Quelques mots sur l’auteure et son œuvre :
Djaïli Amadou Amal est née en 1975 à Maroua au Cameroun.
Elle publie son premier roman, Walaande, l’art de partager un mari, en 2010. Ce témoignage, autobiographique, raconte l’histoire de quatre femmes d’une même concession attendant leur tour auprès de leur époux. Ce récit qui dénonce les pesanteurs sociales liées aux traditions et à la religion ainsi que les discriminations dont les femmes sont victimes lui vaut une reconnaissance internationale immédiate.
Son second roman, Mistiriijo, la mangeuse d’âmes, paraît en 2013. Il connaît le même succès et vaudra à Djaïli Amadou Amal d’être considérée comme l’une des figures de proue de la littérature camerounaise.
Munyal, les larmes de la patience devenu Les impatientes est son troisième roman.
L’histoire. Les impatientes est un roman choral, toujours raconté à la première personne. L’auteure y raconte les destins croisés de trois femmes.
Il y a d’abord Ramla, âgée de 17 ans. Elle est la plus instruite de la famille et n’a qu’une ambition : devenir pharmacienne. Elle est amoureuse d’Amidou, un ami de son frère auquel elle est, dans un premier temps, fiancée. Amidou est malheureusement rapidement évincé par le père et les oncles de Ramla à la faveur d’un prétendant plus important. Il s’agit d’Alhadji Issa, un homme d’une cinquantaine d’années, riche, et dont elle devient la seconde épouse.
Vient ensuite Hindou, la demi-sœur de Ramla, elle aussi âgée de 17 ans. Elle est mariée le même jour que Ramla à son cousin Moubarak, un homme violent, alcoolique et drogué, fils d’un frère de son père, et qui lui inspire la plus grande crainte. A force de mauvais traitements, Hindou finira par perdre la raison.
C’est enfin la voix de Safira que l’on entend. Elle est la première épouse d’Alhadji Issa. Mariée à ce dernier alors qu’elle n’était qu’une adolescente, elle a été pendant une vingtaine d’années sa seule épouse et la mère de ses enfants. Elle voit d’un très mauvais œil l’arrivée de Ramla, d’autant plus qu’elle ne tarde pas à devenir la favorite d’Alhadji Issa. Safira mettra tout en œuvre pour se débarrasser de sa rivale.
Mon avis sur le livre. Le thème principal des Impatientes est la violence faite aux femmes au sein d’une communauté peule écrasée par le poids de l’Islam et des traditions ancestrales (le pulaaku à travers lequel s’exprime l’héritage culturel peul) dans la ville de Maroua, au Nord du Cameroun. Religion et héritage peul sont d’ailleurs étroitement mêlés.
Cette violence est à la fois morale, physique et sexuelle, et les hommes ne sont pas les seuls à l’exercer.
Dans une société régie par les hommes pour les hommes, les femmes sont incapables de vivre par elles-mêmes. L’éducation des filles consiste à en faire de parfaites jeunes épouses. Leur instruction est très limitée et rares sont celles qui, comme Ramla, ont la chance de pouvoir étudier jusqu’au baccalauréat.
Le moment venu, les filles passent du joug de leur père, frères et oncles à celui d’un mari qui leur a le plus souvent été imposé.
Ainsi, le père de Ramla et Hindou dit-il à ses filles au jour de leur mariage :
« J’ai aujourd’hui achevé mon devoir de père envers vous. Je vous ai élevées, instruites, et je vous confie ce jour à des hommes responsables ! Vous êtes à présent des grandes filles – des femmes plutôt ! Vous êtes désormais mariées et devez le respect à vos époux. »
Dans les familles aisées, le mariage est aussi un moyen de faire des affaires et de créer des alliances. C’est le cas pour Ramla, contrainte, pour servir les intérêts de son père, de renoncer à Amidou et d’épouser Alhadji Issa, l’homme le plus important de la ville.
Après leur mariage, les femmes sont soumises à l’autorité de leur époux – qui bien souvent est polygame – et intègrent le foyer conjugal, également appelé « concession ». A l’intérieur de la concession, chaque épouse a ses propres appartements dans lesquels elle vit en attendant son tour auprès de son mari, le walaande. Au sein de la concession, il y a une sorte de hiérarchie entre les différentes épouses, basée sur leur rang d’arrivée et, on l’imagine aussi, l’âge. Les dernières arrivées ont un devoir de respect et d’obéissance envers leurs aînées qui en retour se doivent de leur servir de modèle. Mais dans la concession il n’y a point de solidarité. Les coépouses sont avant tout des rivales, prêtes à tout, comme Safira, pour obtenir les faveurs de leur mari pour elles ou leurs enfants. Il n’y a qu’au sein de la concession que les femmes ont quelque pouvoir et elles en font usage.
