Sorti en 2014 aux Editions Points, Collection Signatures. Roman. Traduit de l’anglais (Canada) par Sabine Porte. Titre original : The Dutch Wife. 372 pages.
EN DEUX MOTS
Un formidable roman d’aventure comme on n’en lit plus aujourd’hui, bien écrit, rempli de surprises, d’amour et de rebondissements. Divertissant, original et totalement dépaysant, L’épouse hollandaise nous offre un grand plaisir de lecture, gardant un esprit romanesque pur et dur du début à la fin. Avec en creux le portrait d’une femme amoureuse peu conventionnelle et la recherche d’identité de son fils.
Les cinq premières lignes (hors Préface inédite de Pierrette Fleutiaux, 2013).
« Aimable lecteur : J’aimerais te raconter un incident qui date d’il y a dix ans. J’étais en visite chez un vieil ami qui dirigeait un centre médical de l’ONU dans une bourgade du Sud-Ouest de la côte équatoriale de San Lorenzo. Un matin, nous étions allés de bonne heure au marché. L’étal de fruits le plus animé était tenu par un grand gaillard au torse nu. Il avait au ventre une brindille de quelques centimètres de long fixée on ne savait trop comment… ».
Le plus juste passage. Sur nos agissements personnels : « Nous avons déjà bien assez de mal, souvent, à comprendre nous-mêmes ce que nous faisons. (…) Votre propre vie vous apparaît comme un chaos – vous êtes en plein dedans, tellement submergé par les détails que vous désespérez d’y trouver un jour le moindre ordre cohérent, le moindre sens. Alors qu’un étranger – un observateur de votre vie – peut se déplacer et, avec un peu de chance, trouver un angle de vue qui lui permette d’en saisir la signification, de repérer les tendances, les symétries et les coïncidences que vous-même ne pouvez voir ».
L’auteur. Erick McCormack a peu ou prou la quatre-vingtaine. Né en Ecosse à Bellshill, il vit aux Canada, à Kingston en Ontario depuis 1966. D’abord enseignant d’anglais, spécialisé dans la littérature contemporaine mais aussi en littérature du XVIIème (et cela se sent !) à l’université catholique de Saint-Jérôme à Waterloo, dans l’Ontario, dans les années 80 il publie des nouvelles dans des revues littéraires avant de les regrouper dans un recueil paru en 1987. Puis il écrira quatre romans publiés en France chez Christian Bourgois Editeur, dont un policier, Mysterium (1999). Le plus réputé, Le nuage d’obsidienne (2016), a été aussi reconnu comme son meilleur roman par la critique américano-canadienne.
L’histoire est
presque impossible à résumer. Elle est racontée par un tiers et se déroule en
majeure partie au Canada, à Camberloo, même si le lecteur est amené à voyager
pas mal dans le monde et les années au fil des pages. Le narrateur est le
voisin d’un professeur d’histoire vieux et malade, Thomas Vanderlinden. Lorsque
ce dernier est hospitalisé en fin de vie, il va le voir plusieurs fois de
suite. A son chevet, il écoute son récit en prenant des notes. Le professeur
lui confie l’histoire de sa propre vie mais surtout celle de sa mère Rachel,
amoureuse et mariée deux fois sans avoir jamais divorcé.
Au début de la narration, Rachel Vanderlinden est amoureuse et mariée avec
Rowland, anthropologue passionné par son métier et les voyages. Après une
mission plus longue que d’habitude, il lui annonce son retour. Rachel l’attend
avec une grande envie de le revoir et de lui parler. Sur le pas de la porte, un
homme… Un homme qui n’est pas son mari mais qui lui dit : « Je suis votre mari ». Et le
message semble passer. Entre eux, parce que le pauvre lecteur, lui, est ballotté
dès ce retour dans tous les continents par tous les temps et pendant des
lustres avant d’avoir la clé de l’énigme dans les pages finales. Cet homme se
disant son époux, Rachel se prend à l’aimer follement et le fait passer pour
son véritable mari. Deux ans plus tard, il part à la Grande guerre et n’en
revient pas. Le cœur brisé, Rachel vit l’essentiel de sa vie avec son fils
Thomas. Au moment de mourir, elle décide d’éclaircir le mystère qu’elle a
enfoui en elle toutes ces années et d’envoyer son fils à la recherche de
Rowland, son premier et vrai mari,
pour qu’il lui dise enfin la vérité sur l’homme qu’il a envoyé pour le
remplacer auprès de sa femme.
Raconté ainsi, ça semble fou. Et ça l’est bien davantage encore. Les fausses retrouvailles du faux époux et de la fausse épouse (entre autres), par lesquelles commence réellement l’histoire, sont inénarrables, follement drôles ou drôlement folles… Mais que le lecteur se rassure : s’il est un peu perdu dans la chronologie et dans les lieux dans les toutes premières pages, très vite l’auteur lui fournit toutes sortes de véhicules terrestres, navals ou aériens (auxquels ne manque que la trottinette électrique !) pour se déplacer dans des aventures à la fois rocambolesques, écolo-anthropologiques. Et l’emporte jusqu’à un final émouvant, logique et bouclant totalement la narration. L’aventure est présente à toutes les pages.
