Paru en août 2014 chez Folio, l’année précédente en version brochée. 143 pages. Critique élogieuse. Un premier roman. L’auteure a écrit jusque-là des livres pour la jeunesse.
L’histoire. Elle se déroule en quelques jours, au moment d’un week-end du Nouvel-An, dans la Chine d’aujourd’hui, et nous raconte les premiers émois amoureux et la première, et terrible, claque d’une jeune ouvrière chinoise de dix-sept ans, Mei, dans une usine de confection à la chaîne. Usine où elle travaille (beaucoup), où elle mange (vite et peu) et où elle dort (si peu).
Mais dans cette usine, elle rêve aussi, d’amour surtout. Privée de sa paye du mois pour avoir commis quelques maladresses, elle est sans argent pour pouvoir partir passer les fêtes dans sa famille et donc contrainte de rester enfermée dans l’usine. Mais elle n’y est pas totalement seule. Un des jeunes contremaîtres de son service est là aussi. Reconnaissant l’homme de ses rêves (au sens propre), elle unit sa propre solitude à la sienne et vit avec lui deux jours d’une passion incandescente.
L’auteur nous donne une vision assez pessimiste de la situation de la femme encore aujourd’hui en Chine. Si Mei a quitté son village et les siens pour venir travailler dans cette usine aux rythmes infernaux, et y vivre dans d’ignobles conditions, c’est pour que son frère aîné puisse lui faire de grandes études. Car Mei est une fille et de fait n’a pas le droit de faire des études même si elle en a largement les capacités intellectuelles, comme on le constate à mesure que se déroule l’histoire.
L’écriture. Roman subjectif, le livre est écrit à la première personne. Toujours au présent, avec des phrases, des paragraphes et des chapitres courts, voire très courts. Malgré la difficulté engendrée par cette triple contrainte, le style est magnifiquement clair et ciselé.
A noter une grande dichotomie entre l’âpreté de l’histoire, surtout la fin, et le caractère romantique de Mei, sur lequel s’est calé le style qui, de bout en bout, oscille entre rêve et réalité dans un langage toujours poétique même si parfois violent. La vie à l’usine est rendue de façon très réaliste alors même que les révoltes naissantes et les cadences infernales sont décrites dans un style romantique. Tout y est : les horaires et les cadences hors normes, les pauses-repas de plus en plus courtes, la fatigue, le manque d’air, la chaleur, les chefs odieux, les dortoirs exigus…
Ce texte très court est si intense qu’il se lit d’une traite et nous emporte dans un tourbillon d’émotions, au rythme de celles de Mei : la tristesse, la résignation, puis le bonheur et l’espoir (si brefs) qu’elle trouvera avec l’être aimé avant la chute finale, si dure. (Je ne suis d’ailleurs pas sûre d’avoir tout à fait compris, ou voulu comprendre, mais en tout cas la fin est révoltante).
Enfin, sans en avoir l’air, ce livre nous interpelle sur notre consommation excessive à nous, occidentaux. C’est pour que nous puissions porter des chemisiers pile assortis à nos jupes, un par jupe tant qu’à faire au prix où on nous les vend, que Mei se tue à la tâche comme des milliers d’autres adolescentes en Asie. Comme pour nos téléphones, nos tablettes et bien d’autres biens de consommation, il y a ceux qui les consomment et ceux qui les fabriquent… C’est peut-être ça, la fabrique du monde, la manufacture dans les usines chinoises de presque tous les objets portés ou utilisés par le reste du monde. Elle se demande d’ailleurs si les occidentaux pensent à elles en achetant leurs vêtements : « Est-ce qu’il leur arrive de penser à nous ? »
Mais l’auteure dit ne pas avoir voulu s’arrêter à un roman social mais écrire un récit d’apprentissage. Et le monde en question est bien surtout celui que va essayer de se fabriquer l’héroïne. Dans la dure vie de l’usine mais aussi dans ses rêves, à la fois beaux et violents. Et dans son histoire d’amour si brève et si tragique.
Un tout petit grand livre sur la jeunesse chinoise aujourd’hui, rempli de poésie et de sensualité, de violence et de sensibilité, qui nous parle de vie, d’amour et de mort. Mais dont la fin, inéluctable, est bouleversante.
En si peu de pages, cela paraît rare. Ces pages, je les ai dégustées avec grand plaisir et beaucoup d’émotion. J’ai trouvé la fin presque aussi triste que celle de La petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel, c’est dire !
Madame Van Linden, continuez d’écrire pour la jeunesse mais ne nous oubliez pas, nous autres les adultes !
Si je devais le noter sur 20, je lui mettrais 17. Les trois points manquants sont pour la faible pagination.