Les impatientes montre l’opposition entre une communauté régie par la religion et les coutumes ancestrales, et une jeunesse qui rêve de modernisme et d’émancipation.
Et puis il y a ce mot, munyal qui signifie “patience”, ou bien encore endurance en peul, et qui revient régulièrement comme un leitmotiv. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les femmes doivent se résigner et tout endurer en silence.
« Patience, mes filles ! Munyal ! »
« Munyal, mes filles, car la patience est une vertu. Dieu aime les patientes, répète mon père, imperturbable. »
« Obéissance absolue, patience devant sa colère, respect ! Munyal, munyal… »
« Patience, munyal, mon bébé ! Tu viens dans un monde fait de douleurs. Petite fille si jeune et si impatiente ! Tu es une fille. Alors, munyal toute ta vie. Commence dès à présent ! Il est court le temps du bonheur pour une femme. Patience, ma fille, dès maintenant. »
« Patience, munyal, Hindou ! on te l’a déjà dit. Une peule ne pleure pas quand elle accouche. »
« Munyal, ajouta une amie de ma mère. C’est dans l’épreuve qu’on te conseille de patienter. »
« Munyal ! Maîtrise-toi, Safira. »
Les impatientes est un livre fort, avec des passages d’une grande violence tant physique qu’émotionnelle. Le lecteur s’y rebelle avec Ramla, pleure avec Hindou puis enrage et complote avec Safira. C’est là tout le talent de conteuse de Djaïli Amadou Amal.
Si le destin de Hindou nous brise le cœur, la fuite de Ramla après sa répudiation est porteuse d’espoir car une autre vie s’ouvre à elle. Quant à Safira, sa volonté de conserver coûte que coûte les faveurs de son époux, malgré l’arrivée d’une nouvelle nouvelle épouse, l’enferme dans une spirale infernale.
QUELQUES CITATIONS QUI FONT MAL
- « Ô mon père ! Tu as tellement d’enfants mais c’est commode d’avoir des filles. On peut s’en débarrasser si facilement.
- Ô mon père ! Tu dis connaître l’Islam sur le bout des doigts. Tu nous obliges à être voilées, à accomplir nos prières, à respecter les traditions, alors pourquoi ignores-tu délibérément ce précepte du Prophète qui stipule que le consentement d’une fille à son mariage est obligatoire ?
- Ô mon père ! Ton orgueil et tes intérêts passeront toujours avant. Tes épouses et tes enfants ne sont que des pions sur l’échiquier de ta vie, au service de tes ambitions personnelles. »
- « Ô ma mère ! Je t’en veux. Tu m’aimes, certes ! Mais tu n’as pas su me défendre. Tu n’as pas entendu mon cri de détresse. (…)
- Ô ma mère ! Ressaisis-toi ! Regarde-moi. Ai-je l’air heureuse comme le doit être toute mariée ? »
- « Ce n’est pas un crime ! C’est un acte légitime ! Le devoir conjugal. Ce n’est pas un péché. Bien au contraire. Que ce soit pour moi ou pour Moubarak, c’est un bienfait accordé par Allah.
- Ce n’est pas un viol. C’est une preuve d’amour. On conseilla tout de même à Moubarak de réfréner ses ardeurs vu le nombre de points de suture que ma blessure nécessita. On me consola. C’est ça le mariage. La prochaine fois ça ira mieux. Et puis, c’est ça la patience, le munyal dont on parlait justement. »
- « Ouvre les yeux, Safira ! m’a-t-il dit. La polygamie est normale et même indispensable pour le bon équilibre du foyer conjugal. Tous les hommes importants ont plusieurs épouses. Même les pauvres en ont. Tiens ! Ton père est aussi polygame, non ? Si ce n’est avec moi, ce sera avec un autre. Jamais tu ne seras seule chez un homme. Si tu étais un peu reconnaissante, tu remercierais plutôt Allah d’avoir été seule pendant toutes ces années. Tu as bien profité de ta jeunesse sans partage. C’est égoïste à présent de montrer de l’amertume. »
(1) Littéralement « l’art d’être Peul ». C’est un ensemble de règles morales et sociales, un code de comportements jugés spécifiquement Peul. Source : tabitalpulaaku.org.
Une réponse
Quel belle et juste chronique pour un livre aussi triste sur un sujet devenu récurrent en littérature, la condition de la femme. Nous constatons, encore en toujours, aujourd’hui comme hier, qu’elles sont soumises aux hommes. A l’heure où nous apprenons que les femmes afghanes sont à nouveau obligées de porter la burka et la grille en tous lieux par les talibans – qui pourtant avaient promis de respecter leurs droits à leur retour – , et de ne sortir de chez elles que si nécessaire ; sous peines de punitions pour le moins corporelles et bien pires, “Les impatientes” résonne d’une sombre musique.