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SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Drame de pique ⇜ Sophie Hénaff

Sophie Hénaff
Sophie Hénaff

Avant d’écrire cette série policière dont celui-ci est le quatrième opus, et le premier a reçu plusieurs prix littéraires, notamment le prix des Lecteurs du Livre de Poche, Sophie Hénaff était journaliste à Cosmopolitan, où elle tenait une chronique humoristique, tiens donc… Elle est également traductrice anglais-français. Toutes les enquêtes des poulets grillés ont été publiées chez Albin Michel puis au Livre de Poche. Entre la deuxième et la troisième, Sophie Hénaff a fait une incursion dans l’uchronie (comique, non mais !) avec En voix d’extinction, sans doute inspirée par une pandémie.

Depuis la dernière enquête de l’équipe de choc, sise dans le milieu du cinéma, Art et décès, les années ont passé, l’eau a coulé sous le Pont-Mirabeau, deux confinements nous ont enfermés et des abominables virus affaiblis. Anne Capestan, la commissaire de l’équipe a maintenant deux petites filles et sa vie privée compte au moins autant que son travail. “Sa famille qui valait tous les ailleurs”, nous en dit-elle.
Plusieurs mesures sanitaires ont été adoptées au commissariat, parmi lesquelles l’amusant et impératif port de chaussons dès l’entrée dans l’appartement.

La pandémie a touché l’équipe d’une façon plus radicale que les services officiellement actifs. Sans travail véritable et régulier, nos joyeux poulets, plus “placardisés” que jamais, s’ennuient dans leur grand appartement-bureau de la rue des Innocents et certains font seulement fait acte de présence ; et pour cause, comme se défend Anne Capestan : “ça fait belle lurette qu’on n’en a plus, de dossiers, et vous le savez très bien ! Rien que la semaine dernière, j’ai appelé pour demander une saisine et je suis passée de ligne en ligne jusqu’à atterrir au service courrier”.
Les Poulets Grillés, punis, méprisés, étaient surtout devenus plus modestement des Poulets Oubliés. Et, pour la plupart, contents de l’être”.

Jusqu’au jour où le nouveau grand chef de la PJ leur propose une enquête. Toujours menée en marge des officiels, toujours sans armes et sans aides administratives, mais une enquête sérieuse, nationale avec, dès les premiers cas mortels, un serial killer (ou killeuse) à la clef, rien de moins ! Son objet : un phénomène de piqûres en soirées en séries, datant de plusieurs décennies mais de plus en plus récurrent et que suivaient toutes les polices, y compris nos joyeux drilles.
La reprise de ces meurtres, par piqûre ou simple frôlement, coïncide curieusement avec la sortie de centrale de Jacob Jacovitch, surnommé La Main de Dieu, un serial killer coupable de dix-sept meurtres. Il avait pris perpétuité mais, avec les remises de peine, il ressort vingt-trois après son incarcération. Sa fille l’attend à sa sortie.

Les meurtres continuent, très vite les pistes se brouillent, les suspect(e)s se succèdent : Jacovitch himself, un copycat, sa fille, un(e) ou deux tueur(se)s ? La France commence à avoir peur. La commissaire et son équipe improbable réussiront-elles à démêler les nœuds et éviter les chausse-trapes tendues par le monstre. Et à quel prix ? J’aurais tendance à dire oui mais qui sait… Celles et ceux qui liront l’enquête bien sûr.

Un regard sur le livre. Tout d’abord, une question utile, peut-être : faut-il avoir lu les précédents tomes ou non ? Pour le déroulement de l’intrigue policière, pas spécialement. Mais pour ce qui concerne les relations entre les personnages et leur présentation à mesure qu’ils entrent dans l’histoire, c’est préférable.
Les membres de l’équipe, s’ils ont évolué avec les années, sont dans l’ensemble restés fidèles à eux-mêmes, pour notre plus grand plaisir. Rosière joue toujours les princesses faussement effarouchées, Torrez est toujours une guigne musculeuse sur pattes, Merlot aussi fou et accro au vin rouge, Louis-Baptiste Lebreton beau gosse et efficace. Dax et Evrard sont mariés et toujours aussi amoureux, Lewitz fan absolu des voitures, Saint-Lô se prend encore pour un mousquetaire, plus ceux que j’omets. Leur grand chef à tous, le superintendant Buron, ami estimé de Capestan, a pris sa retraite et un jeune loup aux dents longues lui a succédé, Tom Bourbon Marcus. Pas vraiment sympa, et pas clair du tout dans ses choix et ses buts.
Pour preuve la condition – présentée un peu plus tard comme une récompense – d’être réintégrés dans les locaux officiels, de rejoindre le “Bastion”, siège de la PJ installé depuis peu aux Batignolles ; et, partant, de laisser l’appartement de la rue des Innocents. Un crève-cœur pour eux tous, essentiellement Rosière qui a mis beaucoup de cœur (et d’argent) dans la décoration. Ainsi que la perte de leur indépendance et de leur tranquillité. Entre l’amour de leur travail et leur “préretraite” leur cœur ne balance pas longtemps : ils vont foncer à leur manière : en oubliant règles, procédures et mesures administratives.

