SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Dans l’écho lointain de nos voix ⇜ Brandon Hobson - Brandon Hobson - BouQuivore.fr

Brandon Hobson enseigne la littérature à l’université d’État du Nouveau-Mexique et à l’Institute of American Indian Arts de Santa Fe. Finaliste du National Book Award et lauréat de la fondation Guggenheim en 2022, ses textes ont été publiés dans de nombreuses anthologies et revues littéraires. Il appartient à la nation des Cherokees de l’Oklahoma.
(Source : Albin Michel, comme la photo : rabat de couverture du livre).

Après un court prologue qui raconte le dernier jour de la vie de Ray-Ray, un 5 septembre, veille de la célébration d’un événement “important” pour les derniers Amérindiens, l’intrigue commence quinze ans plus tard et nous relate l’après Ray-Ray au présent.

L’histoire. Dans un supermarché de Quah (Oklahoma), le jeune Ray-Ray, d’origine Cherokee, a une altercation avec deux hommes dont l’un tire un coup de feu ; un policier présent tire sans sommation sur Ray-Ray et l’abat. Il n’a que quinze ans. Le policier dira que Ray-Ray était armé d’un pistolet, et affirme avoir cru que c’était lui qui avait tiré. On le croit bien évidemment ; la mort de l’adolescent étant considérée comme une “bavure”, il n’y a pas de procès…
Ray-Ray faisait le bonheur de toute sa famille. Agréable, pitre, comédien, facétieux, imitateur, il était facile à vivre et heureux de vivre, faisait rire son frère, sa sœur et ses parents, très fiers de lui. Un joyeux petit luron adulé par tous les siens.

En un seul geste inconsidéré et impuni, la famille Echota, unie comme les cinq doigts de la main, se voit amputée de l’un d’eux. Les quatre autres sont atterrés et au fil des ans les relations se délitent malgré les efforts de chacun.

La plus touchée, bien naturellement sa mère, Maria, assistante sociale depuis seize ans pour la tribu, très motivée par son travail, dont elle nous dit : “J’ai fait toute ma carrière dans le social, pour servir la justice dans un monde qui me donne l’impression d’en manquer. Je voulais sauver les enfants et les familles qui étaient sur le point de tout perdre. Je voulais qu’ils aient une chance de s’en sortir”. Elle n’est toujours pas remise au moment où commence l’histoire, quinze ans plus tard, quelque jours avant l’anniversaire de la mort de son fils. Outre la douleur de la perte, elle ne conçoit pas que le policier qui a tué son fils coule à présent des jours de retraite heureux dans la même ville qu’eux et rêve souvent de faire justice elle-même.
De plus, son mari Ernest, le père des enfants, est atteint de la maladie d’Alzheimer depuis quelque temps et Maria suit de près et avec appréhension l’évolution de la maladie.

Quant aux deux enfants, Sonja l’aînée et Edgar le plus jeune, ils ont eux aussi accusé le coup. Sonja “semble” peut-être la moins touchée : la trentaine célibataire quand commence l’histoire, elle est indépendante mais habite juste à côté de ses parents. Elle aime flirter avec des hommes plus âgés qu’elle et revendique ses choix.
Enfin, le plus jeune fils, Edgar, encore enfant à la mort de son frère, est devenu un junkie accro à l’alcool, aux médicaments et la méthamphétamine. Instable et tourmenté, il vit de petits boulots à Albuquerque avec sa petite amie Rae, qui vient de le quitter. C’est peut-être Edgar et son grand désarroi qui nous font le plus de peine. Il reconnaît avoir pâti à titre personnel de la mort de son frère, qu’il aimait pourtant, en s’étant mis en tête que, même mort, Ray-Ray était plus important que lui pour ses parents. Une jalousie de gosse qui lui est restée. Ses tentatives pour s’en sortir et ce qui lui arrive dans l’histoire nous bouleversent.
Edgar m’a fortement fait penser, pour ses addictions, au petit Demon Copperhead du dernier roman de Barbara Kingsolver (chez Albin Michel dans la même collection Terres d’Amérique de Francis Geffard) chroniqué dans ces pages, mais en moins désespéré. Loin de le désaimer, de le rejeter, ses parents l’encouragent à se désintoxiquer, seule façon d’accéder une possibilité de bonheur.

