Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Le Portable ⇜ Christophe Wojcik

Les cinq premières lignes. Huit heures quinze, l'objet triangulaire déposé sur le plan de travail de la cuisine s'éclaire soudain, vibre et sonne, un dring-dring sec et strident qui rappelle celui de nos téléphones d'avant, accélération des battements de mon cœur, ne pas décrocher, surtout pas".
EN DEUX MOTS. Une comédie policière sous forme de fable agréable à lire pour son impertinence et son immoralité. En dépit du peu d'empathie que nous inspire le personnage principal.
Sorti en mars 2023 aux Editions Héloïse d'Ormesson. (Premier) roman. 118 pages.
Christophe Wozjik

Christophe Wojcik est d'abord un fonctionnaire municipal. Conseiller et rédacteur politique à la mairie de Valence, il rédige pour son cabinet des discours politiques.
De la politique au "policier" il n'y a qu'un pas qu'il franchit d'autant et plus facilement et allégrement qu'il a toujours écrit autre chose que des discours politiques, conservant ses textes (fables, nouvelles) sans se hasarder à les publier.
Il confie avoir été poussé par son entourage à faire éditer ce premier roman de la taille d'une longue nouvelle et au contenu fablier.

L'histoire est abracadabrante. Le narrateur, Léo-Paul - ça ne s'invente pas -, qui s'exprime à la première personne, ne nous est pas sympathique pour autant. Rentier de profession, il a hérité d'une grosse fortune et loue des dizaines de garages achetés à bon prix quelques années plus tôt. Il se dit "contemplatif", statut qu'il revendique, et plus précisément le roi du "ne rien faire".
C'est à peu près tout ce que nous saurons de lui avant qu'il ne change "de vie" en prenant littéralement celle d'un mort.

Celui-ci, un certain Pierre, lui est une nuit "tombé dans les bras" alors qu'il agonisait, blessé à la tête, sur le trottoir, tout près de chez Léo-Paul. L'ayant monté chez lui, ce dernier réalise que sa blessure est plus grave que ce qu'il avait pu en voir dehors et qu'il est trop tard pour appeler les secours. Pierre meurt quelques instants plus tard, lui demandant d'appeler sa femme avec son portable, scandant à quatre reprises : "Je ne veux pas mourir".

C'est bien connu, on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie car celle-ci distribue les rôles, les bonnes et les mauvaises surprises à son gré. C'est peut-être tout simplement pour se faire une vie dans la mort de Pierre que Léo-Paul décide de le "garder en vie" en prenant sa place via son téléphone portable, toujours actif et, comble de la chance, sans autre code secret que les quatre zéros du constructeur à la pomme.

Original, non ? Oui, original. Et rondement bien mené. Car les difficultés ne vont pas manquer à mesure qu'il "explore" l'entourage familial, amical et social du mort sur son portable. La mort de Pierre réserve bien des surprise dans la nouvelle vie de Léo-Paul. Des mauvaises et des bonnes dans l'ordre où elles tombent.
Même si les personnages (peu nombreux) finissent par se rencontrer, l''essentiel de l'histoire se déroule par l'intermédiaire du téléphone portable. Le jeu est serré pour Léo-Paul, autant que l'enjeu est de taille. Jusqu'à une fin attendue, pas attendue ? Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une fable même si Le Portable ne commence pas par Il était une fois un téléphone portable. Et je m'arrête là, il parait que j'en dis trop.

Pour ce qui concerne le style, l'écriture est enlevée avec des dialogues, forcément virtuels, très circonstanciés et réfléchis car les écrits, même et surtout "en ligne", restent ou se retrouvent, contrairement aux paroles qui toujours s'envolent. Beaucoup de jeux de mots qui eux aussi sonnent juste, Léo-Paul joue de l'autodérision tout en continuant son chemin. L'ensemble, immoral mais désopilant, est très agréable à lire, le rire, souvent d'un jaune grinçant c'est vrai, l'emporte le plus souvent. Car dans une fable tout est permis et ce roman a des allures de fable ; la fable nous semble parfois difficile à distinguer d'une narration réaliste. Aujourd'hui plus qu'hier.

Un regard sur le livre. Au sortir d'une saga poignante de plus de sept cents pages, je cherchais un polar facile à lire, court et original. Et plutôt bien écrit. Le Portable, tout en n'étant pas un vrai polar, a répondu à ces quatre critères. Le téléphone y est un personnage à part entière, plus important peut-être que les deux personnages principaux car sans lui l'histoire, gérée le plus souvent par son intermédiaire, n'existerait pas. C'est grâce à lui (et aux textos multiples qui y transitent) que l'histoire avance dans le réel. Avec en sus un amusement constant et une réflexion juste et sensée sur les téléphones portables et l'utilisation abusive que nous en faisons presque tous. Certains passages sont hilarants même quand ils prêtent à réfléchir.
Le Portable est un roman court mais dense. L'actualité de son sujet et la justesse des allégations en font un livre que l'on n'oubliera pas si vite car sa légèreté n'est à mon sens que la surface de son propos. Je vous le recommande.

Pour finir, je dirai que le second roman de Christophe Wojcik sort en cette rentrée littéraire 2024 (oui, déjà, et combien avons-nous lu de romans depuis la dernière rentrée littéraire, celle d'août 2023 ?). Et s'il est aussi court et amusant que celui-ci, il fera comme lui diversion entre deux sagas ou deux gros romans bien noirs dont je raffole. Autre avantage pour la paresseuse que je suis : plus le livre est long plus j'écris. Alors, plus il est court...

Etc, etc. Lisez ce court roman qui donne à réfléchir tout en nous amusant. Un bien agréable moment de lecture.

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