J’avoue avoir lu cette quatrième aventure par empathie pour ses personnages, la troisième m’ayant semblé un peu longue et moins drôle que les autres. La persévérance a payé. Il y a dans ce quatrième épisode une connotation dramatique immédiate qu’il n’y avait pas dans les précédents. Cela nous saisit dès l’ouverture du livre, dans laquelle s’exprime celle dont nous comprenons plus tard qu’elle est la fille d’un serial killer qui sort de prison alors qu’une série de meurtres reprend.
Si elle intervient en direct au cours de l’enquête lors d’interrogatoires, elle est aussi la voix off à la première personne qui se fait entendre de temps à autre en début ou en fin de chapitre. Elle endosse pendant un moment le rôle de suspecte idéale  tant elle semble admirer son père et le prendre pour un véritable héros – elle n’avait que huit ans quand il a été emprisonné et que sa mère a disparu. Ses réflexions en voix off créent une confusion chez les enquêteurs et entretiennent le suspense, qui devient de plus en plus intense, de plus en plus épais à mesure que de nouvelles suspicions se font jour et qu’une seconde voix off intervient. Même si les indices sont là, il nous est impossible de les repérer tant les rebondissements, les fausses pistes et les manipulations sont profus – plus que dans les autres épisodes, peut-être car il n’y a qu’une seule intrigue.

Et, fidèle à elle-même, Sophie Hénaff distille des fragments d’humour désopilants, aussi bien dans les dialogues souvent cocasses que dans les réflexions des personnages. Ce mélange suspense-drôlerie fait de ce quatrième volet un vrai plaisir de lecture, d’autant que la fin, à mon humble avis, laisse augurer une suite. Oui mais quand ? Vite, j’espère car vraiment, ce genre de polar est une véritable bouffée d’air frais dans le flot des lectures des amateurs de noir…

QUELQUES MOTS GLANÉS DANS LES PAGES

Les Poulets grillés et ses suites se déroulent de nos jours. Sophie Hénaff est extrêmement attentive aux événements qui ont lieu dans un présent très contemporain. Elle ose souvent les clins d’œil féministes comme ici :
La guerre en Ukraine s’était installée. Torrez le père de famille en cauchemardait chaque soir, en secret. Il voyait défiler les femmes et les enfants, longues cohortes de cibles pour l’armée russe et l’internationale des mafias de traite d’humains. Alors que les hommes étaient condamnés à défendre leur bout de territoire, les épouses, elles, devaient protéger leurs vies et celles de leurs enfants, leurs corps et ceux de leurs enfants, contre l’envahisseur, l’inévitable barbare. Et elles échouaient le plus souvent par l’éternelle et inégale répartition des forces, du nombre et des armes. Pourtant ce serait encore le courage des hommes qui serait hissé aux frontons des monuments, le courage de ceux qui possèdent un fusil pour se défendre et moitié moins de prédateurs à combattre”.

Une réflexion sur l’Allemagne de l’après-guerre :
“La haine s’éteignait ainsi de génération en génération, jusqu’à s’effacer totalement et rendre les guerres plus absurdes encore. Pour quelques anciens qui sursautaient en entendant de l’allemand, combien d’étudiants Erasmus fous de joie ? Tout le monde s’étripait pour libérer Paris, et trois décennies plus tard des ados en voyage scolaire franco-allemand se coinçaient leurs appareils dentaires à force d’embrassades sur les autos-tamponneuses, parfaitement ignorants des terreurs de leurs parents”.

L’enfance, toujours l’enfance, notre moule à tous c’est vrai. Oui, mais ici, celle de qui ?
“Déjà petit, il était trop petit. Il voyait la moue déçue de sa maman quand elle se penchait pour tracer un trait au crayon à papier au-dessus de son crâne. Elle lui donnait une claque rapide sur les fesses pour qu’il dégage de la toise, qu’elle contemplait en secouant la tête. Ces jours-là il ne demandait trop rien pour se faire rabrouer. Mieux valait longer les murs et rester à l’étude”.

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