Nicolas Lebel, une toute petite cinquantaine, est Parisien de naissance et de résidence. Il a plusieurs cordes à son arc. Grand voyageur et passionné de littérature, il est tout à la fois enseignant en région parisienne, traducteur et écrivain. Il a publié de nombreux romans noirs, notamment une série de cinq enquêtes mettant en scène les mêmes policiers, avec à leur tête l’improbable Capitaine Mehrlicht. Le jour des morts est la seconde.
Jaco Morel, l’ami de toute l’équipe rencontré dans L’heure des fous, est toujours à l’hôpital Saint-Antoine en train de « soigner » son cancer en phase terminale aux Gitanes sans filtre et au Côte-Rôtie. L’histoire s’ouvre sur une scène jouissive : une célébration d’Halloween assez spéciale. Jacques a décidé de fêter cette fête païenne à sa façon. Il est assis dans son fauteuil roulant et recouvert d’un drap blanc, brandissant une faux faite à la main d’une béquille et d’un croissant de papier blanc, et conduit par le capitaine Mehrlicht dans le couloir de l’hôpital. Il déclame un texte de Pierre Michault, La Danse aux aveugles (1465), dont les « strophes » commencent par un : « Je suis la MORT ! » qu’il tonitrue. De quoi filer la trouille aux malades, qui retournent illico dans leur chambre ! Et se faire sermonner par l’équipe soignante.
Après ces retrouvailles dignement fêtées, l’auteur installe une première histoire, qui reste strictement politique avant d’intéresser la police. Elle concerne le blanchiment d’argent par certains politiques, un peu véreux disons, par le biais de l’art. Il y a eu les tableaux, les sculptures, ici ce sont les livres anciens qui sont recherchés pas les hommes politiques qui veulent « faire de bons placements » avec « leur » argent pas toujours propre. Le rapport avec l’enquête en cours, nous ne l’attendons même pas tant le sujet est intéressant et bien documenté comme à l’accoutumée avec l’auteur.
Démarre ensuite la seconde intrigue, elle cent pour cent policière. Un homme, M. Malauron est découvert mort, assassiné à l’hôpital Saint-Antoine, où séjourne justement Jacques Morel, au même étage que lui, dans le service oncologie donc. L’homme a été empoisonné. Il avait 64 ans et allait sortir quelques jours plus tard. Très vite et grâce à une vidéo, les policiers pensent à une jeune infirmière, baptisée plus vite encore « L’Empoisonneuse » par les médias. Cet assassinat sera le début (ou presque) d’une longue série qui sévira dans toute la France urbaine et rurale pendant le week-end de la Toussaint.
Vu l’endroit où s’est déroulé ce premier meurtre recensé, c’est l’équipe du capitaine Mehrlicht qui est chargée de l’enquête. Et il ne faut pas traîner car l’Empoisonneuse est une rapide. Les médias s’étant emparés de l’affaire, on n’est pas loin de l’hystérie collective. Le commissaire secoue les puces du capitaine pour qu’il active ses troupes.
Je m’arrêterai là en ce qui concerne les deux intrigues pour ne rien déflorer. Juste que, même si elles semblent ne rien avoir l’une avec l’autre, elles vont forcément et fatalement se rencontrer. Mais après pas mal de temps, de pages, et de morts.
Pour ce qui concerne le contenant, je ne me suis pas foulée. Un simple copier-coller de mon propre avis sur le précédent, et le tour est joué. Je disais donc et le redis : L’écriture est carrément au poil. Spontanée, agréable, accrocheuse, elle est un plus. Les dialogues sont vifs, drôles – d’un humour parfois grinçant – même lors les phases d’action grâce au Capitaine Mehrlicht dont le vocabulaire et les expressions fleuries sont jouissives à souhait. Son impressionnante culture générale lui permet de manier à merveille un argot personnel se situant entre Frédéric Dard et Michel Audiard, qu’il vénère.
Hors action et dialogues, l’auteur fait montre d’un formidable sens de la description. Les passages sociaux-historiques sont extrêmement bien rendus, leurs détails et leur pertinence les rend intéressants.
L’ensemble est très agréable à lire, l’écriture donne envie à elle seule de continuer sans regarder l’heure et d’attendre les prochains. Un petit reproche, quand même, un seul : j’ai trouvé le livre un tout petit peu trop long cette fois-ci. Pour la hauteur de mes PAL en tout cas…
Mon regard sur livre. J’ai ouvert Le jour des morts sachant que j’allais retrouver avec grand plaisir le capitaine La grenouille, oups, le capitaine Mehrlicht et sa bande. Je savais aussi que le jour des morts, il y en aurait, des morts ! Et des morts dans les polars, ça ne me dérange pas.
