Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Rester groupés ⇜ Sophie Hénaff

LES CINQ PREMIERES LIGNES : « La commissaire Anne Capestan se débattait avec la dernière arrivée des imprimantes défectueuses accordées par une direction du matériel espiègle. Têtue, la machine affichait « encre insuffisante alors même que Capestan venait de renouveler la cartouche. Après avoir appuyé sur tous les boutons, la commissaire abdiqua. Elle n’avait rien de très important à imprimer. Elle ne travaillait sur rien de très important. Elle ne travaillait plus sur rien ».
EN DEUX MOTS : Une fois encore Sophie Hénaff mêle avec brio comédie sociale et roman policier. Son équipe de placardisés démêle plusieurs affaires en même temps. Un humour décapant le dispute à une grande habileté de construction. On en redemande.
Sorti en 2016 chez Albin Michel, puis au Livre de Poche en 2017, version lue. Roman policier. 318 pages.
Sophie Henaff

L’auteure. Avant d’écrire cette série policière dont celui-ci est le second opus, entre Poulets grillés (2015) et Art et décès (2019), tous trois chez Albin Michel puis au Livre de Poche, Sophie Hénaff était journaliste à Cosmopolitan, où elle tenait une chronique humoristique, et traductrice anglais-français. Poulets grillés a reçu plusieurs prix littéraires, dont le prix des Lecteurs du Livre de Poche.

L’histoire. Les revoilà ! Les poulets du placard, les revoilà pour notre plus grande joie. Ils sont au grand complet l’équipe s’est même étoffée depuis Poulets grillés, en forme mais désœuvrés. Leur précédente affaire les avait resourcés et leur avait redonné l’impression d’être de bons flics. Un peu borderline certes mais aptes à résoudre avec efficacité des « cold case ».
Nous retrouvons (énoncé non exhaustif) : Anne Capestan leur commissaire dynamique et tolérante, toujours seule dans la vie. Sous sa coupe : la déjantée et sympathique capitaine Eva Rosière, flique et auteure de « polars en série télévisuelle » qui continue de travailler « pour le plaisir » à condition d’emmener son chien le facétieux Pilou avec elle en toutes circonstances et de superviser la déco du commissariat. Louis-Baptiste Lebreton, ancien commandant de l’IGS, veuf de Vincent, son compagnon de 12 ans. Les capitaines Merlot, alcoolique démonstratif et Orsini (ancien de la brigade financière et professeur de piano !), ami des journaleux. Les lieutenants Evrard, jeune femme, de la Brigade des jeux, elle-même accro aux jeux de hasard et Dax, exclu de la Cybercriminalité, spécialiste informatique quand il ne joue pas aux jeux vidéo. Et mon préféré du moment, le lieutenant José Torrez surnommé Scoumoune, porte-poisse notoire et absolu, chat noir policier, au passage duquel les autres se signent en fermant les yeux.

De nouvelles recrues tout aussi placardisées les rejoignent, notamment Saint-Lô qui se prend pour d’Artagnan et sort de l’hôpital psychiatrique. Sans oublier Ratafia, le rat que Merlot a décidé de transformer en rat policier, ce qu’il devient ! Contre toute attente, cette équipe aussi disparate que fantasque, est devenue soudée et solidaire, sans doute rapprochée par ses différences. Pour la plus grande joie d’Anne Capestan, au demeurant très tolérante dans sa manière de les commander.

De l’histoire elle-même, je ne vous dirai quasiment rien pour vous laisser le plaisir de la découvrir, si ce n’est qu’elle touche de très, très près la commissaire : une des trois victimes cela signifie trois lieux d’action dispersés dans l’Hexagone et trois équipes constituées n’est autre que son ex-beau-père, et un de ses poulets est suspecté ! Et, puisque l’information figure en quatrième de couverture, il est bon de savoir que le(s) tueur(s) prévient(nent) ses ou leurs victimes. Bigre ! Autant dire que le suspense est de mise et le timing serré même si parfois l’hilarité règne en maître ! J’allais oublier : encore et toujours des bâtons dans les roues de la part de la haute direction, contrainte à jouer parfois double jeu !

