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SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

1830, Balzac, Hugo, Sand : tout commence ⇜ Manon Montel

Sorti en juillet 2016 pour le festival d’Avignon 2016. 59 pages. Pièce de théâtre jouée cet été à L’Ambigu Théâtre pendant le Festival d’Avignon. Préface de Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express.

[quote]En deux mots
Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express, dans sa Préface :
« C’est à la fois un pan d’Histoire qui défile sous nos yeux et un formidable feuilleton littéraire. C’est surtout l’épopée de trois êtres humains déchirés entre leur génie, leurs ambitions et leurs amours. Cette confrontation Sand-Hugo-Balzac est inédite à la scène et méritait une telle attention ».[/quote]


L’auteure.
Manon Montel, née à Paris en 1983, est une comédienne et metteuse en scène française. Elle a suivi un double cursus : des études théâtrales à l’Ecole Claude Mathieu et des études universitaires à la Sorbonne Nouvelle. En 2009, à la fin de sa formation de comédienne, elle créée la compagnie Chouchenko (www.chouchenko.com). Depuis 2015, Manon Montel est membre du Syndicat national des metteurs en scène.

Dans cette pièce résolument moderne, très bien écrite et très documentée, Manon Montel a imaginé  des rencontres, à différentes périodes de leur vie – et toujours à deux –,  entre trois monuments de la littérature française qui se respectaient, s’appréciaient, s’enviaient et… se côtoyaient réellement dans la vie. Trois personnages emblématiques des courants littéraires et politiques du 19ème siècle. Honoré de Balzac, sûrement le précurseur du réalisme à la française avec sa Comédie Humaine, monstre aux six cents personnages dans lequel il a voulu « enfermer son époque ». Victor Hugo, poète romantique, essayiste puis romancier social aux écrits innombrables. Enfin – la meilleure pour la fin ? – George Sand, féministe avant la lettre, femme de lettres, activiste éprise de liberté et de justice sociale, et grande amoureuse (Alfred de Musset puis Chopin ont vécu avec elle).

De bords politiques différents, ils vont défendre leurs idées pour le plus grand plaisir des spectateurs qui ont eu la chance de les voir en scène, ou pour les lecteurs. Enfin, les plus chanceux qui réussiront à se procurer le livret que j’ai pu avoir entre les mains.
1830 : Sand, Hugo, Balzac : tout commence est un ouvrage fin et engagé qui mélange habilement les actualités de l’époque par une utilisation intelligente de la voix off, des réparties théâtrales à deux personnages dans lesquelles ils confrontent leurs idées, leurs ambitions, leur vie personnelle et amoureuse. Tout en proposant de larges morceaux (bien) choisis de leurs œuvres qui donnent à réfléchir sur des problèmes encore – malheureusement – de mise aujourd’hui : la condition des femmes, les inégalités sociales, la misère de certains…
La pièce nous montre aussi combien des auteurs aussi importants de la vie littéraire française pouvaient se monter jaloux et rivaux dans leur vie privée comme dans leur vie d’écrivains (rivalité Hugo-Balzac pour un siège à l’Académie) tout en s’estimant et s’admirant au plus haut point. Et en se soutenant dans les moments les plus difficiles. Jusqu’à la mort de chacun deux : en 1850 pour Honoré de Balzac, à 51 ans, et en 1876 pour George Sand, à 71 ans, pour lesquels Victor Hugo écrira un éloge funèbre vibrant. En 1885 pour Victor Hugo, à 83 ans.
Devant nous défilent des événements historiques importants qui ont marqué le 19ème siècle : la révolution des Trente Glorieuses, les sursauts de la monarchie : Charles X puis Louis-Philippe, la Révolution de 1848, le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte… qui servent de prétextes à leurs conversations sans pour autant nous donner une leçon d’histoire.

Voici quelques extraits des morceaux choisis, le meilleur du meilleur.

