – détail « amusant » cependant selon un personnage essentiel, Domingo : l’homme est un animal comme les autres. Déclaration forcément reprise par son émule Nico et avérée de nombreuses fois dans les pages.

Ainsi beaucoup de choses rapprochent L’année du lion de ses prédécesseurs mais d’autres l’en éloignent. Deon Meyer a pu (et su) aller plus loin encore en ne dépassant pas certaines limites, quand les auteurs plus « anciens » ont pu le faire grâce à la plus grande distanciation dans le temps entre leur écrit et la réalité du moment. Aujourd’hui, quelle distance y-a-t-il entre l’anticipation, la vraisemblance même, et la réalité ? Les échos avec ce que nous vivons sont nombreux et la question se pose d’une manière « intense » sinon urgente : la fiction peut-elle être rattrapée par la réalité ou, à l’envers celle-ci peut-elle aller plus loin que la fiction ? L’auteur lui-même ne détient pas la réponse. Il nous le dit aussi dans la presse. Tout est dans les livres ? Oui ! ALORS, LISONS !

En attendant, l’urgence s’impose ­– ou devrait s’imposer – à nos yeux : nous avons tué ou presque notre planète et si nous voulons qu’elle nous « supporte » encore longtemps, il est grand temps de tenir compte de ses avertissements. Nonobstant les guerres et leurs bienfaits évidents pour la Terre, à notre actif : réchauffement climatique, pandémies, tornades, incendies de forêts et même d’un continent cette année, disparition d’espèces animales et végétales points de suspension à l’infini, tout cela est de NOTRE responsabilité. Nous : les hommes, les humains, les animaux pensants, les êtres supérieurs, nous sommes tous, de manière consciente ou subie – en fonction de la géopolitique, le « né quelque part » –, avons déforesté, souillé, creusé, pillé, foré, gâché, pollué, monnayé, trafiqué, envahi (points de suspension là aussi) la planète. Son eau, son air, ses cieux, sa terre, son sol et son sous-sol et partant sa flore et sa faune. On dirait bien qu’elle n’en peut plus. Qu’elle demande grâce. Et que c’est le moment de l’entendre. Chacun pensera, dira : c’est pas moi c’est l’autre. Mais l’autre c’est nous, c’est moi c’est vous. Est-ce que nous pourrions nous dire : si « je » fais à mon tout petit niveau quelque chose allant dans le bon sens, est-ce que si chacun d'entre nous, dans la mesure de « son » possible, prend en charge sa « part du colibri », alors, oui, avec le temps
Mais l’avons-nous, ce temps ? Et cette volonté de changer, l'avons-nous, l'aurons-nous quand il le faudra ?

Je dirai pour finir que ce long roman nous offre matière à réflexion sur la condition humaine, sur le comportement humain et plus particulièrement sur le nôtre (nous, lecteurs) et aujourd’hui il y de quoi « penser » ! La réflexion proposée est d’autant plus intéressante que les deux points de vue extrêmes sont présentés dans l’histoire et c’est Nico qui en parle le mieux et les compare pour nous. Deux points de vue différents sur notre espèce : l'empathie fondamentale irrépressible de Willem qui prône la non-violence avant tout, en tout cas tant que c’est possible, et l'affirmation de Domingo selon laquelle les hommes ne sont que des animaux et que par conséquent ne prévaut que la loi du plus fort. Celle de la jungle de fait, car en chacun de nous se tapit un monstre qui s’ignore, une bête sauvage. Ce qui peut représenter la gagne pour certains.
Avec sa révélation finale pour le moins étonnante, L’année du lion est une réalisation littéraire remarquable et remarquée. Quant au suspense, auteur de thrillers oblige, vous m’en direz des nouvelles…

LA PREUVE PAR LES MOTS. UN PELEMELE DE REFLEXIONS JUSTES, OU SEULEMENT EMOUVANTES…

« Bizarrement, Mameladi était un endroit plus sûr pendant la Fièvre que la plupart des quartiers blancs. Je pense que la majorité des townships noirs étaient moins dangereux car les Noirs, les pauvres, nous avions l’habitude de nous entraider, nous savions ce qu’étaient la perte et la souffrance et nous connaissions la solidarité et le partage ».


Sur ce que j’appellerai « la théorie de l’homme égal de l’animal » : « Tout le monde croit que l’être humain est venu couronner la Création, qu’il est l’animal qui pense et pleure et rit, une créature si noble qu’elle ne peut devenir un assassin. Celui qui le devient, il doit avoir pété un câble. Il est cinglé, sonné, déjanté, tu vois ? Voilà ma philosophie : nous sommes des animaux, Nico. Des animaux sociaux. Des animaux sociaux domestiqués. Avec une mince couche de civilisation. Des créatures dociles quand tout va bien, quand les conditions demeurent normales et paisibles. Mais si on perturbe ces conditions, la couche s’efface. Alors, on devient sauvages ; on devient des prédateurs, des tueurs et on chasse en meutes. On devient pareils aux chiens. D’où mon mantra : L’autre veut me tuer. Si j’hésite, je suis mort. C’est la loi de la jungle. Et c’est comme ça chez les animaux. Ces types qui ont tué, dévalisé, poignardé, capturé… ce sont des animaux, comme toi et comme moi. Ils ne sont pas devenus fous, c’est juste la couche de vernis qui est partie ».


Et si c’était la Terre qui se vengeait de ce que lui ont fait les hommes (plausible aujourd’hui, non ?) : « Tu te rappelles les aigles noirs quand nous étions plus jeunes ? Il y en avait tellement. Et les petits chiens oreillards, on en voyait tant autrefois. Les oreillards sont des mangeurs de termites, de scorpions. Mais les gens pensaient qu’ils attrapaient les moutons. Les moutons n’ont jamais été leurs proies. On ne les voit plus. Tant de choses qu’on ne voit plus. Les gens ont fait beaucoup de tort à la Terre. Je me demande, n’est-ce pas la Terre qui aurait envoyé la Fièvre ? ».

