Anne Berest est une romancière et scénariste française de 42 ans. Elle a commencé par fonder « Porte-plume » une structure éditoriale spécialisée dans les livres de mémoire et elle rédige des biographies. Elle écrit aussi des scénarios de séries (Mytho, Paris etc).
J’avais lu et apprécié Gabriële, coécrit avec sa sœur Claire et publié en 2017.Il s’agissait d’une biographie consacrée à son arrière-grand-mère Gabriële Buffet Picabia, au destin fort riche et intéressant.
Avec La carte postale on reste dans l’histoire familiale. Ce livre a remporté le prix Renaudot des lycéens après avoir été « écarté » de la Sélection du Goncourt pour de mesquines raisons après avoir figuré dans la première.
On est au cœur de l’histoire (et de l’Histoire) dans ce récit intime pratiquement dès les premières lignes :
« Parmi le courrier, très ordinaire en ce début du mois de janvier, elle était là. La carte postale. Glissée entre les enveloppes, l’air de rien, comme si elle s’était cachée pour passer inaperçue.
Ce qui a tout de suite intrigué ma mère, c’était l’écriture : étrange, maladroite, une écriture qu’elle n’avait jamais vue auparavant. Puis elle a lu les quatre prénoms écrits les uns en-dessous des autres, sous forme de liste.
Ephraïm
Emma
Noémie
Jacques
Ces quatre prénoms, c’étaient ceux de ses grands-parents maternels, de sa tante et de son oncle. Tous les quatre avaient été déportés deux ans avant sa naissance. Ils étaient morts à Auschwitz en 1942. Et ils resurgissaient dans notre boite aux lettres soixante et un an plus tard. Ce lundi 6 janvier 2003. »
Vingt ans plus tard, Anne Berest décide de savoir qui a envoyé cette carte. Elle va s’atteler à cette enquête difficile avec l’aide de sa mère. Dès le début du livre, on sait donc ce que sont devenus les quatre personnages.
Dans la première partie, elle nous fait revivre le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine et enfin leur arrivée en France où comme tant d’autres juifs ils s’imaginaient être enfin à l’abri. Ephraim a tout fait pour obtenir la nationalité française pour lui et sa famille, se heurtant à un mur de fonctionnaires récalcitrants. Mais bien sûr ce fut la guerre et cet immense désastre.
On s’attache à ces quatre personnages cités sur la carte postale… Mais aussi à Myriam, grand-mère d’Anne Berest, qui échappa miraculeusement à la déportation. Comment ? Pourquoi ? sont les autres questions.
Les parties suivantes relatent l’enquête menée par l’auteure. Enquête passionnante de bout en bout. On a du mal à croire que cette recherche puisse aboutir. Elle s’avère captivante, jamais ennuyeuse. De détective privé en graphologue, de lettres retrouvées en incursion dans le village Les Forges où a vécu la famille Rabinovitch, on a le cœur qui bat la chamade.
« Il était majestueux avec deux pédales dorées en forme de goutte d’or, les lettres PLEYEL sculptées dans le bois apparaissaient en transparence. Les touches blanches en ivoire et les noires en ébène semblaient avoir conservé leur splendeur d’origine. J’ai eu l’impression de voir le fantôme d’Emma, assise de dos sur le tabouret, se retourner vers nous en chuchoter dans un soupir : ‘’Enfin vous êtes venues’’. »
Sur un sujet tant de fois abordé, Anne Berest nous tient en haleine au fil des pages. Cela tient à la forme, à l’écriture, aussi, très fluide. Que ce soit dans les passages très intimes ou dans l’aspect historique, on tourne les pages, impatients d’aller plus loin.
Et j’avoue qu’il est utile de raviver ses connaissances sur ce sujet. J’ai trouvé particulièrement intéressante cette période où les survivants espèrent à chaque arrivée de convoi le retour des êtres aimés… Leur incompréhension devant cette non reconnaissance de leur extermination dans les camps. L’histoire des disparus s’arrêtant hypocritement dans les camps de Drancy, Pithiviers… en France ! Tout ce travail des Lanzmann et Klarsfeld pour extirper la vérité sur la complicité du gouvernement de Vichy. Attendre 1997 avec la commission Mattéoli sous le gouvernement de Juppé pour ouvrir cette indispensable mission sur la spoliation des juifs en France.
Anne Berest utilise une citation qui me semble parfaitement illustrer ce roman :
« Si vous ne pouvez pas vous résoudre à abandonner le passé, alors vous devez le recréer ».
Mission accomplie avec virtuosité sans jamais, sur un sujet aussi tragique, être plombant. Cette histoire vraie se lit comme un excellent roman. Un réel coup de cœur.