En quinze ans, la famille n’a jamais cessé de penser à la mort subite de Ray-Ray. Après que le temps a fait son travail “d’adoucisseur” durant dix ans, ils commémorent ensemble le triste événement depuis les cinq dernières années. Célébrée tous les 6 septembre par une soirée “feu de joie”, la mort de Ray-Ray donne aux membres de sa famille l’occasion de se réunir, de parler d’eux, de lui en se remémorant  les meilleurs moments passés tous ensemble ou seul(e) à seul(e) avec Ray-Ray. Rien de triste, au contraire : des anecdotes amusantes, des souvenirs gais, l’évocation des anciens et de leurs fantômes, leurs ancêtres notamment. Des retrouvailles rituelles mais agréables devenues nécessaires pour cette famille éprouvée. Et une façon de veiller les uns sur les autres.

Dernier élément de l’histoire de la famille Echota : l’arrivée imminente de Wyatt, un enfant de douze ans qui va rester parmi eux le temps que le juge des affaires indiennes décide s’il va être confié à ses grands-parents ou à une famille d’accueil. Coïncidence (?), destin (?), le petit Wyatt ressemble à Ray-Ray en bien des points, les imitations, les facéties, le caractère facile et enjoué et la gentillesse notamment. Adorant l’école, le sport et la lecture, c’est l’enfant que tout le monde aimerait avoir aujourd’hui à la maison. Il bouleverse dès son arrivée les parents de Ray-Ray, Ernest voit même ses souvenirs remonter en pagaille à son contact. Chacun souhaite ardemment que Wyatt reste avec eux pour toujours.

Voilà. Je n’en dirai pas davantage sur l’intrigue, la “petite” histoire des personnages, avec les flashbacks  pour nous aider à mieux comprendre le présent. Le temps de l’histoire est court, moins d’une semaine, pourtant  la tension est présente : l’issue de cette semaine aura une importance capitale avec des conséquences pour chacun des personnages, y compris Wyatt dont la présence a rendu la joie de vivre en un temps record à toute la famille ; la décision de son  placement et la présence (ou l’absence) d’Edgar au feu de joie sont les deux facteurs déterminants. Et cette semaine s’allonge dans le temps avec tout ce qu’elle contient en filigrane : l’histoire d’un peuple dépossédé de tout et massacré depuis et pendant des siècles. Le 6 septembre est une date importante à ce titre. Je vous laisse découvrir la fin, juste bouleversante.

Pour ce qui concerne la forme, nous sommes dans un roman choral. Les personnages s’y expriment tour à tour avec leurs propres mots, ce qui amplifie la franchise et la spontanéité de leurs propos et de leurs pensées intimes.
Le roman est très bellement écrit,et tout aussi bien traduit, dans un style qui diffère, chapitre par chapitre, en fonction de la personne qui en devient le “je”.
De belles descriptions parsèment les pages et l’ensemble se lit avec une grande émotion qui tient aux personnages. Certains passages sont d’une beauté stupéfiante et, en ce qui concerne les anciens et leurs visions hallucinatoires, nous croyons ce que nous lisons quand bien même cela peut sembler surréaliste.

S’ils sont au nombre de quatre, dans leur vie de tous les jours, un cinquième personnage, Tsala, prend la parole de temps à autre, à la première personne lui aussi, pour nous raconter une histoire plus ancienne et plus dramatique encore.
C’est la voix de son peuple, celle du peuple indien tout entier, persécuté, massacré, “déplacé” qui s’adresse à un “tu” un peu général. “L’écho lointain de nos voix”, c’est lui, c’est son peuple qui dévoile un pan important de l’histoire de l’Amérique.
Malgré les différentes époques évoquées et la choralité du roman, l’ensemble est d’une grande fluidité, aisé à lire pour le lecteur, qui n’est jamais perdu. Là encore, la qualité indéniable de la traduction est à souligner.


