Sorti en août 2018 chez Actes Sud. Roman. 434 pages. A reçu de nombreux prix littéraires, dont le Goncourt 2018.
Le roman se déroule sur quatre étés des années 1990 à Heillange. Heillange est une petite ville sinistrée, anciennement industrielle, vivant sous perfusion transfrontalière dans l’Est de la France.
Nous lisons : « Un siècle durant, les haut-fourneaux d’Heillange avaient drainé tout ce que la région comptait d’existences, happant d’un même mouvement les êtres, les heures, les matières premières ».
L’été, les adolescents s’ennuient. D’un côté, les enfants d’ouvriers du cru, de l’autre, les enfants d’immigrés car le racisme est ambiant. Dans les deux cas, leurs parents sont chômeurs ou vivent de petits boulots, familles souvent sous surveillance administrative de l’assistance sociale ; souvent aussi sous l’emprise de l’alcool avec pour seuls loisirs la télé (Intervilles ou Santa Barbara…) ou la fête foraine. Alors, ces ados « pas méchants mais cogneurs » pour tromper leur ennui fument du shit, boivent et font de menus larcins.
C’est ainsi qu’Anthony et son cousin intrépide volent un canoë au centre de loisirs pour « aller voir les filles ». Hacine, lui, volera la moto d’Anthony appartenant à son père.
Les chapitres se succèdent en parallèle sans que les jeunes français et les jeunes issus de l’immigration se rencontrent sinon pour se soupçonner, s’insulter, se venger, se castagner. Que ce soit à Heillange ou au bled où Hacine passe ses vacances, ces jeunes sont désœuvrés. Ils ont les mêmes espoirs, les mêmes délires de voitures, de motos, de vitesse car « la mort devenait par instant un sort enviable. »
A 16 ans, Anthony aura un petit boulot à la base nautique. Pour Hacine « le profit seul semblait tenir la mort à distance », il rentrera en France avec 45 kg de cannabis et en fera commerce. Il ne sera pas « comme son père à quémander, se plaindre, en vouloir aux patrons, à faire le compte des injustices, il forcera le destin, fera preuve d’esprit d’entreprise. » (…) Car « Il fallait reconnaître à l’argent cette puissance d’assimilation extraordinaire, qui muaient les voleurs en actionnaires, les trafiquants en conformistes, les proxénètes en marchands. Et vice-versa. »
Et puis à 18 ans, devenu adepte de la gonflette, Anthony s’engage dans l’armée, pour l’exotisme et la bagarre. Après en avoir été exclu, il enchaînera des missions d’intérim et mènera une existence identique à celle de son père.
Hacine, lui, après des déboires dans son entreprise, va se ranger, travailler, vivre en couple. Il va se trouver plus heureux qu’avant quand bien même « cette histoire d’amour lui paraissait une mascarade dès qu’elle paraissait au grand jour ».
Nous suivons aussi leurs émois, leurs aventures amoureuses rarement épanouissantes car « ces femmes, d’une génération l’autre, finissaient toutes effondrées et à moitié bonniches, à ne rien faire qu’à assurer la persistance d’une progéniture vouée aux mêmes joies, aux mêmes maux ».
Ce n’est pas la Coupe du monde que l’auteur nous fait partager à Heillange, cette France « fraternelle-là » qui balaiera la crise… et éveillera l’espoir de ces jeunes.
Leurs enfants après eux est un roman social, politique qui pose avec sensibilité et justesse les problèmes d’une jeunesse déshéritée dans une région déshéritée.
Le grain de sel de la SL. Pour ne pas l’avoir lu, je dirais que ce roman, sur un thème identique à celui de Vivement l’avenir de Marie-Sabine Roger, la déshérence d’une certaine frange de la jeunesse, l’optimisme et l’humour de cette dernière en moins. Mais j’irai vérifier dans les pages un de ces jours. Car c’est un roman social et noir et j’aime les romans noirs et sociaux. Et puis le Goncourt pour un second roman, c’est plutôt rare… Mais en ce moment, trop commence à faire beaucoup, même pour une dévoreuse de noir.