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SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

L’Embuscade ⇜ Emilie Guillaumin

L'Embuscade ⇜ Emilie Guillaumin - Emilie Guillaumin - BouQuivore.fr
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Née en 1984, Emilie Guillaumin a étudié les Lettres à la Sorbonne, à Paris. Elle est ensuite partie étudier la criminologie à New York avant de travailler comme journaliste radio et d’exercer des petits boulots à Miami.
Elle s’est essayé deux ans dans l’armée de terre française, ce qui lui a permis d’écrire son premier roman, Féminine (Fayard, 2016). L’Embuscade, son second, se déroule également dans l’armée, mais une branche à part : au sein des services spéciaux. Et secrets.

L’histoire se résume, dans la première partie du moins, à une attente. Une longue attente. Celle de Clémence Delmas, qui attend le retour de son mari Cédric, avec leurs trois jeunes fils. Celui-ci appartient au Treize, le 13e régiment de dragons parachutistes. Il est en mission depuis plusieurs semaines en Syrie (ou en Irak, même ça c’est secret) et censé rentrer bientôt. Alors qu’elle croit ce retour imminent et que l’impatience est à son comble, un matin très tôt, un petit groupe de soldats en uniforme sonne à sa porte. Parmi eux, le colonel Loïc Biaggi et le commandant en second Parzi, les supérieurs du régiment de Cédric.
Leur message, énoncé par le colonel, est radical : Cédric Delmas et sept autres soldats sont tombés « dans une embuscade tendue par les djihadistes ». Lui et cinq soldats sont morts, deux autres seulement blessés.

Clémence, sous le choc, décide d’attendre avant d’annoncer à ses enfants la mort de leur père. Quelques jours de cauchemar plus tard, une autre nouvelle vient démentir la première. Le corps de Cédric n’ayant pas été retrouvé, il est possible qu’il ne soit pas mort. Et malgré elle, Clémence se met à imaginer l’impensable. A reprendre espoir. Est-il mort, prisonnier, blessé, échappé, indemne ?

Les réponses des militaires sont par moments évasives et Clémence a bientôt la certitude qu’ils ne lui disent pas tout. Les secrets militaires et les mensonges « par omission » sont encore mieux celés que les secrets de famille. D’abord avec les veuves des compagnons de Cédric, puis toute seule, elle décide de faire tout ce qu’il est possible de faire pour découvrir ce qui s’est réellement passé le jour de « l’embuscade », quitte à défier des hauts gradés des forces spéciales – et même de la DGSE. Elles ne sont pas au bout de leurs surprises. Et nous non plus. Ne dit-on pas que l’armée est « une grande famille » ?!

De désespoir en lueur d’espoir, de mauvaise nouvelle en détail « positif », les semaines passent et rien n’est définitif. Le roman devient un thriller haletant tant pour Clémence que pour nous lecteurs. A son insu, Clémence se trouve « mêlée » à une guerre secrète entre la France et ce que l’armée appelle pudiquement « Le Levant » pour ne pas nommer le pays concerné. Bravant toutes les chausse-trapes, n’écoutant que son cœur et l’amour pour Cédric dont il déborde, et ne redoutant rien ni personne, elle finira par susciter l’admiration de ceux-là mêmes contre lesquels elle s’élève.
Jusqu’au dénouement, logiquement et totalement inattendu, qui survient dans les toutes dernières pages, comme celui d’un thriller implacable. J’avoue en être restée coite.

L’écriture, à la première personne, est vive, narrative le plus souvent. Le romanesque avec lequel l’auteure relate les faits et exprime les émotions des personnages (Clémence, les autres femmes et ses enfants essentiellement, sans oublier Cédric, mari et père présent presque à chaque page) contraste avec la rigueur du contexte militaire où l’ordre et le secret-défense sont les maîtres-mots.
Raconté comme un thriller, ce qu’il est, le roman est d’un réalisme visuel très (trop ?) fort. Les péripéties en France et en Syrie, le côté « enquête personnelle seule contre tous » menée par une femme courageuse et pugnace et une fois encore, le caractère secret absolu des forces spéciales auxquelles elle s’oppose en font une histoire scénarisable. En film ou, mieux en mini-série. Sans parler, bien évidemment, de l’actualité brûlante de l’histoire. M’étonnerait qu’Emilie Villemain n’ait pas l’embarras du choix pour signer, si ce n’est déjà fait.

Mon regard sur le livre. Les premiers romans, c’est bien. Je les apprécie beaucoup, mais ils sont trop nombreux, de plus en plus nombreux d’année en année. Sans doute la Covid a-t-elle éveillé des vocations. Impossible ou presque ne serait-ce que d’en repérer quelques-uns soi-même en flânant dans les rayons des librairies. Reste à lire les seconds quand les premiers ont passé le cap fatidique de la primeur avec succès. En voici deux que je lis à la suite (le précédent étant Soleil amer, de Lilia Hassaine), écrits par des jeunes femmes, qui m’ont donné l’envie de lire leur premier.

