Sorti en août 2013 chez Christian Bourgois. 156 pages. Premier roman. Traduit du néerlandais par Danielle Losman.
L’auteur. Toine Heijmans est né en 1969 aux Pays-Bas. Il est journaliste de profession. En mer est son premier roman. Il a obtenu le Prix Médicis Etranger 2013.
L’histoire. Trois mois de congé sabbatique proposés et payés par son patron, ça ne se refuse pas. Donald accepte, il en profitera pour partir en solitaire sur son voilier. Cerise sur le bateau, pour la dernière étape, il prendra avec lui sa fille Maria, sept ans. Sa femme Hagar est d’accord et la lui amènera en autocar sur le lieu du dernier embarquement, au Danemark d’où ils rejoindront en deux jours le port d’Harlingen, Pays-Bas. Le père et la fille sont complices, totalement à l’aise, l’aventure se déroule ‘comme dans un rêve’. Jusqu’à la deuxième nuit. Une tempête qu’il n’a vue venir qu’au dernier moment se déclare et la situation se détériore très vite. Vagues gigantesques, vent déchirant, grêle violente… le bateau risque gros… Donald contrôle tout, vérifie les cartes, le matériel, note les positions et remplit le journal de bord toutes les heures. Il se parle à lui-même, se récite les consignes afin de mieux les appliquer, il prend le lecteur à témoin. Il a de plus en plus de mal à garder le contrôle. Ses réactions deviennent incohérentes, il est fatigué, c’est sa deuxième nuit blanche. Quand il descend dans la petite cale pour voir si la tempête n’a pas réveillé Maria, il ne la trouve pas ! Elle a bel et bien disparu avec son ours blanc en peluche… Le rêve s’est transformé en cauchemar…
Le reste se dévore d’une bouchée.
Le style. En mer est un premier roman. Et pourtant il se distingue tout de suite par son style spontané et maîtrisé. De temps à autre de très belles descriptions de la mer et du ciel, notamment des nuages. On sent que l’auteur a de belles facilités d’écriture. Le ton peut se faire mordant, ironique, voire caustique. Toujours chaleureux et tendre quand il parle de sa fille, ou quand il s’adresse à elle. L’ensemble est agréable à lire, on ne décroche pas. Le roman est divisé en trois parties : la première court du départ avec Maria jusqu’à la disparition de celle-ci. La seconde revient en arrière, quelque temps avant le ‘vrai’ départ de Donald seul et s’arrête elle aussi à la disparition de Maria. Enfin, la troisième reprend là où s’étaient arrêtées les deux premières, là où commence le ‘vrai suspense’. Cette construction un peu anachronique ne gêne en rien la lecture et sa compréhension, au contraire. L’auteur maîtrise totalement son récit là aussi.
Mon avis sur le livre. Les premiers romans, j’aime. Surtout quand ils commencent comme celui-ci par une belle description de nuages. Le suspense psychologique bien mené, j’aime. Et si ça se passe en mer, alors j’embarque avec le capitaine. De retour sur terre, je fais le point sur ce que je viens de lire.
En ce qui concerne le suspense, j’ai trouvé du bon et du moins bon. Du bon, du très bon même car la tension monte jusqu’au bout et les indices nous sont donnés de façon très parcimonieuse, sous forme de jeux de mots assez subtils ou de petites réflexions de Donald lui-même, comme s’il nous apportait la clé dans un coffret. Je me suis souvent surprise à penser ‘tiens, tiens, tiens, cette expression, cette phrase est peut-être importante’. Soulignons que ces pistes sont vraies ou fausses… Mais, en abordant la rétrospective des quelques mois précédant le départ, j’ai pensé que ce pauvre Donald n’allait pas si bien que ça, qu’il y avait sûrement matière à creuser de ce côté-là. Plus on en apprend sur le père de Maria, plus les doutes s’installent, plus les questions pleuvent. L’enfant est-elle tombée par-dessus bord par manque de vigilance du père ? Faut-il s’attendre à pire encore ? La réalité est-elle bien celle que l’on nous raconte ? Donald est-il en train de perdre la raison ? Maria peut-elle encore être sur le bateau ? Pour ceux qui l’auraient lu, j’ai même eu une petite pensée malsaine du côté de Sukkwan Island. Pourtant, si cette seconde partie apporte des éléments importants pour la compréhension de l’histoire, que l’auteur nous ‘livre’ à la toute fin du récit, elle m’a semblé longue, trop longue pour l’intérêt présenté. Cela aurait pu être intégré à la première partie. Mais bon… Heureusement, le suspense reprend à toute allure, chamboulant ou confirmant tout ce que l’on croit avoir saisi, et la tension ne retombe qu’à la dernière page.
L’étude psychologique du personnage est assez fouillée et nous découvrons en lui une épaisseur humaine touchante. Il connaît des déboires dans sa vie professionnelle, l’on devine que son couple est fragile et que sa vie privée n’est pas non plus au mieux de sa forme. Alors, son désir fou de tout bien faire, de tout gérer au mieux, de ne rien rater dans cette traversée est le pendant du besoin qu’il a de démontrer qu’il est capable, qu’il assume. Un collaborateur capable, un mari, un père capable, un homme capable. Ce qu’il demande, ce qu’il implore (en se répétant et en nous répétant qui il est et ce qu’il doit faire là, maintenant, dans l’immédiateté de la tempête, pour continuer à l’être), c’est juste la reconnaissance. Les difficultés auxquelles il est confronté dans l’histoire, la tempête qu’il affronte sont en quelque sorte une occasion de se confronter à lui-même et de remporter le véritable challenge, celui de sa reconnaissance. Un huis-clos en solitaire. Ce qui nous amène au passage à réfléchir sur la place de l’homme dans la société d’aujourd’hui où celui qui ne rentre pas dans les standards est considéré comme inadapté voire anormal.
Mais En mer n’est pas seulement un ‘thriller maritime’. Sans qu’elles gênent en aucune manière l’intensité dramatique du roman, nous trouvons des réflexions intéressantes sur le monde de la mer et celui de la navigation : des gardiens de phare aux passagers des gros paquebots de croisière qui revêtent leurs habits chics pour le repas du capitaine, sur les traversées solitaires… D’autres plus générales sur la vie de couple, le rôle du père dans la famille, sur le harcèlement professionnel déguisé et le mal-être au travail.
Enfin, j’aurais pu relever plusieurs passages, notamment de très belles descriptions ainsi que des petites phrases énigmatiques et suggestives habilement dispersées dans les pages mais le jeu étant risqué, je préfère que le lecteur les trouve seul.
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En deux mots
Un personnage tourmenté, une mer déchaînée et une enfant de sept ans qui disparaît du voilier de son père, des fausses et des vraies pistes… Le suspense est prenant, le lecteur déboussolé. Dans un style hachuré de monologues, précis et juste… Un bon –premier– roman qui se lit non-stop. Et un auteur à suivre.
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