Christophe Wojcik est d’abord un fonctionnaire municipal. Conseiller et rédacteur politique à la mairie de Valence, il rédige pour son cabinet des discours politiques.
De la politique au « policier » il n’y a qu’un pas qu’il franchit d’autant et plus facilement et allégrement qu’il a toujours écrit autre chose que des discours politiques, conservant ses textes (fables, nouvelles) sans se hasarder à les publier.
Il confie avoir été poussé par son entourage à faire éditer ce premier roman de la taille d’une longue nouvelle et au contenu fablier.
L’histoire est abracadabrante. Le narrateur, Léo-Paul – ça ne s’invente pas -, qui s’exprime à la première personne, ne nous est pas sympathique pour autant. Rentier de profession, il a hérité d’une grosse fortune et loue des dizaines de garages achetés à bon prix quelques années plus tôt. Il se dit « contemplatif », statut qu’il revendique, et plus précisément le roi du « ne rien faire ».
C’est à peu près tout ce que nous saurons de lui avant qu’il ne change « de vie » en prenant littéralement celle d’un mort.
Celui-ci, un certain Pierre, lui est une nuit « tombé dans les bras » alors qu’il agonisait, blessé à la tête, sur le trottoir, tout près de chez Léo-Paul. L’ayant monté chez lui, ce dernier réalise que sa blessure est plus grave que ce qu’il avait pu en voir dehors et qu’il est trop tard pour appeler les secours. Pierre meurt quelques instants plus tard, lui demandant d’appeler sa femme avec son portable, scandant à quatre reprises : « Je ne veux pas mourir ».
C’est bien connu, on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie car celle-ci distribue les rôles, les bonnes et les mauvaises surprises à son gré. C’est peut-être tout simplement pour se faire une vie dans la mort de Pierre que Léo-Paul décide de le « garder en vie » en prenant sa place via son téléphone portable, toujours actif et, comble de la chance, sans autre code secret que les quatre zéros du constructeur à la pomme.
Original, non ? Oui, original. Et rondement bien mené. Car les difficultés ne vont pas manquer à mesure qu’il « explore » l’entourage familial, amical et social du mort sur son portable. La mort de Pierre réserve bien des surprise dans la nouvelle vie de Léo-Paul. Des mauvaises et des bonnes dans l’ordre où elles tombent.
Même si les personnages (peu nombreux) finissent par se rencontrer, l »essentiel de l’histoire se déroule par l’intermédiaire du téléphone portable. Le jeu est serré pour Léo-Paul, autant que l’enjeu est de taille. Jusqu’à une fin attendue, pas attendue ? Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une fable même si Le Portable ne commence pas par Il était une fois un téléphone portable. Et je m’arrête là, il parait que j’en dis trop.
Pour ce qui concerne le style, l’écriture est enlevée avec des dialogues, forcément virtuels, très circonstanciés et réfléchis car les écrits, même et surtout « en ligne », restent ou se retrouvent, contrairement aux paroles qui toujours s’envolent. Beaucoup de jeux de mots qui eux aussi sonnent juste, Léo-Paul joue de l’autodérision tout en continuant son chemin. L’ensemble, immoral mais désopilant, est très agréable à lire, le rire, souvent d’un jaune grinçant c’est vrai, l’emporte le plus souvent. Car dans une fable tout est permis et ce roman a des allures de fable ; la fable nous semble parfois difficile à distinguer d’une narration réaliste. Aujourd’hui plus qu’hier.
Un regard sur le livre. Au sortir d’une saga poignante de plus de sept cents pages, je cherchais un polar facile à lire, court et original. Et plutôt bien écrit. Le Portable, tout en n’étant pas un vrai polar, a répondu à ces quatre critères. Le téléphone y est un personnage à part entière, plus important peut-être que les deux personnages principaux car sans lui l’histoire, gérée le plus souvent par son intermédiaire, n’existerait pas. C’est grâce à lui (et aux textos multiples qui y transitent) que l’histoire avance dans le réel. Avec en sus un amusement constant et une réflexion juste et sensée sur les téléphones portables et l’utilisation abusive que nous en faisons presque tous. Certains passages sont hilarants même quand ils prêtent à réfléchir.
Le Portable est un roman court mais dense. L’actualité de son sujet et la justesse des allégations en font un livre que l’on n’oubliera pas si vite car sa légèreté n’est à mon sens que la surface de son propos. Je vous le recommande.