Un regard sur le livre. Cette lecture m’a profondément touchée. Tant par la tristesse de son histoire que par ses personnages, simples et émouvants, bouleversants même par moments. Leurs voix fortes portent leur histoire présente et passée. En continuant tous, y compris le plus perdu, Edgar, d’avancer – ou d’essayer de le faire – malgré la mort injuste de Ray-Ray, ils retiennent notre attention, attirent notre sympathie. Comme tous leurs “frères”, même de tribus différentes, leurs liens familiaux forts avec un amour à toute épreuve, leur solidarité et disons-le, leur bonté naturelle toutes générations confondues ont traversé des siècles (pas loin de sept entre 1492 et 2024), sans que jamais ils renoncent à leurs rites, leurs croyances, leurs coutumes, leurs fêtes. Pas même aujourd’hui alors que leur population s’amenuise dans les réserves. La grande dignité des Indiens face à ceux qui leur ont tout pris est toujours intacte, leur soumission tenant plus du désabusement, de la lassitude que de la faiblesse. Et, bien évidemment, de leur éparpillement dans les réserves et de leur petit nombre.

C’est grâce à ces cinq personnages, y compris Wyatt, et à la voix de leur peuple tout entier à travers celle de Tsala, que ce roman est à la fois une lecture triste et remplie d’espoir. Car si la rancune est là, légitime et fondée par l’iniquité originelle, il est davantage question pour la famille après ces quinze années, d’un sentiment d’injustice et de non reconnaissance de la faute commise. Travaillant pour la justice sociale des enfants de son peuple, Maria a souvent pensé à se venger elle-même mais elle s’est toujours tempérée, essayant de pardonner, sans y parvenir, à l’assassin de son enfant. Tout  en veillant à ce que les deux autres restent en vie et s’en sortent au mieux. C’est une femme admirable. Une mère et une épouse amérindienne pour qui la famille est primordiale.

Après la mort injuste de Ray-Ray et la survie de sa famille sans lui, l’autre sujet essentiel du livre en constitue la toile de fond : il s’agit de l’Histoire, la grande Histoire des Amérindiens qui sous-tend toutes les thématiques : racisme systémique notamment chez les policiers, conditions précaires et injustes des derniers Amérindiens “regroupés”, non, déplacés en Oklahoma, liens familiaux très forts et respectueux chez eux, ravages des drogues (et de l’alcool), spiritisme, clairvoyance – prophéties, même – et présence de leurs Anciens sous différentes formes, visibles ou non…

Cette histoire commence comme celle de tous les pays et de tous les continents : à l’aube de l’Humanité debout. Mais elle a dévié de sa route à la fin du XVe siècle, depuis que les Européens, les hommes blancs, ont été en mesure de traverser les mers et les océans avec d’énormes et solides bateaux. Pour ce qui concerne les “Etats-Unis” d’aujourd’hui, elle commence quand Christophe Colomb a découvert l’Amérique alors qu’il était certain d’avoir atteint les Indes par l’Ouest. Ces dernières (l’Asie du Sud et du Sud-Est) lui semblaient plus accessibles par l’Ouest, les routes orientales, notamment La Route de la Soie étant dangereuses au niveau de l’Empire Ottoman.
Son premier voyage en 1492 l’amènera à San Salvador (Guanahani de son vrai nom), dans les îles Bahamas et la mer des Antilles, qu’il traversera plus tard lors d’autres voyages pour arriver finalement sur le continent américain, et comprendre très vite que les peuples l’habitant (joliment appelés “Indiens”, “Indigènes”, “Premières Nations”, “Autochtones”) n’étaient que des “sauvages” faciles à berner, asservir, spolier, esclavager. Et que ce grand “pays” regorgeait de richesses en tous genres.
Christophe Colomb, qui n’a jamais su de son vivant qu’il avait découvert (ou plutôt redécouvert) l’Amérique, en est devenu le premier exploiteur. Au prétexte de civiliser ces populations païennes grâce aux missions chrétiennes, des milliers de futurs colons sont arrivés par bateau, reçus avec une grande joie et comblés de cadeaux. Et leur apportant dans leurs soutes de l’alcool, des armes et des virus mortels.

