Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

La déposition ⇜ Pascale Robert-Diard

Sorti en janvier 2016 aux Editions L’Iconoclaste. 240 pages. Chronique judiciaire.

[quote]En deux mots
Ecrit comme un thriller haletant, La déposition est le dernier rebond et l’épilogue judiciaire de l’affaire Agnelet, qui a défrayé la chronique pendant des décennies. Mais c’est d’abord et avant tout une saga familiale. Celle d’une famille brisée par la révélation d’un lourd secret. La vérité n’est pas seulement libératoire. Très bien écrit et passionnant de bout en bout.[/quote]
L’auteure. Pascale Robert-Diard a commencé sa carrière comme journaliste politique. Depuis une quinzaine d’années, elle est chroniqueuse judiciaire au journal Le Monde. Elle tient un blog très intéressant dans lequel figurent toutes ses chroniques.
Le style. Impeccablement écrit, le livre est d’une grande précision et d’une grande concision tout à la fois. Le style s’adapte au tempo du procès, à la fois vif, juste et pointu pour ce qui est déroulement des séances, et plus explicatif quand il le faut. Lors du procès de 2014, Pascale Robert-Diard s’attarde sur l’attente fébrile de toutes les personnes présentes : familles, témoins, journalistes, cour, et délivre la sentence en deux lignes, avant de la détailler par le menu sur plusieurs pages. Un grande maîtrise du rythme dans la chronique judiciaire, qui démonte les rouages de la justice et dénoue tout l’entrelacs des retournements de situation. Autre détail important, le choix du narrateur. Le «je» sujet, c’est bien la chroniqueuse judiciaire qui rédige les pages du livre ; ce sont les paroles de Guillaume, le fils, qui les remplissent. L’histoire est racontée essentiellement de son point de vue, donc de l’intérieur de la famille même si Guillaume ne s’y sent plus vraiment intégré.
L’histoire. En avril 2014, au palais de justice de Rennes, l’auteure assiste au troisième et dernier procès de Maurice Agnelet. C’est l’ultime conclusion d’une saga judiciaire vieille de trente-sept ans. Ancien avocat, franc-maçon, président départemental de la Ligue des droits de l’homme, Maurice Agnelet est accusé d’avoir en 1977 assassiné sa maîtresse, Agnès Le Roux, riche héritière des casinos de Nice, et d’avoir fait disparaître son corps. Déjà jugé deux fois, condamné, gracié, recondamné puis reblanchi faute de corps − donc de preuves −, il partage sa vie entre Chambéry et Paris où il vit avec son fils Guillaume, et des séjours à l’étranger, notamment au Canada avec sa nouvelle femme.
Officiellement, Maurice Agnelet a toujours nié le meurtre d’Agnès Le Roux. Mais en coulisses, il a confié à son fils Guillaume (alors âgé de quatorze ans) qu’il sait où se trouve le corps. Il connaît la loi sur le bout des ongles et lui déclare avec cynisme : Tant qu’ils ne retrouvent pas le corps, je suis tranquille, et moi, le corps, je sais où il est.
Plus tard, sa mère lui dit elle aussi que son père «est le diable» et qu’il a tué Agnès Le Roux, propos qu’elle reniera plus tard. Guillaume devra vivre avec ce secret toute sa vie. Pire, il sera toujours du côté de son père et son meilleur défenseur. Il faut dire qu’il est le second de la fratrie de trois, «le fils du milieu», et qu’il a toujours voulu être «un bon fils» aux yeux de son père. Jusqu’à ce qu’il se décide à parler, estimant que la vérité ne pourra pas faire plus de mal que le mensonge. Il a alors quarante ans.
En 2014, Guillaume fait une déposition au tribunal de Chambéry dans laquelle il déclare que son père est coupable du crime dont on l’accuse. Il viendra réitérer ses dires au procès de Rennes. Bouleversée, Pascale Robert-Diard écrit à Guillaume et lui demande une rencontre. Elle veut comprendre comment et pourquoi une affaire aussi vieille peut encore soulever autant de passion, et comment cette famille, Guillaume en particulier, a pu se laisser manipuler par un père assassin qui, comme a dit Camus dans Les Justes, et Maurice le cite : «a choisi d’être innocent» !
C’est ainsi que la mécanique va se reconstruire pour nous depuis les tout débuts de l’affaire. Petit à petit, l’histoire du meurtre laisse la place à celle de Guillaume qui raconte le séisme, les ravages que l’affaire a causés au sein de la famille et sur lui en particulier, qui avait huit ans au moment des faits.
Mon avis sur le livre. C’est un livre qu’il est difficile de lâcher. Même si l’histoire qui court sur plus de trente ans est racontée en un long retour en arrière, au plus près de la réalité, on la suit toujours avec une grande attention car les événements s’enchaînent vite et nous assistons à la lente mais inexorable évolution des sentiments de Guillaume, jusqu’à la prise de décision finale qui fera condamner définitivement son père et éclater la cellule familiale ou ce qu’il en restait.
