L’auteure. Peu de chose à dire sur cette nouvelle romancière d’origine rennaise dont ce premier roman n’est sûrement pas le dernier. Du moins l’espérons-nous. Les prestations médiatiques, dont un passage à La Grande Librairie de Marie Vingtras (en compagnie de Sorj Chalandon, ce qui ne gâche rien) sont convaincantes et le succès déjà au rendez-vous, le livre sur les listes de plusieurs prix littéraires. Bravo. Affaire à suivre.
L’histoire d’abord. On est en Alaska, de nos jours. Dans ce bout du bout du monde du Nord, au milieu de nulle part et en plein blizzard blanc. Si le décor est minimaliste, l’histoire et le style le sont tout autant. Mais seul le décor est d’un blanc immaculé.
Dès les quatre premiers mots : « Je l’ai perdu », il est évident que la suite consiste à retrouver le petit garçon disparu, avant qu’il ne soit trop tard. Bess, la seule femme, Benedict, Cole et Freeman, partent immédiatement à sa recherche. Un cinquième personnage, Clifford, intervient dans l’histoire mais n’a pas voix aux chapitres, ce qui est plutôt bien, vu que c’est un être ignoble à tous points de vue.
Tour à tour, dans des chapitres dédiés, les quatre nous racontent la recherche difficile du petit garçon. La région, naturellement isolée, l’est davantage encore avec le blizzard, on ne voit pas plus loin que le bout de ses pieds et la moindre parcelle de matière se transforme en glace.
Pourquoi Bess a-t-elle décidé de sortir avec le petit au plus mauvais moment ? Est-ce sur une demande insistante du petit ou de sa propre initiative ? Réussiront-ils à le trouver, mort ou vif ? Et si oui, à temps ? C’est bien la question primordiale mais pas le seul intérêt du livre.
Même si l’auteure se défend en interview d’avoir voulu écrire un roman policier, encore moins un thriller et dit avoir essentiellement voulu parler de culpabilité, ce roman a l’efficacité d’un thriller rapide, avec une unité de lieu, d’action et de temps pour le rendre encore plus trépidant ! Certes la culpabilité est présente chez chacun (ou presque), mais elle n’est que le ressort de l’action, s’exprimant à mesure que chacun des personnages avance dans la recherche de l’enfant et retourne dans son propre passé. Chaque moment de la journée les amène à se remémorer des souvenirs pas forcément bons qui concernent les actions peu glorieuses qui les ont amenées ici d’une façon ou d’une autre, pour une raison bien particulière (et différente de celle des autres). Des raisons pour lesquelles ils culpabilisent, à tort ou à raison. Lorsque l’histoire se termine, toutes les questions que nous nous posions ont obtenu une réponse, questions au premier rang desquelles figure chaque fois la même, en trois parties : quand, comment et pourquoi sont-ils arrivés dans cet endroit perdu ? Mais nous restons pourtant sans voix dans l’immédiat pour repenser à ce que nous venons de lire.
L’histoire est si tendue que je suis dans l’incapacité de dire quoi que ce soit d’autre ni sur les faits ni sur les personnages. C’est bien la première fois que ça m’arrive, je suis plutôt du genre loquace et même en cas d’intrigue serrée je présente au moins les personnages. Quant à la fin, elle tombe comme le début : d’un coup d’un seul ! Et laisse le lecteur éberlué.
L’écriture contribue au suspense ambiant, ce que nous apprenons du passé des personnages également. Le style direct, sans fioritures est aussi haletant que l’histoire. La construction en forme de polyphonie avec des phrases et des chapitres courts fait de la lecture une course effrénée vers la toute dernière page. La même que celle des personnages pour retrouver l’enfant. Chaque pas en avant dans la neige et le vent est un pas en arrière dans le passé du personnage concerné. C’est habile, diablement efficace et bien maîtrisé au niveau narratif, surtout pour un premier roman.
Malheureusement, c’est justement là où pour moi le bât a blessé. La polyphonie, ou la choralité, je suis pour. Encore faut-il que les chapitres soient un peu étoffés et comportent plus de deux ou quatre pages. Avec surtout un minimum de dialogues, même mensongers, histoire de savoir ce que les personnages ont dans la tête. Ici ce ne sont que des monologues à la première personne qui tous résument leur passé à la lumière du présent. Mais c’est le choix de l’auteure, pas forcément celui de la facilité, un choix que je respecte d’autant plus que l’histoire, réduite aux simples faits, y gagne en efficacité.