Pour finir, je dirai que le second roman de Christophe Wojcik sort en cette rentrée littéraire 2024 (oui, déjà, et combien avons-nous lu de romans depuis la dernière rentrée littéraire, celle d’août 2023 ?). Et s’il est aussi court et amusant que celui-ci, il fera comme lui diversion entre deux sagas ou deux gros romans bien noirs dont je raffole. Autre avantage pour la paresseuse que je suis : plus le livre est long plus j’écris. Alors, plus il est court…
DEUX EXTRAITS PARLANTS, quand même, pour la route.
Dont un, particulièrement long, qui concerne chacun d’entre nous au point qu’il vous donnera forcément l’envie de lire l’ensemble.
Une question drolatique que se pose Léo-Paul :
« Ce type est mort. Et bien mort. N’empêche. Quelque chose me turlupine. Il ne peut pas s’être tout à fait éteint puisque son portable est allumé ».
Le téléphone portable, source inédite de renseignements :
Tous les ingrédients sont réunis dans cet épatant rectangle épais de quelques millimètres. Du bout des doigts, en pressant sur des boutons interactifs, en activant des applications, je peux recomposer le puzzle de son existence, accéder aux renseignements nécessaires pour savoir qui il était, ce qu’il faisait, d’où il venait, où il prévoyait d’aller, comment et avec qui. De la méthode. Du flair. De l’esprit de déduction. Je dois être à la fois consciencieux et attentif dans mon travail d’investigation si je veux appréhender cet homme sous toutes ses coutures. Le décortiquer. Faire la part des choses. Séparer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. Ne surtout rien négliger ».
Plus loin : « Pierre a encore des choses à dire. Il est le personnage principal de cette histoire. Pas moi. Moi, je suis la courroie de transmission. Si je cessais de retransmettre, il disparaîtrait des radars. Elle serait très malheureuse. Il ne peut pas lui faire ça. Je ne peux pas lui faire ça. Nous ne le pouvons pas. Nous formons un duo. Une équipe d’enfer. En le supprimant, c’est moi que je supprimerais ».
En quelques lignes, une définition du smartphone quasi parfaite, mais non exhaustive à l’avenir :
“Les téléphones sont partout, qui peut encore s’en passer ? lls nous accompagnent, nous relient au monde, nous informent, nous suppléent. Ils disent tout sur nous : nos emplois du temps, nos centres d’intérêt, nos habitudes, avec qui nous échangeons. Ils nous assistent. Ils sont notre prolongement. Sans eux, nous sommes perdus, comme s’ils nous étaient devenus littéralement vitaux. Ils n’existaient pas quinze ans plus tôt – pas avec ces multiples fonctionnalités en tout cas. Qui sait ce qu’ils feront de nous dans quelques décennies ? Jusqu’où iront-ils pour rapprocher le monde réel du monde virtuel ? Jusqu’où convergerons-nous avec eux ? Et s’ils étaient le “chaînon manquant” du clonage humain, le vrai, le complet, dans une version électronique, une séquence d’ADN pour le patrimoine génétique, la puce du portable pour qualifier la personnalité, l’un pour le contenant, l’autre pour le contenu, on mélange le tout, on réalise la synthèse et on obtient une reproduction à l’identique, un double parfait ?
Ces objets fascinants ne sont pas comme les autres. Ils sont constitués d’un système central innervé par des connexions. Ils ont de la mémoire. Ils parlent. Ils voient. Ils dialoguent entre eux. Ils nous contiennent. Nous les rendons vivants d’une certaine manière, en leur confiant des fonctions essentielles à nos vies”.
Les plus jeunes diront : « Quoi, on pourrait vivre sans téléphone ? » « Ouais, bah, il faut bien vivre avec son temps ». « On n’est plus au Moyen-Age » quand même ». « On n’arrête pas le progrès ». « C’est pratique pour les partiels ». « Cool pour regarder des vidéos et même des séries la nuit en cachette ». « Ouais, et pour parler et jouer en ligne ». « Sans parler des potes sur Insta et des improvisations de soirées »…
Les plus vieux (les grincheux ?) diront : « C’était mieux avant ». « On n’arrête pas le progrès, c’est bien dommage ». « Quid de la planète ? » « Pour annuler un cours de gym ou un bridge, c’est pas mal ». « Et pour faire des photos de croisières… » « Moi j’en profite pour appeler mon neveu au Canada ». « Et moi je regarde YouTube ». « Moi, je le boude en ce moment car avec la géolocalisation, je me sens moins libre. Je n’aime pas qu’un téléphone me surveille ».
Etc, etc. Lisez ce court roman qui donne à réfléchir tout en nous amusant. Un bien agréable moment de lecture.