Au passage, j’ai appris quantité de choses sur le fonctionnement des procès d’assises : les investigations (plus longues quand il n’y a pas de cadavre), les interrogatoires, les entretiens, les procédures judiciaires, qui expliquent, bien souvent, ce que l’on a coutume d’appeler «les lenteurs de la justice».
L’auteure décrit avec force détails les minutes du procès, ainsi que les états d’âme des avocats et même du président de la cour d’Assises. J’ai eu l’impression d’être assise dans les rangs du public et d’écouter les différents intervenants faire leurs déclarations, leur «déposition» en ce qui concerne Guillaume, terme dont la définition du Littré nous est donnée en exergue du livre : «Action de poser hors, de remettre. Action de destituer une personne. Ce qu’un témoin affirme en justice».
Pascale Robert-Diard décrit à merveille la tension qui règne dans les rangs des participants et des spectateurs lors des procès d’assises. Ainsi elle nous dit : Alors commence l’attente. Ces heures ne ressemblent à aucune autre. On n’ose pas trop s’éloigner du palais, on interprète chaque signe, on se surprend à céder à toutes les superstitions pour remplir ce temps de plomb. Les histoires que content les avocats dans les dîners d’après-procès sont pleines de ces attentes-là.
Mais au-delà du thriller judiciaire, le plus intéressant reste l’histoire de la famille Agnelet. Ses déchirements, ses périodes de haine incompréhensible entre les frères, entre la mère et Guillaume et, par-dessus tout, la fascination, l’emprise qu’exerce le père («le diable» comme l’a appelé un jour sa femme) sur tous les membres de la famille et leurs proches alors même qu’il est très loin d’eux ou en prison. Jusqu’au basculement de Guillaume qui ne supporte plus de vivre avec le mensonge et va tenter d’entraîner sa mère et son frère à dire eux aussi la vérité. Que fait-on avec une phrase pareille à quatorze ans ? On la regarde descendre tout au fond de soi, dans la nuit. On se dit que peut-être on a mal entendu. Ou qu’on a rêvé. On se tait, surtout. On se sent sale d’avoir acquiescé. Parce qu’à cet instant-là, Guillaume n’a rien trouvé de mieux à faire que d’acquiescer. Il a d’abord retenu cela, cette assurance de son père qui le rassurait lui-même.
Nous voyons tout au long du récit comment ce mensonge a ruiné sa vie, étape par étape, l’enfonçant dans le mensonge, le déni et la pseudo-complicité morale. Même si la justice ne prévoit aucune sanction pour des personnes qui ne dénonceraient pas un membre de leur famille. Comme nous pouvons le lire : La loi, qui connait mieux la vie qu’on ne le dit parfois, a prévu des cas comme ça. Elle dit que lorsqu’on est le père, la mère, le frère, la sœur, l’enfant  ou le conjoint de l’auteur d’un crime ou d’un délit, on ne peut pas être puni pour ne pas l’avoir dénoncé. Que se taire n'est pas un délit pénal mais un conflit moral qu’il appartient à chacun de résoudre comme il peut. Elle concède aussi à la famille le droit de mentir, en la dispensant de prêter serment à la barre des témoins.
Cette décision sera peut-être aussi lourde de conséquences que le meurtre lui-même et le comportement du père. L’épilogue judiciaire n’est en rien la fin de l’histoire et n’apporte aucun apaisement à la famille du coupable. Dans une famille aussi déchirée et manipulée par une personne, il n’y a pas de place pour les sentiments. Les frères se déchirent, leur mère s’obstine à faire comme si elle croyait son ex-mari innocent, ce qui crée entre elle et son fils des tensions et des conflits irréversibles. Loin de le protéger, elle l’accable de reproches.
Qu’importe, il ne regrette pas d’avoir fait sa déposition car il l’a bien compris, le secret tue plus que la vérité, même si elle doit se transformer en cyclone et tout dévaster sur son passage...
Au final, La déposition est un livre qui m’a tenue en haleine de bout en bout, que j’ai eu du mal à lâcher et dont l’histoire m’a émue. J'en suis la première étonnée car les faits divers ne sont et ne seront jamais je crois ma tasse de thé. Je préfère de loin les romans même si, justement, ils racontent ou s’inspirent de faits divers. Loin d’être une simple chronique judiciaire, il analyse les conséquences qu’une affaire non résolue peut avoir sur toute une famille. C’est une lecture que je recommande, d’autant qu’elle se fait vite.

Commentaire(s):

  1. Lu, effectivement à toute vitesse, "La déposition" qui rassure sur le bien-fondé de la justice.
    Récit remarquable qui démontre parfaitement qu'un seul individu malfaisant, manipulateur de surcroît, peut détruire de nombreuses vies. Edifiant !
    Merci à Cathy pour sa belle chronique.

  2. Le récit de ce fait divers m'a intéressé. L'auteure a bien décrit la psychologie des personnages: le père manipulateur, le fils tourmenté par le mensonge. Elle a su traduire l'atmosphère des tribunaux avec justesse. Ce livre m'a plus.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.