Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Le jeu des ombres ⇜ Louise Erdrich

Sorti en août 2012 chez Albin Michel. 252 pages.

Il a été accueilli par une critique élogieuse, tout comme ses autres romans et nouvelles d’ailleurs, que je lirai quand j’en aurai l’occasion. Il a été récompensé par le «National book, award».

L’auteur. Louise Erdrich est d’origine indienne par sa mère et germano-américaine par son père. Elle a grandi dans une réserve indienne, celle de Turtle Mountains, dans le Dakota du Nord. Son œuvre est imprégnée de son amour du peuple et de la culture ojibwe, dont elle a toujours voulu honorer les ancêtres et faire entendre la voix.

Elle est un peu pour les Amérindiens ce que Toni Morrison est aux noirs américains. Il faut dire que les Amérindiens n’ont pas été beaucoup mieux traités que les Noirs aux USA et que ce n’est que depuis 1978 qu’ils ont le droit de pratiquer leur religion en public, par exemple !

Louise Erdrich vit à Minneapolis où elle a ouvert une librairie, qu’elle a appelée «Ecorce de bouleau» en indien car l’écorce de bouleau était aux Indiens ce que le papyrus était aux Egyptiens… et dans laquelle elle vend aussi des tisanes concoctées selon les recettes de ses ancêtres. Dans ses livres, il est toujours question de ses racines amérindiennes.

Son dernier roman, Dans le silence du vent, fait partie des sorties de la rentrée littéraire de septembre 2013.

C’est l’histoire d’un naufrage amoureux. Celle d’un homme qui, parce qu’il la soupçonne de le tromper, lit le journal intime de sa femme. Et de sa femme qui en écrit un deuxième à son insu, en lieu sûr dans un coffre à la banque. C’est un peu tranchant certes mais c’est le point de départ du roman et son fil conducteur puisque le livre alternera des extraits du carnet rouge (l’officiel), des extraits du carnet bleu, le planqué, avec des passages à la troisième personne.

Dans Le Jeu des ombres, le personnage féminin, Irène, est une ojibwe. Elle écrit tant bien que mal une thèse sur un peintre spécialisé dans la peinture des Indiens. Son mari, Gil, indien lui aussi, est également peintre, mais il ne peint que sa femme qu’il aime d’un amour exclusif et dont il est jaloux. Hélène vit dans l’ombre de son mari et sert de faire-valoir à sa peinture.

Le couple est en train de se défaire mais ils essaient tous deux de sauver les apparences pour leurs trois enfants, malheureux témoins de leurs querelles de plus en plus nombreuses, qui ne sont pas dupes des contre-vérités et des faux-semblants qu’on leur assène. Hélène boit de plus en plus, Gil s’enfonce dans la jalousie. L’atmosphère devient de plus en plus pesante, les enfants ne comprennent pas le jeu pervers de leurs parents, mais ils sentent qu’il va se passer quelque chose ; ils ont peur.

Hélène utilise son journal officiel pour manipuler son mari qu’elle n’aime plus et souhaite mais n’ose quitter, et écrit la vérité dans le second. Elle a donc un atout dans sa manche (et le lecteur avec elle) tandis que son mari est persuadé que c’est lui qui mène le bal grâce au journal. Elle feint d’ignorer que son mari lit son carnet rouge et les messages qu’elle y fait passer vont avoir un effet de plus en plus dévastateur sur Gil.

Mais peu à peu, nous découvrons qu’Irène n’est pas aussi innocente qu’on le pensait au début et les cartes se brouillent. Le lecteur finit par être mal à l’aise car elle le manipule en même temps que son mari.

La situation ne fera qu’empirer jusqu’au dénouement et la tension sera de plus en plus forte. La fin est surprenante. On ne s’y attend vraiment pas et l’on peut être frustré car on ne la trouve pas totalement «logique». Je me suis même dit : tout ça pour en arriver là ?

L’écriture est belle, toujours poétique, avec de l’allant dans les passages un peu vifs et de la lucidité dans les explications. C’est un livre très émouvant dont la lecture m’a transportée de la première à la dernière page. Les intrusions dans la culture indienne sont toujours bienvenues et passionnantes.

Mais si ce livre est si beau et si envoûtant, c’est grâce au portrait qui nous est fait des personnages. Les enfants nous émeuvent aux larmes, sans racolage aucun. Et le couple réussit lui aussi à susciter notre sympathie (les deux personnages) car l’auteur en parle avec suffisamment de compassion et de compréhension pour nous la faire partager. Derrière la haine il y a l’amour et de l’amour ils en ont éprouvé et en éprouvent même encore. Et cela suffit à les sauver à nos yeux, tous les deux. De cet échec amoureux, de toutes ces tromperies, de toutes ces vilenies, ressort une grande humanité et une grande tristesse, mais aussi le souvenir d’un bel amour passé.

Triste, je l’ai été aussi d’avoir terminé ma lecture…

Un dernier passage pour la route. Je ne le dirai pas aussi bien qu’Hélène dans son carnet dans les toutes dernières pages :

… Nous sommes néanmoins en présence de l’étrange forme de grâce que même les cyniques nomment amour, et il me revient que tu travaillais dur et que tu étais dévoué et que tu emballais tous nos cadeaux de Noël dans des papiers originaux et utilisais une règle pour les mesurer et collais aux cadeaux extravagants et enveloppés à la perfection des flots de rubans de soie véritable ou des fleurs dont les feuilles étaient en satin et que tu nous aimais, détraqué par la colère, que tu te haïssais, détraqué par la vanité, et que tu nous aimais. A la folie. Avec méchanceté. Mais l’amour c’est l’amour. Et que tout cela s’est entremêlé pour que par la plus sacrée des nuits profanes je puisse appeler ton numéro et murmurer au téléphone : je t’en prie ne te suicide pas. Continue à vivre. Supporte.’ C’est beau ! C’est vrai !

Si je devais le noter sur 20, je lui mettrais entre 16 et 18, je n’arrive pas à choisir. Allez, 17 !

 

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