La fin, surprenante à souhait, nous laisse sur la certitude de lire une troisième aventure de cette bande de bras pas si cassés que ça. La troisième, Art et décès, c’est pour bientôt !

L’écriture est très à la hauteur de l’histoire et de ses personnages, dont les dialogues sont toujours aussi savoureux. Fluide, drôle, pleine d’à-proposune course entre un suspect et un inspecteur à dos de poney en plein jardin du Luxembourg est à mourir de rire !
Plaisante en tous points, surtout quand l’autrice nous offre de belles descriptions. Car sa plume, de plus en plus élégante, se fait souvent poétique.

Tout en nous faisant sursauter de rire. Comme dans cette scène de bagarre (tout aussi déjantée que la suivante course à dos de poneys du jardin du Luxembourg), dans laquelle notre équipe joyeuse (non armée) affronte deux cents supporters anglais ivres et décidés à en découdre avec quiconque s’opposerait à eux. Un véritable morceau de bravoure.

Mon regard sur le livre. J’aurais peut-être dû compter le nombre de fois où j’ai éclaté de rire car cette série vaut sa lecture rien que pour son humour omniprésent et d’une saveur et d’une drôlerie toujours exquises.

Pour la forme, j’ai trouvé amusant que le commissariat se trouve au même endroit que dans le premier opus, l’appartement de la rue des Innocents, dans le quartier Saint-Denis. Tout comme le fait que l’enquête se déroule à l’époque de Noël, ce qui nous donne l’occasion de constater que la capitaine Eva Rosière a mis ses talents de décoratrice d’intérieur à la confection du grand sapin et à l’enguirlandage de la pièce principale. Mais aussi qu’un billard (bah oui) a été ajouté, ainsi qu’une bibliothèque pour compléter « la salle de jeux » !

J’ai surtout aimé l’équipe de la commissaire Capestan. Les relations entre ses membres qui, malgré ses disparités sociales et humaines, ont accepté leurs différences et fini par devenir une presque famille bien sympathique de plus en plus solidaire. C’est bien plus qu’un roman policier drôle. D’où l’envie de continuer jusqu’au bout de la série de leurs aventures. Dans cette équipe, j’apprécie de plus sa commissaire, proche de ses ouailles, qui s’intéresse à eux en restant discrète sur elle, sans rien livrer de personnel sur elle.

Un tout petit reproche, même si j’ai lu Rester groupés d’une traite : j’ai trouvé le côté guéguerre des polices un peu trop marqué, même si Sophie Hénaff sait de quoi (et de qui) elle parle. Mais c’est un avis strictement personnel.

QUELQUES REMARQUES JUSTES ET HUMAINES :

Une pensée nostalgique de Rosière à propos de son fils jeune adulte, qu’elle ne voit pas assez souvent, qui doit concerner pas mal de mamans en mal de leurs grands enfants :
« Elle se demanda, comme souvent, si c’était mieux de ne jamais avoir connu le vrai bonheur ou de l’avoir pleinement vécu pour qu’il se recroqueville ensuite ».

Un autre remarque qui foi d’aphorisme et qui pourrait bien être LA phrase du livre : dans la bouche de mon flic préféré Torrez-Lapoisse  :
« Quand mon aîné s’est retrouvé à l’hôpital la première fois, je peux te dire que je ne rigolais pas. Ça a duré quatre jours, mais ça a changé ma vie, dit-il en mâchant, songeur. D’un coup, la terre bouge, tu t’aperçois que tu vis sur un sol meuble. C’est vertigineux. Après, tu trembles tout le temps. En fait, tant que tu n’as pas eu d’enfant, tu ne connais pas la peur. (…) La vraie terreur, c’est celle de perdre ».

Enfin, trop long de les recopier, les pages 231 à 232 (version Livre de Poche) relatent la course à poneys au Luxembourg et je défie quiconque de ne pas rigoler à fond en les lisant. C’est une véritable lecture plaisir. Vivement le troisième !

ALORS, A QUOI CA SERT DE LIRE ? Ici, simplement à se distraire sans s’abêtir. Entre deux bons gros pavés.

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