Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Les heures silencieuses ⇜ Gaëlle Josse

Paru au printemps 2012 dans la collection J’ai Lu. 88 pages. Premier roman.

L’auteur. Gaëlle Josse est née en France en 1960. Elle fait des études de droit, de journalisme et de psychologie avant d’organiser des ateliers d’écriture pour adultes et adolescents. Les heures silencieuses est son premier roman. Depuis, l'auteure en a écrit trois autres.

L’histoire. Ecrit sous forme de journal, Les heures silencieuses raconte la période très courte encadrant la peinture d’un tableau flamand de Emmanuel de Witte, ‘Intérieur avec femme à l’épinette’, en 1667. Magdalena van Beyeren, trente-six ans, est la fille aînée et préférée de Cornelis van Leuwenbroek, l’administrateur de la plus grosse des Compagnies néerlandaises des Indes orientales, celle de Delft, et l’épouse ‘parfaite’ de Pieter van Beyeren, qui hérite de la charge d’administrateur de son beau-père.

Elle accepte de figurer sur le tableau commandé par son mari au plus haut de sa réussite, à condition d’y être peinte de dos et devant son épinette (instrument à cordes et à clavier de la famille des clavecins). Un détail de ce tableau illustre la couverture du livre. La peinture du tableau donne à Magdalena l’occasion de se confier à nous dans son journal intime, ce qu’elle fait avec beaucoup de pudeur et de douceur.

Nous y  apprenons qu’en dépit du rang social élevé et de la fortune de son père, puis de son mari, sa vie n’aura pas été aussi rose qu’elle aurait pu l’être. Et au fil de la narration, nous voyons les déboires qu’elle a rencontrés au cours de son enfance (avec un lourd et dramatique secret qu’elle nous dévoilera comme pour s’en libérer, au point que l'on peut se demander si le lecteur ne fait pas office de confident particulier), de sa vie maritale, et des enfants qu’elle perdra très jeunes. Jusqu’à la décision de son mari, alors qu’elle n’a que trente-six ans, de ne plus la toucher pour la protéger, et aux troubles que cela engendrera.

Le style. Douce et musicale, pure et sans heurts de langage ni effets de style, l’écriture sert à merveille le caractère de la femme qui écrit son journal intime sous la plume de Gaëlle Josse. S’agissant d’un journal quasi quotidien, les chapitres sont très courts et datés. L’auteure a dit être venue à l’écriture grâce à la poésie. Preuve nous en est donnée dans ce premier livre à l’écriture si harmonieuse et délicate.

En fin de compte, j’ai beaucoup aimé cette histoire courte mais intense qui nous propose un beau portrait de femme au dix-septième siècle, qui, comme le veut la coutume de l’époque, accepte docilement mais non sans amertume son sort d’épouse ‘dévouée’ à son mari et à sa famille. Alors qu’elle possède tout le talent nécessaire pour faire tourner la Compagnie de son père, elle se voit contrainte à servir de faire-valoir à Pieter et à accepter de mener une vie casanière essentiellement centrée sur la famille et l’art musical. Ainsi nous dit-elle : ‘La vie ne ressemble pas à l’idée que nous en avions, et il nous appartient de savoir accepter notre sort. Je sais qu’il me reste un long chemin à parcourir pour trouver la paix, et ces propos que je m’efforce de tenir parlent à mon esprit, mais ils n’apaisent ni mon cœur, ni ma chair’. Une vie, à l’instar du tableau, faite de clair et d’obscur, et qui incite Magdalena à ne pas se montrer de face.

Par ailleurs, l’auteure réussit à faire vivre sous nos yeux la Hollande en plein âge d’or, riche de son commerce maritime prospère et parfois en limite de légalité. La place et le rôle de la femme au sein de la famille à cette époque sont également abordés à travers les confidences de Magdalena. Et, au passage, celle-ci nous décrit les détails du tableau tout au long de son récit.

Je trouve cependant que ce livre aurait gagné à être plus long, tant pour son style poétiquement beau que pour les thèmes traités, ou plutôt abordés, tous méritant d’être développés plus longuement, notamment le droit de transporter des esclaves sur les bateaux hollandais à cette époque. Quatre-vingt-huit pages, c’est vraiment court.

Enfin, j’ai noté l’angoisse de Magdalena à l’approche de la nuit. En page 12 elle nous dit : ‘Depuis l’enfance, je redoute la nuit. La lumière qui décroit dans le ciel, l’ombre qui tombe à terre en dévorant les couleurs et en assourdissant les formes m’emplissent d’inquiétude’. Ces moments entre chien et loup, si propices à la tristesse et à la peur du noir, sont-ils les heures silencieuses qu’elle choisit pour se mettre à écrire ?

Bref, un —trop— petit roman d’une grande richesse émotionnelle et littéraire qui m’a fait tourner la dernière page avec regret. Un premier roman que j’ai lu avec énormément de plaisir. Merci à ma popine qui m'a proposé de le lire chez elle.

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