Antigone est une femme moderne. Oui. Je parle bien de l’Antigone antique de Sophocle, reprise et réadaptée aux temps « modernes » par Jean Anouilh en 1944. Le contexte et les histoires divergent, le personnage d’Antigone, non. Tellement moderne, Antigone, que j’ai découvert à l’occasion d’un passage dans ma famille parisienne qu’elle était au programme du brevet des collèges. Ma petite collégienne, Gaia, a fait ce commentaire pour son oral, dont le sujet était : Fatum et Rébellion dans « Antigone« .
C’est un peu scolaire, certes, pour le blog, mais je préfère proposer son texte brut plutôt que de le remanier façon « chronique ».
Antigone est la dernière partie de l’histoire tragique de la famille royale de Thèbes et se déroule après la mort d’Œdipe.
Cette tragédie antique a fait l’objet de nombreuses pièces de théâtre, à travers les siècles. J’ai choisi de vous parler de celle de Sophocle, qui est la plus ancienne, et de celle plus moderne de Jean Anouilh, et plus précisément des thèmes du fatum (le destin) et de la rébellion.
Œdipe et Antigone, Charles Jalabert, 1842, Musée des Beaux-Arts de Marseille
Afin de bien comprendre Antigone, il est important de revenir sur l’histoire de sa famille.
Antigone est née de l’inceste involontaire entre Œdipe et Jocaste. Elle descend directement des dieux Zeus et Poséidon. L’histoire de ses ancêtres, les Labdacides, révèle combien ils sont maudits.
Tout commence avec Laïos qui enlève et viole Chrysippe, fils du roi Pélops, dont il est tombé amoureux.
Pélops maudit Laïos au nom d’Apollon.
Laïos devient roi et épouse Jocaste. L’oracle de Delphes l’informe, que, s’il a un fils, celui-ci tuera son père et épousera sa mère. C’est pourquoi Laïos n’entretient avec Jocaste aucune relation intime, sauf une seule fois, où, saoul, il engendre Œdipe. L’enfant est abandonné, recueilli par des bergers et amené au roi de Corinthe, qui l’élève comme son fils et lui donne le nom d’Œdipe…
Une fois adulte, Œdipe consulte l’oracle de Delphes, découvre la malédiction dont il est l’objet et décide de fuir Corinthe.
À un carrefour, il rencontre un vieillard, se querelle avec lui et le tue, ignorant qu’il s’agissait de son vrai père.
A l’entrée de Thèbes, Œdipe affronte le Sphinx et son énigme : il est proclamé roi, et épouse la reine Jocaste. Ils ont deux fils, Etéocle et Polynice, et deux filles, Ismène et Antigone.
Mais Œdipe découvre peu à peu le secret de sa naissance. Désespérée, Jocaste se pend et Œdipe se crève les yeux avant de quitter Thèbes pour s’exiler à Colonne.
Étéocle et Polynice prolongent la malédiction familiale en s’entretuant.
« Crains de procréer des enfants contre le gré des dieux. Car, si tu engendres un fils, ce fils te tuera, et toute ta maison s’éteindra dans le sang. » (Euripide, Les Phéniciennes, vers 18-20).
La lignée maudite.
L’œuvre de Sophocle
- Ecrite en 441 av J.C., elle a inspiré toutes les autres versions
- Le poids du destin, le fatum
- Une pièce religieuse
- La loi des dieux prévaut sur celle des hommes
- L’importance des rites funéraires
L’œuvre d’Anouilh
- Créée en 1944 pendant l’occupation Allemande
- Une pièce moderne
- Le ton est familier
- Les costumes modernes
- De nombreux anachronismes
- Aucune référence à la Grèce antique
Antigone devant le corps de Polynice, huile sur toile de Nikifóros Lýtras, 1865, Pinacothèque nationale d’Athènes.
LA PIECE DE SOPHOCLE.
Créée vers 441 av J.C., elle commence lorsqu’Antigone décide de braver l’interdiction de Créon et d’ensevelir le corps de son frère Polynice. Elle informe Ismène de son intention, ce qui donne lieu à une dispute entre les deux sœurs.
Le Prologue fait référence au fatum, c’est-à-dire au destin tragique auquel Antigone ne peut échapper quoi qu’elle fasse. Les dieux s’acharnent sur les Labdacides et la pièce interroge sur le poids de cette faute héritée de génération en génération.
Dans la Grèce antique, les rites funéraires étaient très importants. Si Polynice n’est pas enterré, son âme n’atteindra pas la lumière et restera piégée dans le monde des vivants. Antigone tente donc d’accomplir ce qu’elle pense être son devoir religieux.
Antigone est d’une loyauté sans faille envers Polynice, et pour accomplir ce devoir, elle s’oppose aux autres membres de sa famille, en commençant par sa sœur, Ismène, puis Créon.
D’ailleurs son prénom la prédestine à être une menace pour sa famille : « anti » signifie « contre » en grec et « goné- » est une racine indo-européenne qui désigne la famille, la lignée.
Antigone est courageuse et déterminée. Elle est persuadée de faire le bien. Elle est finalement aussi orgueilleuse de Créon, ce qui la mènera à la mort.
LA PIECE DE JEAN ANOUILH
Le contexte historique
Jean Anouilh est un écrivain et dramaturge français, né le 23 juin 1910 et mort le 3 octobre 1987. Antigone, écrite pendant l’Occupation, est sa pièce la plus célèbre. Elle est jouée une première fois avant la Libération le 13 février 1944, puis le 29 septembre 1944. C’est un succès et elle sera jouée plus de deux cents fois.
Une réécriture moderne
La pièce est volontairement moderne. Le ton est familier : « Antigone, c’est la petite maigre qui est assise là-bas…«
On y trouve également des anachronismes : les cartes postales, le café, les tartines, le bar, les fusils, les pantalons longs, les voitures de course…
Par ailleurs, aucune référence n’est faite à la Grèce antique.
L’incarnation de la Résistance
Au début de la pièce, le Prologue présente les personnages un par un et le sujet de la pièce. Quand Antigone entre, elle vient de tenter d’enterrer son frère Polynice.
Cette Antigone semble plus proche de nous car ses mobiles sont humains et non plus religieux : elle veut réparer l’injustice faite à son frère.
Antigone est ici un appel à la résistance, et l’opposition entre les deux sœurs permet à Anouilh de dénoncer l’attitude passive de certains Français face à l’occupant nazi.
Antigone crie haut et fort son opposition aux lois injustes de Créon, incarnation du maréchal Pétain. Elle refuse les compromissions et se bat jusqu’à la mort pour ses convictions, osant dire « non » à un homme puissant. Elle n’abandonne pas ses idées, même lorsqu’elle doute : « Je ne sais plus pourquoi je meurs ».
Nous y retrouvons les deux thèmes majeurs de la pièce de Sophocle : l’impossibilité d’échapper à la malédiction familiale et la résistance face à l’oppression.
Représentation de la pièce Antigone de Jean Anouilh en 1944.
[Collection Roger-Viollet, AFP]
En guise de conclusion, je dirai que dans les deux pièces la signification est la même. L’histoire a été écrite et réécrite, elle délivre plusieurs significations, principalement l’impossibilité d’échapper à son destin, et la résistance face à l’oppression.
Antigone est une héroïne universelle, qui a inspiré de nombreux écrivains, réalisateurs et compositeurs. Par sa force de résistance, elle devient le symbole de toutes les femmes qui se rebellent contre la tyrannie et les injustices. A travers le monde et à travers le temps…