George Sand
 : Je sais que je suis l’esclave et vous le seigneur. La loi de ce pays vous a fait mon maître. Vous pouvez lier mon corps, garrotter mes mains, gouverner mes actions. Vous avez le droit du plus fort, et la société vous le confirme ; mais sur ma volonté, monsieur, vous ne pouvez rien !
Balzac : La femme est un être faible qui doit, en se mariant, sacrifier sa volonté à l’homme !
Sand : C’est évident, elle doit se prosterner devant son mari et lui dire : « Tu es grand, sublime, incomparable. Tu es plus parfait que Dieu ! Quand tu me frappes, je suis glorieuse, quand tu me repousses du pied, mon sort est préférable à celui de tous les êtres, t’appartenir est une telle gloire que le genre humain tout entier voudrait se mettre à ma place s’il savait quel honneur y est attaché.
Balzac : La femme doit trouver sa liberté en assumant son esclavage. En échange, l’homme renonce à son égoïsme. C’est un pacte équitable George. Sans ce rapport de domination cela ne peut fonctionner.
Sand : Alors, comment l’homme libre peut-il se passer de maître et la république de roi ? Tu trouves juste que la mère de famille reste toujours mineure à quatre-vingt ans ? C‘est une situation ridicule et humiliante. Il ne faut pas qu’un homme obéisse à une femme, c’est monstrueux. Il ne faut pas qu’un homme commande à une femme, c’est lâche. Il faut que l’homme et la femme obéissent ensemble à leurs serments.
Balzac : Oui, car ils y trouvent chacun leur intérêt : un vieux riche avec une petite jeune ou inversement !
Sand : Le mariage sans amour, c’est de la prostitution légale ! Voilà l’hypocrisie de la société : on élève nos filles comme des saintes et après, on les livre comme des pouliches.

Balzac : Je suis en train de travailler à un monstre… plus de six cents personnages… J’y décris la société qui m’entoure. Je décris un édifice qui fera concurrence à l’état civil. J’enferme mon époque dans mon œuvre : La Comédie Humaine ! Moi, j’aurai porté une société tout entière dans ma tête !

Homélie de Hugo pour la mort de Balzac (août 1850, 51 ans) :
Livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir toute notre civilisation contemporaine. Livre merveilleux que le poète a intitulé comédie et qu’il aurait pu intituler histoire, livre qui prodigue le vrai, l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moments, à travers toutes les réalités, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal. Ce travailleur puissant et jamais fatigué, ce philosophe, ce penseur, ce poète, ce génie, aujourd’hui, le voici en paix. Il entre, le même jour, dans la gloire et dans le tombeau.
Sand (1851) : Je ne suis pas dégoûtée de mon devoir qui est avant tout, je crois, de prier les forts pour les faibles, les vainqueurs pour les vaincus, quels qu’ils soient et dans quelque camp que je me trouve moi-même. Je ne me lasserai jamais de répéter à qui veut bien l’entendre que l’Etat a le droit de poursuivre des actes, mais non des opinions. La pensée doit être libre.

Eloge funèbre de Victor Hugo pour la mort de George Sand (en 1976, à 51 ans).
Je pleure une morte et je salue une immortelle. Je l’ai aimée, je l’ai admirée, je l’ai vénérée ; aujourd’hui, dans l’auguste sérénité de la mort, je la contemple. George Sand était une idée ; elle est hors de la chair, la voilà livre ; elle est morte, la voilà vivante. Dans ce siècle qui a pour loi d’achever la Révolution française et de commencer la révolution humaine, l’égalité des sexes faisant partie de l’égalité des hommes, une grande femme était nécessaire. Il fallait que la femme prouvât qu’elle peut avoir tous les dons virils sans rien perdre de ses dons angéliques ; être forte sans cesser d’être douce. George Sand est cette preuve. Elle a été un grand cœur comme Barbès, un grand esprit comme Balzac, une grande âme comme Lamartine. Acceptons ce que nous donnent en nous quittant nos morts illustres ; et, tournés vers l’avenir, saluons sereins et pensifs, les grandes arrivées qu’annoncent ces grands départs.

De quoi nous donner une sacrée envie de lire (ou de relire) nos grands classiques du 19ème siècle ? Non ? Allez, au moins un de chacun d’eux !? Un très bel hommage à ces trois grands de la littérature française et, pour cela aussi, il faut saluer la prestation de Manon Montel.

Un seul petit bémol pour moi : je n’ai pas eu la chance de voir la représentation !

Une réponse

  1. Comme toujours, Cathy a su tirer la substantifique moelle de ce texte, remarquable par ailleurs. Bravo pour cette agilité !
    Souhaitons de nombreuses représentations de ce texte sur scène pour avoir l’occasion de l’admirer, avec la Serial Lectrice…
    Merci.

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