Naturellement, les Espagnols (les Conquistadors) n’ont pas été les seuls explorateurs à vouloir profiter des richesses des pays lointains. Jacques Cartier a découvert le Canada et, bien avant, Marco Polo une grande partie de l’Asie, à cheval.
Chaque pays européen en mesure de traverser l’Atlantique en bateau a envahi, spolié et esclavagé les Indigènes des pays où il arrivait. Ce dans tous les continents et utilisant la torture s’il le fallait.
Dans le “seul” but de les coloniser, les civiliser, les évangéliser. Quitte à les exterminer.
Les Européens se sont tout simplement « partagé” l’Amérique au fil des décennies, comme ils le feront plus tard avec l’Afrique et l’Asie.

Ont suivi deux grandes ruées, celle de l’or jaune et celle de l’or noir qui, toujours épaulées par les messagers en habit d’un Christ censé chasser les démons auxquels croyaient ces sauvages, ont enrichi les colons. L’Eldorado américain aura été un paradis pour bon nombre d’entre eux.
Mais ceux qui ont échoué sont restés et se sont installés sur les terres… indiennes pour les cultiver ou y élever leur propre bétail. Exit les nobles bisons.
Les Britanniques ont peut-être été les maîtres en matière de barbarie au moment de la ruée vers l’or, mais tous les Européens ont contribué au désastre car le pétrole noir a succédé à l’or jaune et là encore une violence absolue a régné. Avec en sus la destruction des sols, de l’eau et de l’air.

Du jamais vu jusque là et depuis : en quelques décennies presque tous les bisons d’Amérique ont été massacrés afin d’affamer les derniers Indiens. Depuis des millénaires, les bisons étaient pour les Indiens la plus importante source de nourriture. Vivant en parfaite harmonie avec les hommes, leurs troupeaux compacts les suivaient dans leurs déplacements (à pied pendant des millénaires ou à cheval une fois celui-ci réapparu, cadeau involontaire de colons espagnols en Amérique du Sud) ; leur nombre élevé autorisait les prélèvements des Indiens pour se nourrir et se vêtir avant tout. Ils leur vouaient un véritable culte, les Amérindiens vénérant le vivant (et ses esprits) et non pas un Dieu surgi de nulle part et dictant le mal. Ils n’agissaient pas “au nom de Dieu”, mais au nom du vivant et leurs totems si décriés par les colons symbolisaient les divinités naturelles qu’ils respectaient.

L’extermination (quasi totale) des Amérindiens a duré des siècles. Le massacre de plusieurs dizaines de millions de personnes vivant en tribus dans tout le continent américain, y compris le Sud, constitue un génocide qui n’a jamais réellement porté son nom sans doute en raison de sa durée, mais qui a remplacé un peuple constitué de tribus rivales parfois mais autonones, solidaires et animistes, par un conglomérat de colons blancs rivaux, avides, brutaux, disant agir au nom du Christ mais ne s’intéressant qu’aux richesses naturelles du continent. Une fois emporté tout ce qui était emportable, ils sont revenus s’installer sur les terres indiennes, se les appropriant par la force quand les sauvages résistaient.

La déportation va toujours de pair avec le génocide. Ceux qui ont malgré tout survécu ne devaient plus être un fardeau pour les colons qui avaient fini par devenir LES “Américains”. Entre 1831 et 1838, plusieurs tribus du Sud-Est des Etats-Unis dont les Cherokees ont fini par être déportées dans ce que les Anglais ont royalement appelé le “Territoire indien”, une réserve située à l’Ouest en Oklahoma dans laquelle les soldats ont conduit, dans des conditions de violence inouïes, depuis leur pays la Géorgie pour la famille Echota, après les avoir parquées dans des camps de détention. Les guerres mondiales n’ont rien “inventé”.