Côté équipe, pas de changements notoires. Le capitaine Grenouille, un peu plus ronchon et fatigué peut-être, est égal à lui-même : il ne mâche pas ses mots surtout avec les stagiaires, son langage est aussi fleuri et érudit et sa consommation de Gitanes sans filtre aussi élevée. Macho envers la seule femme de l’équipe, Sophie Latour. Un détail, quand même : sa sonnerie de téléphone a changé, c’est maintenant Jacques Brel qui nous clame les paroles de ses chansons, un vrai bonheur. Toujours aussi proche physiquement de la Grenouille, Nicolas Lebel le fait maintenant coasser quand il prend la parole.
Le lieutenant Dossantos, lui, est toujours aussi bodybuildé grâce à son mode de vie sportif et frugal, et autant sinon plus incollable en matière de Code pénal. Et ronchon, lui aussi. Un peu moins rigide dans sa vie privée quand même, il s’accorde bon gré mal gré quelques « libertés » qui risquent de lui être à court terme préjudiciables, dans le troisième opus peut-être.
Quant à Sophie Latour, toujours aussi consciencieuse et intuitive dans le travail, elle a bien du mal à obtenir des papiers officiels pour son compagnon. Elle est toujours chargée par Mehrlicht de la « sale besogne » : annoncer aux proches des victimes la disparition de l’un des leurs et les accompagner pour un temps dans les démarches et dans le deuil. Ce qu’elle fait avec beaucoup de tact et de compassion. Une femme. Merci Monsieur Lebel.
Cependant, s’ils n’ont pas ou peu changé, leur équipe semble davantage soudée et nous apprenons pas mal de choses de leur vie passée, leur personnalité, leurs morts et leurs vivants même… Cela nous permet, en les connaissant mieux, de comprendre et d’apprécier leur comportement au travail. Et, en les rendant plus prégnants, nous les rendre forcément plus sympathiques, ou pas.
A une exception près : le nouveau stagiaire, bête noire par principe du capitaine Mehrlicht qui ne porte pas les stagiaires dans son cœur et n’en conçoit pas « l’utilité » dans une équipe. Et force est de reconnaître que celui que la direction vient d’affecter dans le service est antipathique au possible. Guillaume Lagnac, un fils à papa, un vrai de vrai, avec tous les défauts que ça peut comporter. Anormalement beau de surcroît, il se croit autorisé, pense-t-il, à tout obtenir des femmes, ce qui le rend encore moins agréable à leurs yeux et à ceux du capitaine Grenouille.
Nicolas Lebel aborde toujours des thèmes d’actualité dans ses polars. Et rien ne l’arrête, en bas ou tout en haut de la hiérarchie sociale. Ici, outre le pan historico-policier dont je ne peux rien dire, il évoque les exactions commises par certains hommes politiques avec les deniers « publics » et la situation dramatiques des migrants qui n’ont que des papiers provisoires et sont expulsables du jour au lendemain (on parle officiellement de « reconduite à la frontière », c’est quand même plus joli à dire et à entendre, et le service d’ordre est moins visible), après avoir passé quand même et pour la forme, quelque temp dans un centre de détention… On voit bien que ce sujet intéresse et inquiète l’auteur.
Les ministres sont des hommes de pouvoir et qui dit pouvoir dit forcément argent. Ce pouvoir, il faut qu’ils l’entretiennent, surtout s’ils veulent en profiter. Ils le font de diverses manières avec toujours le même résultat : de l’argent rentre dans les « tiroirs secrets des ministères, souvent en liquide, souvent pas propre. Il faut donc le blanchir. Transformer l’argent des fonds publics après l’avoir détourné, en fonds personnels. Le mieux pour ça c’est le marché de l’art. C’est bien connu, les hommes politiques sont de grands amateurs d’art, et de fins connaisseurs.
Ici, c’est le ministre Farejeaux, ministre délégué chargé des affaires étrangères, qui voit beaucoup d’argent passer entre ses mains : entre 10000 et 30000 euros selon ses propres mots, qu’il doit « investir » chaque mois.
Si Le Jour des morts est sorti en broché en 2014, coïncidence, l’affaire des livres anciens est aujourd’hui même d’une actualité brûlante alors que s’ouvre le procès de l’ancien ministre de l’Intérieur d’un ancien Président de la République (l’avant-dernier quinquennat). Depuis cette affaire G….t, les tableaux et la sculpture ne sont plus à la mode et les marchés de l’art très surveillés. Le ministre Farejeaux s’est donc mis à collectionner les livres anciens et a fait appel à un intermédiaire, Denis Leroy, surnommé le Rat pour sa laideur (décidément l’auteur aime bien identifier les visages humains aux animaux…) mais fin connaisseur et passionné de livres anciens, essentiellement des classiques du XIXe siècle.
