Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Une femme simple et honnête ⇜ Robert Goolrick

Chose promise (à moi-même), chose due (à moi-même). Après avoir dévoré et adoré Arrive un vagabond, je m’étais juré de lire Une femme simple et honnête dès que possible. Promesse tenue. Après quelques intermèdes, des atermoiements, je viens de terminer ce roman.

Et je ne sais pas trop quoi en penser. Je suis décontenancée. Autant j’étais entrée «de plein fouet» dans Arrive un vagabond, autant j’ai failli sortir bien des fois de celui-ci. Mais j’ai persisté. J’avais tellement aimé le précédent… J’en saurais peut-être plus après avoir écrit cette petite chronique.

Contrairement à ce que peut laisser imaginer sa couverture, cette histoire n’est pas une bluette. Ce livre est noir noir noir (Arrive un vagabond l’était déjà mais là on atteint des sommets).

 

L’histoire. On y entre dès les premières lignes. En 1907, au fin fond du Wisconsin, Ralph Truitt, la cinquantaine, homme très riche et très seul, attend sur un quai de gare. Cet homme est veuf, un peu ours ; il a passé une petite annonce et une femme, Catherine Land, plus jeune, lui a répondu ­en se décrivant comme une femme «simple et honnête»— et lui a envoyé une photo. C’est elle qu’il attend dans un froid polaire. Mais Catherine Land n’est pas la personne de la photo. Et nous apprendrons qu’elle n’est ni simple ni honnête, mais qu’elle poursuit un projet de vengeance en voulant tuer cet homme après l’avoir séduit.

Voilà le décor et l’histoire (sombre et mystérieuse) plantés dès les premières pages. A partir de là, il nous faudra savoir pourquoi et comment tout cela arrive. Et l’auteur nous amènera à la compréhension du drame par le biais de retours en arrière, de rebondissements et d’éclaircissements progressifs sur la psychologie (très torturée) des personnages.

Disons aussi que l’auteur a bien choisi son cadre et son l’époque : la campagne vide du Wisconsin en plein cœur d’un hiver rude et interminable. Les actes commis sont aussi sordides, aussi terribles que le décor dans lequel évoluent les personnages. Les mauvaises conditions climatiques (froid, neige, vent, isolement), admirablement décrites, sont partie prenante de l’action et l’on attend avec impatience un printemps qui ne viendra que lorsque tout sera joué et l’irrémédiable commis.

Dans ce roman, personne n’est ce qu’il paraît être et l’on a bien du mal à faire la part du bien et du mal dans l’âme des trois personnages (le troisième étant le fils de Ralph). Et si l’on comprend assez vite le noir dessein de Catherine grâce aux récits de ses antécédents avec le fils de Ralph (tout cela étant amené de façon très habile par des secrets de famille qui nous sont dévoilés au compte-gouttes, par des rebondissements nous laissant en haleine en fin de chapitre), plus difficile (car plus intime encore) est la compréhension du comportement de Ralph qui, après avoir compris le but de Catherine, la laisse faire. Je n’en dirai pas plus sur ce sujet. Mais il faut reconnaître que cela reste un mystère pour moi. S’agit-il d’abnégation ou de culpabilité ? Les deux bien sûr, mais dans quelles proportions ?

Si le suspense est mené de main de maître, il sert également de décor à une étude psychologique poussée au paroxysme. Robert Goolrick dissèque l’âme humaine comme personne et réussit l’exploit de nous emmener en des terres inconnues car rien ne se passe «logiquement» (même dans la logique intrinsèque aux situations décrites). Et l’auteur nous fait cahoter de rebondissement en revirement psychologique, de trahison en révélation de secrets, jusqu’à nous laisser pantois lors du final insoupçonnable et même saugrenu.

Et c’est ça, finalement, qui m’a gênée mais que j’ai fini par apprécier dans ce livre : me laisser ballotter au gré de l’auteur sans avoir à deviner ou à édulcorer quoi que ce soit. Même si parfois j’ai eu l’impression de tourner en rond à force d’être la proie de l’auteur et de vouloir arrêter ça en arrêtant la lecture, tout simplement. Je comprends parfaitement que celui puisse sembler être un atout pour d’autres lecteurs.

La seule «explication» que j’ai trouvée, c’est que l’auteur a fait évoluer ses personnages comme dans la vraie vie. En fonction des cartes qui leur sont distribuées au fil de l’intrigue, ils jouent un jeu qui n’est pas forcément celui qu’on attendrait d’eux et il s’ensuit des relations de couple(s) nouvelles, complexes, ainsi que des retournements de situations, de comportements et, le plus surprenant, de motivations. Et l’on finit par s’attacher aux personnages, surtout à Catherine, qui nous semblait pourtant froide et vindicative au départ et qui termine dans la compassion et le dévouement.

 

Le style, recherché, est celui de Arrive un vagabond : un peu mélancolique, parfois imagé, parfois rapide (surtout dans les cent dernières pages où le rythme décolle), avec quelques faiblesses peut-être dans les scènes d’action (la bagarre entre le père et le fils est incohérente). Il est aussi suffisamment descriptif pour nous faire capter au mieux l’atmosphère terrible dans laquelle évoluent les personnages, aussi bien dans le Wisconsin qu’à la Nouvelle-Orléans, avec la permissivité totale, la drogue, la débauche, la prostitution et la misère du peuple, rien que des éléments propices aux mensonges, aux trahisons et au meurtre.

Enfin, dans ce livre, le sexe est très important. Vraiment très important. Pour les trois personnages mais surtout pour Ralph qui souffre autant du manque de sexe que du manque d’amour et de compagnie dans son veuvage. Il est très souvent question de sexe dans le roman et l’auteur nous en parle dans une langue charnelle, empreinte d’une grande et belle sensualité même quand il est question de fantasmes. On peut même parler d’érotisme. Aussi bien dans les –rares au demeurant— scènes d’amour que dans l’attente ou les rêves érotiques de Ralph, que dans la description physique de Catherine sur laquelle il s’attarde avec tendresse, dans l’expression des sentiments, et même dans celle des lieux qui semblent chargés de douceur (la campagne comme ouatée sous la neige, La Nouvelle Orléans et sa touffeur hivernale). Comme si l’érotisme était partout et nulle part dans la maison et dans la vie de Ralph. Et comme si le décor était partie prenante de l’histoire et son ambiance au diapason de celle des cœurs.

Je dois dire que ces nombreuses allusions au sexe, souvent très soutenues, en des termes crus, m’ont un peu dérangée, ou plutôt déroutée, par leur répétition mais je crois que c’est parce que je voyais un peu «Une femme simple et honnête» comme un roman d’amour classique avant tout, comme si les deux étaient incompatibles aujourd’hui !

Pour en finir avec cette critique (qui m’a ouvert les yeux sur ma lecture et ma compréhension personnelle du roman), je dirais que ce livre m’a déroutée à plus d’un titre. Mais que c’est en définitive une très belle lecture, que je recommande vivement à qui ne l’a pas lu. Il raconte une histoire d’amour très complexe, très sensuelle, avec des personnages torturés. Une histoire belle et triste comme une tragédie même si l’amour ne dit son tout dernier mot qu’à la fin.

Et dans la foulée, dévorez Arrive un vagabond et là vous serez aux anges !

 

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