L’écriture du roman est enlevée, fluide, visuelle grâce à son riche vocabulaire et non dénuée d’humour.On ne s’ennuie jamais, le souffle romanesque est constant : les paysages, les époques, les peuples et les personnages traversent l’histoire en tous sens sans jamais nous lasser ou nous lâcher… Comme les auteurs « populaires » d’il y a deux siècles et comme le refait Pierre Lemaître avec bonheur tout en le revendiquant dans Couleurs de l’indendie, Eric McCormack prend le lecteur à témoin, il s’adresse (in)directement à lui par l’intermédiaire de son narrateur. Par sa plume vive et descriptive, sa construction habile, complexe et maîtrisée, L’épouse hollandaise est là encore une vraie bonne surprise de lecture.Une régalade.
Mon avis sur le
livre. De nos jours, les romans d’aventure pure ne courent plus les
étagères des librairies. Désuets, démodés, d’un autre temps… ils semblent
déconsidérés ; pourquoi ? Peut-être parce que les romanciers
d’aujourd’hui croisent des personnages et sont témoins d’une actualité qui les
mettent en face d’histoires si dramatiquement « romanesques » qu’ils
n’ont nul besoin de faire appel à leur imagination ou à leurs lectures.
Pour « preuve », entre autres, une phrase aucunement anodine
d’Arnaldur Indridason : « La
littérature jette un éclairage sur la vie comme aucune forme d’art ne peut le
faire ». Plus que jamais les écrivains, et plus encore les romanciers,
sont les témoins et les rapporteurs de leur temps. L’histoire s’écrit à marches
forcées à travers les histoires individuelles. De là à dire que le monde va mal
et que le malheur, la misère et l’injustice sont sources d’inspiration pour les
écrivains… je le dis ! Car les aventures contemporaines ont rarement une
fin heureuse…
Mais Alexandre Dumas, Jack London, R.-L. Stevenson, Joseph Conrad, Lawrence Durrell père, Jules Verne ou Daniel Defoe pour ne citer qu’eux sont morts, enterrés et jamais remplacés dans leur registre littéraire longtemps considéré par défaut comme populaire, avec la connotation négative que ce mot a toujours aujourd’hui. Il est vrai que jusqu’au début du vingtième siècle voire son mitan, le lecteur avait moins de choix pour satisfaire ses envies de lire : il pouvait lire des poèmes, des romans policiers, des livres d’histoire ou de philosophie et… ce qui était couramment appelé et l’est encore la littérature populaire. Certains auteurs contemporains très doués en commettent pourtant quelques-uns qui nous régalent, mais ils s’appuient souvent sur un fond historique, une limite de temps et d’espace. Ainsi Pierre Lemaître ou Jean-Christophe Rufin au hasard mélangent-ils avec un grand art plusieurs genres littéraires mariant l’histoire, la politique à l’intrigue policière voire au thriller, réjouissant le lecteur et raflant de grands prix littéraires au passage.
Alors, quand on tombe sur L’épouse hollandaise, écrit d’une plume ciselée par un auteur peu prolixe, on ouvre grand ses mirettes, on se laisse embarquer un peu partout dans le monde et on dévore les pages à belles dents… L’histoire est surprenante, l’écriture fluide, l’ensemble inattendu et distrayant. Jouissif.
Ce roman au titre énigmatique (ne comptez pas sur moi pour en dévoiler le véritable sens), est à la fois un thriller familial au suspense constant et un formidable roman d’aventure maîtrisé dans le temps et l’espace. Avec des invraisemblances dans les faits et des vérités éternelles dans les réflexions des personnages… L’auteur, conteur hors pair, utilise une tierce personne pour raconter, ce qui n’égare pas le lecteur loin s’en faut en dotant le récit d’un fil conducteur grâce aux rencontres à l’hôpital du plus jeune et du plus vieux personnage, le lit d’hôpital faisant office de cheminée… Eric McCormack ce roman addictif est pour vous
Inattendu. Au-delà du roman d’aventures. De nombreux thèmes sont abordés, notamment l’amour et le respect des animaux de certains personnages. Les livres, les bibliothèques qui en sont remplies et la difficulté au quotidien du métier d’écrivain, évoquées par le narrateur, lui-même peinant à terminer son roman, un western écossais (!).
Page 126 : « De temps en temps, il songeait une fois de plus à ce qu’il aimait tant dans la lecture : elle rendait le monde matériel et jusqu’à sa personne physique comme superflus. C’était en effet comme la pensée, le cheminement de la pensée en soi ».
Une belle histoire d’amour aussi que ce roman avec une belle pensée sur le sentiment amoureux, sûrement très partagé, page 234 : « Cependant, c’est extraordinaire d’avoir eu un grand amour dans sa vie, non ? Même s’il est tragique ».
Une réponse
Me voilà pour une fois en désaccord avec la serial lectrice. La dimension romanesque m’a totalement échappé et le livre, malgré un début plus que prometteur m’est finalement tombé des mains.