L’auteur. Jean Mattern est né en Allemagne en 1965 dans une famille originaire d’Europe centrale. Il travaille dans l’édition puis publie en 2008 Les bains de Kiraly chez Sabine Wespieser, éditeur auquel il reste fidèle pour ses romans suivants. Bien que n’étant pas un roman social, Suite en do mineur participe curieusement à la sélection du prix costarmoricain : Louis Guilloux 2021.
Le narrateur de cette histoire, Robert Stobetzky, la cinquantaine et célibataire endurci, mais pas séducteur loin de là, n’a pas su refuser à son neveu Emile ce cadeau d’anniversaire : un voyage organisé en Israël. Le voilà, lui le grand solitaire, en errance, échappant au groupe, qui croit reconnaître le port de tète unique, le profil de son grand amour de jeunesse : Madeleine. Trois semaines d’un amour fou qu’il n’a jamais oublié. Trois semaines au bout desquelles cette femme l’abandonne.
En Israël, le voilà qui remonte le temps et nous fait vivre avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse cette passion absolument intacte malgré les années.
Robert désespéré quand elle l’a quitté s’est réfugié dans les livres, il ouvre une librairie à Bar-sur-Aube. Puis dans la musique : écoutant France Musique il s’éprend de cette Suite en do mineur et… du violoncelle. Résolu, il prend des cours de cet instrument. Avec son professeur Johann (un « J », pas un « Y »), il noue une amitié précieuse, d’autant que dans une petite ville de province ce n’est pas évident pour un célibataire.
Lors de leurs discussions ce jeune professeur lui déclare ceci :
« Dans une suite de Bach, dans une sonate de Schubert, dans un air de Mozart, tu peux entendre tout à la fois la détresse abyssale d’un homme en deuil et la joie voluptueuse de quelqu’un qui a été comblé par l’amour. La musique, quand elle sonne juste, déplore et console en même temps, elle chante la beauté du monde et se lamente de notre solitude irréductible. L’humanité a besoin de musique, car elle seule peut faire danser notre âme ».
D’abandon en abandon, Robert ne vit pas trop mal sa solitude grâce aux livres et à la musique. Mais évidemment, il y a le regard sans pitié des autres :
« … J’étais parfois regardé comme une bête curieuse, une anormalité dont il faut avoir pitié, il n’y a rien de plus difficile que de passer ses vacances sans ressentir à chaque pas le poids d’être célibataire, un peu comme si ma présence en solitaire symbolisait une attaque contre le collectif, contre ces couples et familles qui se retrouvaient, comme si un mélomane seul assistant à un concert fragilisait la jouissance grégaire qui consiste à écouter, à frissonner et à applaudir en masse… ».
Aimant Bach, la lecture depuis mon plus jeune âge, ayant traversé également des plages de solitude je me suis totalement identifiée au héros pourtant masculin. Lors des premières pages j’ai craint de me retrouver face à un livre d’érudit mais il n’en est rien : Jean Mattern reste modeste, je n’ai retenu que sa sensibilité, sa délicatesse et sa belle écriture limpide. Un vrai bonheur de lecture.