Sorti en septembre 2018 chez Grasset. Roman. 176 pages.
Déjà conquise par son premier roman Fils du feu, je confirme : j’ai été profondément touchée par cet hommage que l’auteur rend à son père, que j’aurais dû rendre au mien, car je l’ai retrouvé dans ces pages ; mais il est tellement juste que « toujours, on sous-estime les gens qu’on aime trop ».
Bel hommage à René, « ce héros », orphelin de père, qui travaillera très jeune à la forge. Il sera aussi comédien amateur puis champion de boxe et divertira les gens de son quartier, des gens du peuple ouvrier, souvent cheminots dans cette France rurale près de Besançon. Il sera également un amoureux des mots qu’il confiera à un carnet que son fils retrouve. Sa mère hélas ne l’encourageait pas à la lecture « qui abîme les yeux » ; la culture est pour elle « affaire d’oiseaux, d’élégants ou d’aristocrates ».
René partage son enfance avec son ami Pierrot qui comme lui est passionné des livres et de mythes mais s’orientera vers les écritures saintes puisqu’il partira au séminaire et que c’est « Monsieur L’abbé » qui reviendra au village. Tous deux, bien qu’appréhendant la vie un peu différemment, se vouent une amitié indéfectible. Après s’être heurtés au curé conservateur de la paroisse qui regrette l’Inquisition face à notre monde décadent, ils veulent rompre avec les spectacles paroissiaux. René n’aime pas « les spectacles d’eau bénite ». Pierrot le convainc d’incarner le rôle de Jésus dans « La passion du Christ ». Soutenu, encouragé par son ami (les passages consacrés à l’amitié sont magnifiques), il puisera dans ses propres émotions et interprétera ce rôle avec succès.
L’auteur confesse qu’adolescent il a parfois eu honte de son père, l’a même méprisé, porté par les idées de l’époque : « merde au vieux monde ». Il apprendra à connaître son père à la fin de sa vie. Il lui offre ce livre comme un cadeau posthume et dira ces mots : « Il faut que les gens meurent pour que leur linceul devienne ce palimpseste où leur vie fut écrite avec leur destinée, et non avec celle qu’on leur avait, de leur vivant, forgée ».
J’ai eu, au cours de cette lecture, le cœur qui battait la chamade, la larme à l’œil. Et ressenti le besoin de lire des passages à haute voix tant l’écriture est poétique, puissante, flamboyante. J’en suis sortie profondément émue par cette peinture aussi bien des lieux que des sentiments toujours juste, profonde et à l’humour omniprésent !
Merci Monsieur Boley.
L’AVIS DE LA SERIAL LECTRICE
Ce roman vaut d’abord et avant tout pour son écriture. De bout en bout et quels que soient les circonstances, les faits et les personnes en scène, les mots sont posés dans les phrases pour composer une poésie simple, douce et harmonieuse. Musicale presque. Au point que j’ai eu bien souvent la sensation de lire des alexandrins dans des phrases en prose. Je me suis amusée à compter les syllabes entre deux virgules, les douze pieds et parfois leurs rimes sont bien là. Sans emphase, un exercice de style – sans doute un peu appuyé –, qui en dit long sur le goût de l’auteur pour les mots. Comme ses deux personnages principaux, si différents, qui sont unis par une amitié basée essentiellement sur l’amour de la littérature et la difficulté d’écrire et de décrire ce que l’on voit et ressent. De penser les mots, les chercher sans cesse dans le Larousse pour René sans pouvoir les aligner sur le papier.
Beaucoup de pudeur aussi, qui interdit à René et plus tard à son fils, d’exprimer les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Ce n’est qu’après la mort de son père que le fils lui rendra un hommage posthume en écrivant le « roman » de sa vie, exprimant ainsi l’amour filial qu’il regrette de ne pas lui avoir montré de son vivant. Nul doute que ce roman – en grande partie autobiographique – tendre, d’une tristesse nostalgique, est souvent émouvant.
Les deux amis sont des hommes bienveillants (trop ?), bons dans tous les sens du terme et l’histoire leur ressemble. Reste que l’hommage au père disparu, aussi bien rendu soit-il, est un sujet récurrent en littérature. Et surtout, et cela me concerne seule, que la boxe et ses combats (même bellement et poétiquement décrits) ne sont que violence pure, en aucun cas un « sport noble » et que les bondieuseries m’exaspèrent. Deux sujets qui ne sont pas ma tasse de café, loin s’en faut, même si je reconnais que l’auteur sait prendre ses distances aussi bien avec la boxe qu’avec « le crucifié ». Même si le sujet principal du roman est l’hommage posthume d’un fils à un père aimé après avoir été un peu méprisé, quand ce dernier est à la fois champion de France de boxe et comédien interprétant Jésus dans une pièce de son ami curé, « La passion de Notre Seigneur Jésus-Christ », il est forcément beaucoup question de boxe et de N. S. J.-C. ! Et c’est pour ça que je n’ai pas éprouvé un vrai coup de cœur à sa lecture.
Un roman à lire pour l’amour et l’amitié dont il déborde et pour son écriture poétique, la nostalgie et la tendresse qui émanent de chaque page.
QUELQUES MORCEAUX CHOISIS
« La nuit s’installait sans faire beaucoup de bruit, les lumières de la ville se prenaient pour Chaplin, des automobiles silencieuses pointillaient l’espace à coups de phares, de clignotants et lucioles jaunes, oranges et bleues ».
« Mon père fréquemment, à cette heure, s’endormait. Je posais alors, profitant de son sommeil, une de mes mains sur une des siennes, cherchant dans l’énigme de nos doigts emmêlés une trace adamique. Car c’était lui, mon père, qui fut tout à la fois mon premier homme, ma première parole, ma première étincelle et ma première aurore ».
« On ne choisit pas son enfance, on s’acclimate aux pièces du puzzle, on bricole son destin avec les outils qu’on a sous la main ».
Sur les deux amis, Montaigne et La Boétie modernes : « René lève son verre, ils trinquent, se sourient, les mots sont inutiles et s’encaquent d’eux-mêmes dans une boîte de ouate. Le soir trébuche et tome, le monde a rétréci, la vie ressemble à une maison de poupée ; René et le père abbé ont l’amitié taiseuse. Le ciel et les nuages aussi.
Une locomotive siffle et ils comprennent tous deux, dans la langoureuse monotonie de ses trilles, que le vent a tourné et que le temps va se mettre au flocon. Déjà, par la fenêtre, la brume se violace et les bruits du dépôt, au loin, doucement cotonnent. La nuit porte dans ses nuages de petits bonhommes de neige qui ne demandent qu’à choir. Le jupon de l’hiver se met à dévoiler ses jolies chevilles blanches. On se croirait à l’aube d’un rendez-vous galant ».
Enfin, sur l’incapacité d’écrire de René, malgré son envie et ses efforts : « Il aimerait pouvoir répondre à l’abbé ce qu’il pense vraiment des femmes, de l’amour, du désir, de l’existence, de la neige, ou même du cognassier qui lui ouvre ses bras, mais il n’a pas les mots. Personne ne les a offerts. On l’a placé, à l’âge de quatorze ans, dans un atelier, debout devant une barre de fer, un établi et un étau. Et s’il s’est mis tout seul face à un dictionnaire, c’est pour tenter de s’ouvrir les portes du savoir. Il échouera. Jusqu’à sa mort il le dira et le martèlera : qu’il parvint, certes, à réussir, dans sa vie, des choses plutôt conséquentes qu’on nommera jolies, mais que, hélas, il ne fit, au bout du compte, que passer à côté de l’essentiel ».