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SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Trouver l’enfant ⇜ Rene Denfeld

Sorti en janvier 2019 chez Payot & Rivages, Collection Rivages/Noir, 302 pages. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Bondil, titre original : The Child Finder. Roman policier

L’auteure. Rene Denfeld est une jeune journaliste américaine spécialisée dans les enquêtes sur les condamnés à la peine de mort et auteure de nombreux essais primés. Elle vit dans l’Oregon. La critique de son premier roman En ce lieu enchanté (2014, Prix du meilleur roman étranger, Fleuve) a été particulièrement élogieuse et je l’ai pour ma part mis d’emblée dans mes coups de cœur tant il m’a chavirée. Celui-ci est le second paru en France.


EN DEUX MOTS


Une disparition d’enfant… Le sujet, pourtant casse-gueule est presque banal, traité souvent en littérature. Le drame, l’empathie avec les parents, la folie et la violence du ravisseur, la fin de l’innocence sont là. L’intensité tragique aussi. Mais ce roman a un petit quelque chose en plus : les relations entre l’enfant kidnappée et son ravisseur. Le syndrome de Stockolm. Un sentiment de lecture mitigé cependant en raison de certaines longueurs et scènes répétitives.

Les cinq premières lignes :
« C’était une petite maison jaune donnant sur une rue déserte. Elle dégageait une impression de découragement, mais de cela, Noami avait l’habitude. La jeune mère qui ouvrit la porte était frêle et paraissait beaucoup plus âgée qu’elle ne l’était. Ses traits semblaient tirés et fatigués ».

Madison a cinq ans quand elle disparaît subitement dans une forêt de l’Oregon où elle était avec ses parents pour choisir un sapin de Noël. L’histoire commence trois ans après et relate la recherche de Madison par Naomi, jeune enquêtrice spécialisée dans les disparitions d’enfants, que les parents de Madison ont engagée en désespoir de cause. Or, Naomi fut elle-même enlevée dans sa petite enfance mais ne conserve de souvenirs de sa disparition que sous forme de rêves étranges et violents. Ces rêves sont de plus en plus fréquents depuis qu’elle recherche Madison. Seule ou presque seule pour enquêter, elle doit mener de front trois investigations : découvrir ce qui est arrivé à la petite fille, si elle est morte ou vive, terminer une autre affaire en cours bientôt jugée, terrible elle aussi, et réussir à faire jaillir la vérité sur son propre enlèvement et son évasion, afin de pouvoir, enfin, aborder sa vie future en faisant avec son passé, quel qu’il soit. Pour avancer. C’est exactement ce qu’elle dit aux enfants retrouvés : il leur faut « s’approprier ce qui leur est arrivé. Je veux qu’ils se sentent en accord avec eux-mêmes, qu’ils n’éprouvent pas de honte ». Ne pas savoir est la pire chose aussi bien pour elle que pour les parents et leurs enfants. Naomi est d’une sensibilité à fleur de peau, se met à la place de l’enfant disparu et perçoit des indices invisibles aux yeux des autres dont elle tire des conclusions importantes pour l’avancée de l’enquête.
L’autre figure de l’histoire est la petite Madison. C’est une fillette attachante, sensible et précoce. Adorant les contes de fées que lui racontaient ses parents, elle s’est très vite transformée une fois prisonnière en héroïne d’un conte dont elle écrit l’histoire sur les murs de sa prison. Elle a baptisé sa doublure La fille de la neige pour mieux s’identifier à elle quand la situation est trop dure à supporter, quand elle a peur et risque de sombrer.
Le suspense est intense, les deux recherches avancent simultanément, l’une éclairant l’autre même si les deux histoires n’ont que peu de similitudes, ce malgré un rythme rendu lent par de nombreuses (et belles) descriptions de la nature et les fantasmagories de Madison. Jusqu’à un final inattendu, ou pas.

En ce qui concerne l’écriture, je dois bien dire, à mon corps défendant, et ce sera ma seule « critique », que je l’ai trouvée un poil moins belle, moins poétique en tout cas, que celle du premier roman de Rene Denfeld, En ce lieu enchanté. Mais peut-être est-ce l’excellence de ce dernier qui rend celui-ci un peu plus pâle. En ce lieu enchanté m’avait sauté à la gorge à sa sortie par son histoire très sombre de couloir de la mort aux Etats-Unis mais aussi par son écriture distillant la poésie à chaque syllabe. Le syndrome du second roman existe peut-être, finalement. Poursuivie par le doute, je suis allée rechercher le premier et me suis rendu compte que les deux romans n’avaient pas été traduits par la même personne. Ceci explique-t-il cela ?
Quoiqu’il en soit, l’écriture reste ici fort belle et imagée. Souvent vus avec les yeux de la petite fille, les éléments de la forêt, dont les sentes ne sont pas répertoriées sur les cartes, seul et unique décor, sont transfigurés de manière poétique. Madison transforme tout ce qu’elle voit en matériau de conte de fées, sans doute pour avoir moins peur dans cette forêt sans fin dont les conifères d’un vert profond sont recouverts et coiffés d’un blanc glacial et immaculé.