Revenons à L’Embuscade. C’est d’abord un beau portrait de femme, celui d’une femme amoureuse : Clémence aime son mari autant qu’au premier jour. Elle est enceinte de son quatrième enfant. Elle refuse d’entendre sa mort. À ses yeux, il est « immortel ».
Mais Clémence est aussi une femme de soldat. Et il n’est pas facile d’être femme de soldat, qui plus est quand il s’agit de forces spéciales et secrètes, menant des guerres tout aussi secrètes. Des services plus proches des services secrets que de l’armée pure. Tout en travaillant elle-même et en élevant ses enfants en toutes circonstances.

Emilie Guillaumin réussit à faire la part des choses entre l’humain et le militaire, tout en nuançant son propos. Quand elle a épousé Cédric, Clémence a tout accepté en bloc : les absences longues et à la fréquence imposée, la mort plus que possible, la sacro-sainte loi du secret, la clandestinité… Mais le pire peut-être pour Clémence et les autres femmes, ce qu’elles ne supportent pas, c’est « l’absence d’explications quant aux circonstances de la disparition de nos hommes ». Quelque chose d’anormal s’est passé, sans laquelle l’embuscade n’aurait peut-être pas eu lieu et tous les soldats vivants. Quelle est cette chose ? Nous réalisons à quelle hauteur se situe la collusion entre l’armée et… la politique et que partant, on ne se bat pas contre l’armée quand on est une civile, même femme de soldat.
À moins de s’appeler Don Quichotte…

L’Embuscade nous dit beaucoup de choses sur la guerre, sur les guerres en général, et en particulier sur celle-ci, qui comme tant d’autres dure si longtemps que l’on finit par s’y habituer. Ainsi lisons-nous : « Derrière les mots rebattus de cette guerre avec laquelle la France s’était familiarisée depuis des années jusqu’à la considérer comme faisant partie d’un nouvel ordre mondial, presque un mal nécessaire, il y avait mon mari ».

Je dirai pour finir que je n’ai pas adoré ce livre à 100 %. Malgré sa « bonne presse » ou peut-être à cause d’elle, je l’ai abordé avec une certaine appréhension. Je dirai même une réticence. Le milieu dans lequel se déroule l’histoire n’a rien pour me plaire. Je n’aime pas vraiment l’uniforme en général et celui de l’armée en particulier. Ce n’est pas ce roman qui me fera changer d’avis. Les services spéciaux n’y sont pas à l’honneur et ceux qui les dirigent ne suscitent pas naturellement l’empathie…
L’abondance de détails techniques sur les opérations de guerre et les longs récits des cérémonies commémoratives, trop rigides, ont donné à l’ensemble une certaine froideur qui ne met pas à jour toute l’émotion pourtant contenue dans les pages. Dommage pour les émotifs(ves) et tant mieux pour celles et ceux et qui privilégient la tension.
Reste que Clémence a toute mon estime et que le suspense de la seconde partie fonctionne à merveille, alors qu’on ne s’y attendait pas. Du coup, les pages se tournent toutes seules dans cette section. Ainsi qu’un bel hommage rendu aux soldats qui sacrifient leur vie à une cause qui leur échappe, parfois. Je lirai le premier pour voir ce que peut bien « donner » une femme dans le milieu le plus viril qui soit, l’armée.

DES PHRASES QUI SONNENT JUSTE

Être une femme de soldat :
« Epouser un soldat nécessite une solide préparation, jusque dans les détails les plus prosaïques. (…) Parler de la mort était une chose nécessaire. (…) Le mort faisait partie de la vie du soldat et de celle de ses proches. Peut-être était-ce d’ailleurs son éventualité, plus prégnante que dans les autres métiers, qui avait toujours rendu notre amour si puissant. On n’aime jamais autant la vie que dans la proximité de la mort ».

Annoncer à ses enfants et à ses proches que son mari est « mort au champ d’honneur » quand l’armée pourrait amplement se contenter de « mort pour la France ». Clémence en dit :
« Je ne voulais pas de ça. Noyer le poisson avec une pudeur mensongère. ‘’Votre papa est mort au champ d’honneur’’. Mais c’était quoi, le champ d’honneur ? Une vaste plaine d’herbe grasse où poussaient les médailles ? Je n’avais pas prémédité de mentir ».

Une motivation comme une autre pour devenir soldat : avoir vécu une enfance et une adolescence « ordinaires », sans relief :
« Trois jours en Syrie m’avaient suffi pour comprendre que jamais Cédric n’aurait quitté l’armée. Il en était mordu. Peut-être parce qu’il était issu d’une famille sans histoire et sans Histoire. Son enfance et son adolescence avaient été ordinaires comme celles de ses parents et, probablement, de ses grands-parents. Avant de s’engager dans l’armée, Cédric avait vécu l’ennui de ces jours trop lents qui avaient composé ces années trop longues, comme un drame insupportable dont il avait absolument fallu se soustraire, sous peine de crever. Il lui fallait racheter la faute de cette famille modeste qui se contentait d’exister sans vivre et dont les membres rejoindraient bientôt la cohorte de ceux qui disparaissent un jour sans laisser de traces ».

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