Et plus loin, sur le même thème, c’est une réfugiée qui parle : « Nous avons organisé notre vie à Lambert’s Bay, on a réellement vécu de la mer, chaque année il y avait plus de poissons et de crustacés qu’avant, on voyait bien que la mer recommençait à vivre, lentement, et les oiseaux aussi, et on pouvait voir que la Fièvre avait été bonne pour le monde. Il y avait des fous du Cap et des cormorans sur l’île aux Oiseaux, à Lambert’s Bay, chaque année on constatait qu’ils étaient plus nombreux et en meilleure condition parce qu’il y avait plus de poissons pour les nourrir, et moins de gens pour attraper les poissons ».


Une parole de Willem qui peut parfaitement s’appliquer aujourd’hui et nous donne à penser à la suite à donner à la pandémie, au changement nécessaire du comportement humain : « La véritable égalité est rare et reste un concept flou. Partout dans le monde, mais surtout en Afrique du Sud. La Fièvre a été terriblement destructrice, mais elle a eu au moins l’avantage de nous mettre tous sur le même pied. À Amanzi, il n’y a pas de riches ou de pauvres, il n’y a que des êtres humains ».


Une vision pessimiste de l’humanité : « …L’état de la Terre avant la Fièvre… La pollution, des océans, les huit millions de tonnes de plastique jetés chaque année dans la mer par les humains, un plastique qui pèse déjà plus lourd que tous les poissons. La déforestation, la pollution de l’air, le bioxyde de carbone qui surchauffe la planète. Les espèces qui ont disparu, petites et grandes. Et les espèces au bord de l’extinction – les rhinocéros, les éléphants, les vautours, les orangs-outangs et les gorilles, les lycaons et les baleines, les pandas, les tortues et les tigres, sans parler d’espèces moins spectaculaires comme les chenilles, les grenouilles, les coraux et les poissons. (…) De quel droit l’être humain, comme n’importe quel animal, se permet-il de tels massacres ? (…) L’espèce humaine ne peut pas changer, l’homme ne peut tout simplement pas changer. L’évolution nous a programmés pour continuer à consommer jusqu’à ce que tout ait disparu ».


Et enfin, le plus long mais le meilleur pour la fin, celui que j’ai lu à haute voix à mon mari le soir du confinement de la France, celui qui évoque l’homme sous le manguier, celui par qui tout est arrivé :
L’homme sous le manguier, le chapitre IV du roman :
« On sait que la Fièvre est venue de l’Afrique.  On sait que deux virus ont fusionné : un virus humain et un virus de chauve-souris. À l’époque on a beaucoup écrit là-dessus, avant que tout le monde ne meure.
Un médecin a déclaré dans un magazine que personne ne savait exactement comment cela avait commencé, mais il a proposé un scénario. Quelque part en Afrique tropicale, un homme dort sous un manguier. Ses défenses immunitaires sont affaiblies car il est séropositif et n’est pas soigné. Il a déjà un coronavirus dans le sang. Ce n’est pas étonnant, le virus à couronne est assez répandu. À l’époque précédant la Fièvre, on en connaissait au moins quatre qui étaient responsables de symptômes grippaux chez l’homme.
Le coronavirus infecte aussi les animaux. Les mammifères et les oiseaux.
Dans le manguier se trouve une chauve-souris avec un autre type de coronavirus dans le sang. La chauve-souris est malade. Elle a la diarrhée et crotte sur le visage du dormeur, sur ses yeux ou son nez ou sa bouche. Maintenant, l’homme a les deux coronavirus dans le sang et ils se multiplient dans ses voies respiratoires. Et leur matériel génétique se mélange. Un nouveau coronavirus est né – un virus qui se transmet facilement et qui cause une maladie très grave.
L’homme du manguier vit dans une communauté pauvre où les gens habitent dans une grande promiscuité et beaucoup d’entre eux sont séropositifs. L’infection se répand rapidement et le virus continue sa mutation. Une des mutations est parfaite. Ce virus se propage par voie aérienne et la personne infectée a le temps de contaminer un grand nombre de victimes avant de mourir.
Un des parents de l’homme du manguier travaille dans un aéroport de la grande ville. Il a le virus parfait dans le sang. Il tousse près d’une passagère juste avant qu’elle ne prenne un vol pour l’Angleterre.
En Angleterre se tient une importante rencontre sportive internationale.
Tous les pays développés ont mis au point des protocoles en cas de maladies mortelles transmissibles. La plupart des pays en voie de développement ont même des stratégies détaillées pour parer à cette éventualité. Il y a des directives et des systèmes prévus en cas d’épidémie. En théorie, ils devraient fonctionner. Mais la nature se moque des théories. La faillibilité humaine se moque des théories ».
Deon Meyer
Deon Meyer

Commentaire(s):

  1. On le sait, Deon Meyer a le don de tenir le lecteur en haleine d'un bout à l'autre de ses romans (avec une mention spéciale pour l'Âme du chasseur) et c'est une nouvelle fois le cas ici. Toutefois, L'année du Lion est bien plus qu'un roman à suspense. S'il nous frappe par bien sûr par son aspect prémonitoire et par la plausibilité de son histoire, il aussi offre, sans jamais être moralisateur, une réflexion sur la société, ses dérives, ses fondements. Enfin, L'année du lion est également une belle histoire d'amour filial et paternel entre le jeune Nico et son père.

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