Cet épisode de la Piste des larmes (“The Trail of Tears”) a réellement existé et s’inscrit comme un chapitre sombre dans la longue et tragique période de l’histoire des Amérindiens que les Espagnols y ont mis leurs voiles… Il résonne de nos jours avec les migrations des pays en guerre et résonnera peut-être plus fort dans quelques décennies avec les migrations climatiques. Le passé, le présent, le futur. Et l’homme.
L’exil des Cherokees nous est raconté par Maria, qui a entendu ses ancêtres le raconter.
“Il y a des années, notre peuple, les Cherokees, a été exilé dans cette région après avoir emprunté la Piste des larmes. Un gouvernement tribal a été formé, on a construit des bâtiments et des écoles, et même inventé  un syllabaire”. Et plus tard dans les pages :

Et plus tard dans les pages :
“Je leur parlais de ma propre famille, de mes ancêtres qui avaient souffert sur la Piste des larmes après que le président Andrew Jackson eut forcé des milliers d’entre nous à quitter leur terre. Certains se cachèrent dans les montagnes, d’autres moururent. Ceux qui avaient survécu ont frôlé la mort, attrapant la rougeole ou la coqueluche, marchand dans le froid glacial de l’hiver, leurs pleurs noyés dans le vent cinglant. Des femmes allaient voûtées, une simple couverture sur les épaules.

la piste des Larmes
La Piste des larmes, un épisode tragique de la colonisation de l’Amérique.

Des hommes portaient des enfants. Ils tombaient à genoux, mouraient de pneumonie. Mes ancêtres ont réussi à rejoindre le “Territoire indien” en Oklahoma, où il tentèrent de prendre un nouveau départ. Quand j’étais petite, ce sont mes aînés qui m’ont appris la véritable histoire, celle du déplacement de notre peuple, parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’écoles pour aborder le sujet.
Ca, c’est sûr.


Je dirai pour finir que Dans l’écho lointain de nos voix est le mélange subtil d’un réalisme déchirant et de rites ancestraux toujours perpétrés (feux de joie, rêves éveillés ou cauchemars endormis, visions hallucinatoires, prophéties, croyance “religieuse” animiste dans laquelle toute vie est sacrée)… Et que l’on ne parlera jamais assez du problème du génocide des Indiens d’Amérique, les vrais Américains pour moi (même si le mot vient du prénom d’un commerçant navigateur Amerigo Vespucci contemporain de Colomb). Exterminés et dépossédés de leur terre pour de l’or jaune et de l’or noir. De l’argent. Je me suis souvent demandé si les Amérindiens étaient toujours dans leur continent et les Européens dans le leur exclusivement, la terre et ses habitants seraient aussi près de brûler. J’en doute.

De nombreuses nouvelles voix américaines, amérindiennes et/ou noires américaines, dont beaucoup sont féminines, nous emmènent dans leur passé et leur présent douloureux, nous permettent d’y voir plus clair que dans les livres d’Histoire officiels écrits par des Européens. Et je ne remercierai jamais assez Francis Geffard de me les faire connaître avec sa prestigieuse collection Terres d’Amérique chez Albin Michel.

ALORS, A QUOI CA SERT DE LIRE ? Ici, à comprendre avec certitude que l’Histoire n’est qu’une interminable succession de répétitions. Des guerres, des guerres, des guerres, l’une en entraînant une autre ou lui succédant. Et que les seules véritables richesses sont celles provenant de la nature et non de la main de l’homme. Enfin, que chaque livre recèle un épisode, glorieux ou honteux, de l’histoire mondiale. Ici, la Piste des larmes, particulièrement douloureux…

QUELQUES ÉCHOS LOINTAINS DE LEURS VOIX

La fusion avec la nature (de bien belles paroles de Maria) :
“Les soirées sont silencieuses et tranquilles. Parfois, le matin, je m’assieds sur cette terrasse, et je regarde une buse à queue rousse retourner dans l’arbre où elle a fait son nid, tandis que les carouges à épaulettes se retrouvent dans le nichoir. De temps à autre, quelques jaseurs d’Amérique se posent sur une branche, des pétales de fleurs de pommier dans le bec, et ils me regardent depuis leur perchoir. Au loin, ce soir, un brouillard se lève sur l’eau et je sens comme une présence se matérialiser. Nous habitons au bord d’une route de terre sinueuse près de Tenkiller Lake, dans une forêt de plaqueminiers, de chênes et de pacaniers, non loin des Cookson Hills”.