J’ai entendu parler d’une écriture « à l’américaine» concernant Marie Vingtras, avec de grands espaces vides, une nature aussi rude que ceux qui l’habitent et inversement. Pour ce qui est de la vastitude et des personnages frustes, le compte est bon, mais le linceul neigeux a rendu le paysage plus aisé à dépeindre qu’une vallée encaissée dans les Appalaches en automne.
Voilà, c’était juste « pour dire ». L’affaire est à suivre. Ce serait bête de s’arrêter en si bon chemin, c’est toujours le second roman qui confirme l’auteur(e). Et on a besoin pour se détendre et se faire peur de romans aussi haletants.
Mon regard sur le livre. Je l’ai lu d’une traite et commencé à « faire la difficile » après quelques jours. J’avais oublié qu’il s’agissait d’un premier roman en le refermant. Du coup, en y repensant, je me suis dit que c’était un exploit. Avoir raconté une histoire violente qui se déroule en même temps sur une journée et sur plusieurs décennies avec quatre narrateurs, c’est le succès assuré. Pour le suspense, mieux vaut prévoir une soirée à sa lecture, d’autant que les chapitres sont si courts que l’un entraîne le suivant dans la foulée.
Pour ce qui concerne l’analyse psychologique, j’ai trouvé que l’ensemble manquait un peu d’épaisseur, mais il est difficile de cerner des personnages qui sont dans l’action et les souvenirs de leur passé en même temps. .
Je dirai pour finir que Blizzard est un premier roman très prometteur, à lire d’une traite et pour la détente, aucun risque d’être déçu. Quel bonheur, la lecture, quelle joie de passer d’un continent à l’autre, d’une plume et d’un sujet à l’autre. Contrairement à ma dernière lecture (Rompre les digues, d’Emmanuelle Pirotte), ici l’action prime. Pourtant, des thèmes importants et intéressants sont abordés : les dernières guerres américaines : celle du Vietnam et celle d’Iraq, la transmission père-fils, le refus ou le désir d’être père (dans les deux cas, c’est expliqué, de manière un peu trop succincte) mais ils ne sont pas ou peu développés. Des faits graves, également, des méfaits commis par certains personnages sont posés dans les pages, sans commentaires non plus. La culpabilité, elle, est bien rendue. Tous les personnages ont une part de responsabilité dans ce qui survient. Tous ont quelque(s) chose(s) à se reprocher dans un passé proche ou lointain, et se le reprochent ou pas. Mais encore une fois je vous rassure :la fin est tout à fait explicite et vous donnera a posteriori l’occasion de réfléchir et de vous faire votre propre idée sur ce que vous aurez relevé.
Alors, à quoi ça sert de lire ?
à penser, bien au chaud sous la couette ou calé dans un relax, que cinq personnes sont en train de risquer leur vie dans la neige et le vent. A grelotter de froid et de peur pour eux.
QUELQUES PAROLES (anonymes pour ne pas « spoiler »)
« Je suppose qu’ils aiment la nature, les grands espaces, comme si l’expression en elle-même était une sorte de formule magique qui résolvait tout. De grands espaces, il y en a partout dans le monde et on ne s’y ennuie pas autant. Moi, j’ai toujours préféré la foule ».
Un aphorisme pour certains : « Il y a des choses qui ne durent pas et le moins que l’on puisse dire, c’est que le bonheur occupe toujours la première place du classement ».
Sur la guerre et sa triste (et seule) réalité, un autre aphorisme malheureusement :
« Quelle que soit la technologie utilisée, l’homme trouvera toujours un moyen inédit de blesser, de trancher, d’amputer ses frères à n’en plus finir, c’est dans sa nature. La guerre reste la guerre. Elle terrifie et galvanise en même temps. Elle banalise le fait que vous puissiez tuer d’autres êtres humains, juste parce qu’on vous a dit que vous aviez une bonne raison de le faire, que vous étiez le tenant du bien contre le mal. Il y a toujours une bonne raison pour justifier que nos enfants se fassent sauter sur des mines, pour qu’ils reviennent écharpés ».