Mon avis sur le livre. Cette histoire d’enlèvement d’enfant est peu banale, même si tous les critères du genre sont présents. D’abord, bien sûr en raison de la personnalité de l’enquêtrice. Parce qu’elle a été enlevée dans sa prime enfance, Naomi fait preuve à la fois d’intuition et d’opiniâtreté tout en étant compréhensive et compassionnelle pour les enfants et leurs parents.
Le ravisseur, nommé « La chose appelée B », « L’être appelé B » ou tout simplement « Mr B » est différent de ceux que l’on a l’habitude de rencontrer dans les thrillers (romans ou films). Ne comptez pas sur moi pour vous dire en quoi. Mais il n’inspire pas seulement du dégoût et de l’incompréhension. Grâce à La fille de la neige, nous suivons ses agissements au quotidien, ses sautes d’humeur soudaines et comprenons peu à peu (en partie du moins) leurs raisons et leur origine, sans pour autant l’exempter, loin de là. De là à dire que nous le comprenons, lui, il y a un monde. Des moments de « gentillesse » maladroite alternent avec des accès de fureur subits accompagnés d’actes de violence sur Madison, qui sont relatés avec une grande pudeur vis-à-vis de celle-ci et sans voyeurisme aucun. Tout cela fait pourtant peine à lire.
La personnalité de Madison est elle aussi hors normes. Déjà surdouée, capable de lire et écrire au moment de son enlèvement, elle est aussi dotée d’une imagination débordante et se construit un monde parallèle qui lui permet de s’évader. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Terrorisée par son ravisseur, elle réussit à le « manipuler » quelque peu en utilisant ses points faibles, en « jouant » les assistantes même pendant les -rares- scènes d’extérieur, et en fomentant des projets d’évasion puisqu’« elle s’en sentait capable » en dépit de sa surveillance serrée. Et elle éprouve pour lui, et là nous sommes dans la surprise, comme une sorte, non pas de compassion, mais de « pitié » – puisque celle-ci peut être méprisante. Et le lecteur peut lui aussi s’y laisser prendre, c’est l’un des aspects ambigus du roman. Un autre étant la description physique et comportementale de La fille de la neige qui ferait par moments presque penser à une jeune adolescente. Quand elle a huit ans à la fin de l’histoire. Là, c’est vrai j’ai un peu tiqué vu ses conditions de survie qui auraient plutôt fait craindre un repli total, un recroquevillement… Madison est un mélange parfait de maturité et d’innocence. C’est sans doute ça la puissance romanesque. Ou bien celle des contes de fées…
Pour le reste, la sensation d’enfermement, de huis-clos même pour la fillette, particulièrement bien rendue, émerge du contraste entre l’immensité, la blancheur incandescente de la forêt où règne l’hiver en maître absolu et l’exiguïté et l’obscurité de la caverne dans laquelle elle est enfermée.

Pour finir, je dirai que Rene Denfeld a utilisé un sujet difficile, récurrent en littérature noire pour écrire un roman versant parfois dans le conte cruel (une belle petite fille et un homme-bête). Sa belle écriture l’autorise à mettre de la délicatesse dans une histoire terriblement noire. Et j’ai aimé ce roman, en dépit de certaines longueurs mais moins que En ce lieu enchanté qui m’avait clouée. D’après la quatrième de couverture, Trouver l’enfant est le début d’une série d’enquêtes de Naomi. Que je lirai forcément.

QUELQUES MORCEAUX CHOISIS

Madison ne comprenait pas que les gens peuvent être bons et méchants. Pas méchants comme quand on fait une petite bêtise. Méchants comme quand on fait de grosses bêtises. Méchants comme quand on va en prison. Elle ne savait pas que quand on a ce genre de méchanceté en soi, ce n’est pas comme si votre bonté vous empêchait de la voir. C’est plus comme si la méchanceté et la bonté se mêlent complètement l’une avec l’autre. Madison ne savait pas qu’on peut aimer quelqu’un qui est méchant.

Un passage qui dénote la finesse de Noami et sa proximité avec les enfants enlevés : « Que font les enfants ? Ils jouent. Même dans les pires taudis, ils transformeront des tas d’ordures en châteaux, des bâtons en armes de guerre redoutables. Parmi les enfants qu’elle avait retrouvés, ceux qui s’en sortaient le mieux à longue échéance étaient ceux qui avaient trouvé un moyen de jouer. Qui avaient inventé des mondes imaginaires dans lesquels se cacher. Certains parvenaient même à convaincre le ravisseur de leur procurer des jouets. S’échapper dans un autre monde représentait pour eux un moyen de se dissocier sans risque, sans perdre tout contact avec la réalité, au contraire de quelqu’un comme elle qui avait tout effacé. Oui, ceux qui s’en tiraient le mieux à longue échéance se ménageaient un lieu sûr dans leur propre tête. Parfois, ils faisaient même semblant d’être quelqu’un d’autre. Elle ne croyait pas à la résilience. Elle croyait à l’imagination ».

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