La puissante présence des Anciens,
que représente ici la voix de Tsala :
“Regarde le ciel, nous sommes là, prenant notre essor tels des faucons, décrivant des cercles. Nous sommes des oiseaux qui ressemblent à un chapelet de baies rouges sur fond de nuages. Nous sommes partout, les divinités occupent chaque précieuse parcelle de terre. Nous baignons dans l’eau de pluie, nous volons ensemble. Nous sommes une étincelle de lumière bleue dans la pierre, le panache de fumée et de poussière qui s’élève prestement, dessinant le contour flou des corps.
Nous sommes les porte-parole des morts, des nomades et des messagers, des vieux et des jeunes. La nuit, nous rôdons dans l’ombre des grands arbres, traversons les murs d’immeubles et de maisons abandonnés, les structures de béton, les murs de pierre et les ponts. Nous sommes ceux qui surveillent d’en dessous des eaux, qui s’élèvent comme de la brume, se déversent comme l’orage sur les champs, les jardins et les cours, volant par-dessus les tours et les toits et les arbres des vieux immeubles aux murs fissurés en étoiles. Nous nous révélons à ceux qui regardent. On a dit que nous étions une illusion, un cauchemar ou un rêve, les apparitions dérangeantes et tourmentées de l’esprit. Infatigables, nous perpétuons les rêves d’enfants et d’anciens, de ceux qui ont été harassés, malades, pauvres, blessés. De ceux qui ont été déplacés”.

(…)Et plus loin :
En 1838, le peloton d’exécution t’a abattu avant de m’abattre à mon tour. Ta mère nous a parés d’ors et de bijoux, puis nous a enterrés. Tu dois savoir que la parure est aussi importante dans la mort que dans la vie, raison pour laquelle ils ont fait en sorte que nous soyons beaux, même détachés de notre âme. Un ancien m’avait jadis appris à ne pas avoir peur de la mort parce qu’elle n’existe pas – nous ne faisons que passer d’un monde à l’autre. J’ai refusé de partir pour vers l’ouest sur la Piste des larmes, voilà pourquoi nous sommes morts. J’ai refusé parce que c’était un traitement injuste, et que je voulais sacrifier ma vie pour toi, pour notre famille et notre peuple. Oui je sais qu’un vieil homme a du tonnerre plein la bouche. Un vieil esprit aussi”.   
(…) “Mon bien-aimé, nous savions que les soldats viendraient bien avant qu’ils arrivent. Notre peuple l’a su longtemps avant, grâce aux prophéties. Ce fut une époque pleine de peur, mais nous ne l’avons jamais laissée nous ensevelir.”  

Le racisme des Blancs américains, toujours sûrs de leur suprématie, n’est pas terminé, loin s’en faut. Il y a dans l’histoire d’Edgar une partie consacrée à un jeu vidéo basé à la fois sur des personnages réels et leurs hologrammes qui fait froid dans le dos, à propos duquel nous lisons :
But du jeu : déterminer au moyen de l’interaction si les Indiens sauvages sont réels ou si ce sont des hologrammes. Capturer et torturer. Tirer pour tuer.
Jeu de tir point à partir de 10 ans, pour un ou plusieurs joueurs. Les joueurs jouent le rôle d’officiers de police, d’agents spéciaux, de soldats ou d’assassins qui combattent la menace locale d’une invasion de sauvages. Les joueurs tirent sur des sauvages. Les joueurs peuvent acheter des armes auprès d’un vendeur local sur la liste désignée”.
Rêve, cauchemar ou réalité ? Edgar le découvrira.

Sans rapport quoique… Nicolas Delesalle dit dans Valse russe (que je suis en train de lire, le lien est là) qu’il a aujourd’hui honte de son sang russe. Il y a là de quoi avoir honte d’être humain tout court. Et blanc de peau dans le cas présent.

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