Sorti en pour la première fois en février 1999 aux Editions de l’Olivier, puis édition de poche en mars 2000 chez Points. Enfin, à l’occasion de l’obtention du Prix Goncourt par Jean-Paul Dubois pour son de son dernier roman Tout le monde n’habite pas le monde de la même façon, il vient de ressortir, toujours en poche et toujours chez Points.
J’ai découvert cet auteur avec le Goncourt, qu’il a remporté cette année 2019 et que je n’ai pas chroniqué parce que Cathy l’avait déjà fait. Par contre, comme à chaque fois que j’ai un coup de foudre pour un auteur, j’ai très vite envie de lire ses autres livres.
On y retrouve Paul, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre… Il y a tant de Jean-Paul dans tous les Paul de ses romans ! Entre autres choses une grande sensibilité, presque féminine je dirais. Ce Paul est écrivain. Si au début de l’histoire il semble abandonner l’écriture – se remettant totalement en question –, on s’aperçoit à la fin qu’il n’a cessé d’écrire. Et avec quel talent ! J’adore sa langue poétique.
Paul rompt ses amarres et part au Québec où, à travers des épreuves (dont la dernière terriblement angoissante), il part sur les traces de son père.
Ce Paul-là aime aussi la nature et la condition animale, qu’il décrit de façon magistrale.
Ce Paul-là est aussi visité par les morts, il ne rompt pas facilement avec le passé. Il n’hésite pas à « traverser la forêt de ses peurs » au risque d’y laisser sa vie. J’ai particulièrement été happée par ce passage (pages 86 à 97 de la première édition) où il nous raconte son épopée médicale au Québec. En proie à de terribles vertiges, il a bien des difficultés à être examiné de manière approfondie. J’adore quand il retourne chez un généraliste pas sérieux se faire rembourser sa consultation. Etant moi-même sujette à des vertiges au moment de cette lecture, je me suis trouvée en osmose avec le narrateur.
Il est à noter que le narrateur parle tantôt à la première personne avec un je sujet, tantôt prend ses distances et le sujet peut devenir il, ou le fils ou le frère. Ainsi page 130 : « Le frère était heureux. Il avait fait rire sa sœur. Comme y parvenait son père dans les films. Le frère se sentait maintenant capable de parler toute la nuit pourvu que la sœur restât là, près de lui ».
Tellement heureux que quelques lignes plus loin : « Dehors les gouttes explosaient comme de petites bombes. On entendait rôder le souffle du tonnerre. La pluie me détrempa en quelques secondes. Je ne frissonnai même pas. Je me sentais à l’abri de tout, imperméable aux affaires du monde ».
Une dernière citation, page 79 : « Posée sur le hublot, immobile, une mouche contemplait le spectacle de cette immensité. D’où venait-elle ? Combien de couloirs, de dédales avait-elle traversés avant de monter à bord ? Quel facétieux destin l’avait poussée à entreprendre ce périple ? Pour l’instant, aux yeux du monde que nous survolions, elle et moi étions deux passagers d’égale insignifiance ».
LE GRAIN DE SEL DE LA SL
Oui, en effet, un bien beau livre. Il est sorti pour la première fois en 1999 et l’on reconnaît pourtant bien l’auteur du Prix Goncourt 2019. Son écriture fluide (même si les « vrais » dialogues sont plutôt rares), « poéticomique », descriptive à souhait et riche de mots ; une femme morte dans un petit avion – ici, il s’agit de la mère de Paul ; la présence d’un chien aimé, une réflexion sur les livres et l’écriture, leur (in)utilité (pour l’auteur et les lecteurs), leur vanité, leur intérêt : il a mesuré la hauteur de sa pile de livres et les a pesés. L’amour de la nature même si elle peur se montrer hostile, le respect des Amérindiens…
Mais c’est surtout l’autodérision et la remise en question permanente de lui-même que j’apprécie chez Jean-Paul Dubois, ici encore moins complaisant avec lui qu’avec ceux qui l’entourent. La manière dont le narrateur, lui-même écrivain, parle de ses livres est désopilante et l’on sent bien que le discours est sincère et ne comporte pas une once de fausse modestie. Beaucoup de réflexions d’ordre général, toutes sonnant juste.
J’ai beaucoup souri, beaucoup ri, certaines scènes sont hilarantes, telle la description de ses spermatozoïdes infertiles ou les rêves-visions-monologues de Paul perdu dans la forêt alors que la situation ne se prête vraiment pas au rire. Ce chapitre, « Les bois sales », mon préféré, est un morceau de bravoure d’une trentaine pages et je l’ai lu deux fois de suite tant le mélange de danger, de peur, d’humour noir, et d’introspection est subtil. Sa façon, aussi, de s’appeler parfois « le demi-fils ». A lire sous la couette ou à moins d’un mètre d’un radiateur. Un vrai petit bijou. Reste que j’ai été moins émue qu’avec La succession et le Goncourt mais là, on frôle l’excellence.