Sorti en août 2015 aux Editions Liana Levi. 224 pages. (Premier) roman.
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En deux mots
Roman social d’une grande intensité et saga familiale racontée sous forme de deux monologues, celui d’un père mort dans un accident du travail et celui de son fils peinant à se construire, Après le silence se déroule dans la France ouvrière des années 70 et évoque la solidarité, la fierté ouvrières et les combats syndicaux. Un premier roman très prometteur.
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L’auteur. Premier roman oblige, pour Didier Castino, pas grand-chose à se mettre sous la souris côté casting littéraire. Je vous livre brut de décoffrage tout ce que j’ai pu trouver, qui se résume à deux phrases qui pourraient n’en faire qu’une : Didier Castino est né en 1966. Il est professeur de lettres à Marseille. En général, c’est le troisième roman qui déclenche une bio sur Wikipédia. S’ils sont de la trempe de celui-ci, ça ira vite !
L’histoire. Louis Catella travaille depuis l’âge de 13 ans. A 16 ans, il entre aux Fonderies et Aciéries du Midi comme mouleur. Jusqu’au 16 juillet 1974. Date du silence, date de sa mort, écrasé sous un moule de plusieurs tonnes. Après ce silence, l’histoire ne s’arrête pas, tout l’intérêt narratif est là : le père continue de parler à son fils depuis l’au-delà. Comme s’il voulait que sa femme et ses trois fils comprennent qu’il est toujours avec eux et, surtout, communiquer avec le plus jeune qui a très peu de souvenirs de lui et ne le connaît que «par ouï-dire… Une image de moi faite par le discours des autres, une image construite sur ce qu’ils ont vécu, une image invérifiable».
Puis, l’histoire change de narrateur, le «je» change de bouche et c’est le dernier fils qui prend la parole. Pour parler de son père bien sûr, mais surtout de son absence et du manque qu’il en a ressenti…
Côté style, Après le silence est un roman post-mortem. Enfin, écrit comme tel, en son début, soit dans le monologue d’un père adressé à son plus jeune fils de sept ans. Et repris à sa mort par celui-ci, alors âgé d’une quarantaine d’années. Au final, une sorte de dialogue entre le père mort et le fils vivant, comme pour assurer la transmission qui n’a pas pu se faire dans la vie. Ce procédé narratif puissant est innovant et assez recherché. Il fonctionne à la perfection, si l’on est perdus c’est pour un court moment, le passage d’un «je» à l’autre se faisant non pas au moment de la mort elle-même mais bien plus tard.
Peu de dialogues, qui sont inscrits dans le corps du texte, sans alinéa, sans guillemets ni ponctuation intermédiaire, comme pour souligner la linéarité du temps qui les noie dans l’absence du père. J’ai remarqué dans plusieurs livres lus récemment (notamment les deux Paul Lynch pour ne citer qu’eux) cette tendance à ne plus mettre les dialogues sur le devant de la scène mais à les intégrer dans la toile de fond. Un peu surprenant au départ mais le lecteur s’y fait très bien. Il faut peut-être y voir un des aspects novateurs de l’écriture romanesque contemporaine.
Le narrateur semblant parler à son fils, l’écriture peut devenir fringante et donner au lecteur l’impression d’être dans un film de Claude Sautet -même si le milieu social n’est pas le même. En un paragraphe, en une page, le narrateur récapitule la vie entière de sa famille de bien belle manière. Et un humour assez désopilant vient souvent alléger une situation pesante, notamment dans les pages où s’exprime le fils.
Mon avis. Après le silence propose plusieurs thèmes intéressants. En premier lieu, l’auteur nous peint la fin des trente glorieuses, avec un communisme «joyeux» (un peu trop bon enfant peut-être), celui des grandes heures syndicales, quand les mots solidarité et entraide avaient un sens. Celui des premières grèves avant 68, contre «la misère ouvrière, trop d’espaces rétrécis et de droits ignorés» et celui d’un mai 68 raté pour la classe ouvrière. Un hymne à la pensée de gauche portée par le communisme et chantée par Jean Ferrat. Qu’on adhère ou non, le discours est honnête et l’unité ouvrière bien décrite dans la bouche du narrateur (le père, mais aussi l’auteur du livre).
Mais la vie à l’usine (qu’il aime et qu’il déteste) et le travail qu’il y fait (qu’il aime et qu’il déteste), longuement développés dans la première partie, résonnent d’accents «zoliens». Louis Catella aime son usine et le dit plus souvent qu’à son tour. Mais le travail est y dur, la chaleur et la fatigue intenses, les temps de pause, les week-ends et les vacances attendus comme le Messie. Nous lisons en ce sens page 19 : «Si l’usine va bien, c’est grâce à nous. Le travail qui augmente, le travail qui épuise. Pour qu’elle aille bien, il faut qu’on s’épuise. (…) Le grand escalier (celui qui mène à la direction) qui nous domine, lui en haut, lui et sa putain d’usine, elle lui appartient et nous avec. Pour qu’il aille bien, il faut qu’on aille mal, il faut se mettre en danger». Les moments de joie que constituent les vacances en Savoie, l’acquisition d’une voiture neuve et les invitations chaleureuses entre camarades ne peuvent contrebalancer les mauvaises conditions, les horaires et la dureté du travail.
Autre sujet intéressant, le deuil, si difficile à faire quand on n’a pas ou presque pas connu le père décédé, quand on n’a pour tout souvenir qu’un carton rempli de photos et de comptes rendus de l’accident et la parole de ceux qui l’ont connu, eux, et en ont fait une icône. Avec, en corollaire, la filiation entre un père et son fils. Que peut transmettre un père à son fils qui avait sept ans au moment de sa mort ? Comment pour celui-ci devenu adulte passer à autre chose et se construire une vie propre sans avoir pu rompre un lien qui n’a jamais existé, dans une relation père (fantôme)-fils exclusivement constituée de «non-dit, de non-vécu»…
Des réflexions sur la vie d’avant le modernisme et ses manques, sur la vie moderne et ses excès, sur la religion (car Louis Catella est un communiste convaincu ET un croyant fervent)… Beaucoup de thèmes importants évoqués et développés dans les pages, dont le plus important est bien entendu la chronique sociale minutieuse et juste du communisme de Georges Marchais vu par un ouvrier digne, sincère et honnête qui n’aura pas eu la chance de voir la France voter enfin à gauche en 1981 !
Cependant, pour être tout à fait franche, les premières pages m’ont paru longues. Intéressantes, mais longues, je m’y suis un peu ennuyée. Ce détail excepté, j’ai aimé ce livre bien écrit, d’une construction originale et dont le sujet est très fort.
Didier Castino a mis la barre haut en sortant un premier roman aussi réussi. Il paraît que les auteurs sont comme le bon vin et se bonifient avec le temps. J’attends le second opus avec impatience…