Au passage, même si l’affaire de blanchiment d’argent est exécrable, l’auteur en profite pour louer une fois encore les bienfaits de la lecture et dans le cas présent la beauté physique de l’objet-livre, sur laquelle insiste le Rat quand il en a un nouveau entre les mains.
Voilà. Le jour des morts est un polar que je vous recommande chaudement. Bourré d’humour, de réflexions humaines et sociales justes, et au suspense maîtrisé jusqu’à la fin, c’est la détente et l’intérêt de lecture garantis. Avec une balade salutaire pour l’équipe en pays limousin. Pour les besoins de l’enquête, bien sûr.
Encore un écrivain que je ne lâcherai pas. Outre son écriture et l’équipe qu’il a créée, j’apprécie sa liberté de ton. Loin d’éviter les sujets qui fâchent, bien au contraire, il les aborde avec le creux de la cuiller : une belle empathie pour ses personnages et tous ceux qu’il rencontre dans ses romans (et sûrement dans la vie !) mais surtout un regard sans concession pour les malfrats. Ouh là là, c’est vrai, il y a des « malfrats » dans le monde politique ?!
La troisième enquête de cette équipe de choc m’attend déjà : Sans pitié ni remords, tout un programme… Je ne sais pas si je vais réussir à finir la quadrilogie avant d’avoir lu le dernier, Le gibier, si prometteur d’après la critique… Qui lira verra.
Alors, à quoi ça sert de lire ?
A rire, frémir et réviser notre Histoire en bonne compagnie.
QUELQUES PRECISIONS UTILES
Sur le pouvoir et l’argent :
« L’immobilier impliquait des investissements trop importants pour qu’on y blanchît du cash aisément, à part dans le neuf et dans le Var. Les livres anciens constituaient un bon placement : on pouvait acheter en liquide des ouvrages à vingt mille euros auprès de libraires discrets, ou, au pire, avec facture en bénéficiant d’avantages fiscaux, rassembler des œuvres d’un même auteur ou d’un même thème pendant quelques années, et ainsi constituer une ou plusieurs collections qui démultipliant la valeur du livre isolé, le tout en un temps record. L’opération finale consistait à vendre au grand jour la collection, laquelle se trouvait également anoblie par le nom de son célèbre propriétaire, et à récupérer des gains décuplés et propres, après impôts ».
Elle est pas belle, la vie de ministre ?! N’est-ce pas, Monsieur Cl. G….t ?
Sur la télé, les vieux, et les malades, tous ceux qui s’ennuient et/ou ne peuvent pas lire, un mot de Jacques : « Je me suis mis à la télé. Eh bien figure-toi que la télé, c’est un super moyen pour accepter la mort. ».
«Une réflexion féminine plutôt récurrente, en littérature et dans la vie :
« Sept ans après… parce qu’on ne change jamais de vie. Le passé s’accroche à nous comme une seconde peau, poisseuse et puante. Et il n’y a pas de mue possible pour nous, pauvres humains… »
La météo vue par le capitaine, sûrement sur TF1 ou LCI, qui m’a bien fait rire :
« Le commentateur annonçait qu’il pleuvait, et chacun dans la salle l’écoutait religieusement. Mehrlight regarda par la fenêtre les trombes d’eau qui continuaient de s’abattre depuis cinq jours. De toute évidence, le pauvre passait l’année isolé dans son bunker souterrain et étanche, et venait de recevoir une dépêche météo de la surface. Il en appela tout à coup à un reporter qui, en voix off, commenta la pluie sur des images de pluie. L’homme de terrain, visiblement renseigné, déclarait en substance que la pluie, ça mouille, avant de le faire confirmer par des témoins : une femme faisait contre mauvaise fortune bon cœur, s’était armée d’un parapluie puisqu’il n’y avait rien à y faire. Un jeune homme, sage et érudit, expliquait qu’à l’automne, il pleut, et que c’était bon pour les nappes phréatiques. Un autre, plus âgé et encore plus philosophe que le précédent, tempêtait enfin sur le fait que maintenant, il pleuvait toute l’année, que le climat était détraqué et qu’il n’avait jamais vu ça en soixante ans ».
Et, par contraste, la manière poétique de notre capitaine préféré de parler de la pluie et du beau temps :
« La pluie continuait de tomber dru sur Paris dans un fracas soutenu de Kärcher. Le ciel gris pilonnait la capitale depuis des jours et semblait déterminé à laver, à effacer une tache persistante. Le capitaine à tête de grenouille aspira la fumée de sa Gitane en songeant à ce qui pouvait ainsi susciter le courroux du ciel : les bâtiments délavés, les trottoirs détrempés et noirs, les ombres rapides qui, recroquevillées, emmitouflées, essayaient de fuir le déluge… ».