Cédric Sapin-Defour, la trentaine active, vit dans le Beaufortain avec sa femme Mathilde et ses chiens. Tous deux sont professeurs d’éducation physique, passionnés de randonnées et d’escalade. Et par les animaux, essentiellement les chiens. Après avoir publié des articles dans Montagnes Magazine, Libération entre autres et plusieurs livres sur la montagne, il sort chez Stock ce premier roman Son odeur après la pluie qui rencontre un succès phénoménal auquel il ne s’attendait guère. Mais qui est amplement mérité. Cédric Sapin-Defour est un homme trop modeste.
L’histoire est simple et pourrait tenir en quelques mots : l’amour absolu et réciproque d’un chien et d’un homme. Elle occupe pourtant près de trois cents pages et nous en redemanderions si nos PAL n’étaient si hautes.
Un jour comme les autres, s’ennuyant dans un bar-PMU de la grande surface de son village, le narrateur-auteur feuillette le “journal” du coin, rempli essentiellement d’annonces petites ou grandes. Parmi celles de la page 6, l’une attire son attention : elle propose à la vente douze bouviers bernois d’une seule et même portée, six femelles et six mâles. Cédric ne s’est jamais remis de la mort d’Iko, son labrador recueilli à la SPA, qu’il avait aimé follement. La petite annonce, en soi le premier coup de foudre, est le déclic qui lui manquait pour sauter le pas et adopter (en l’achetant cette fois-ci) un autre chien. Il se décide pour l’un d’eux et croit encore avoir le choix, non pas entre mâle et femelle, mais entre douze chiots identiques sortis du même ventre. Il se trompe.
Le vrai coup de foudre a lieu chez l’éleveuse. Il est mutuel, le futur adopté étant resté à l’écart des onze autres à fixer l’homme d’un regard à la fois suppliant et certain que ce serait lui, puis que ce serait eux.
Un mois interminable plus tard, attente impatiente faite des paperasses, de l’organisation de rigueur, du choix difficile du nom (année des U !), l’animal et l’homme repartent ensemble, euphoriques et soulagés que leur histoire puisse enfin commencer pour de bon. Le plus beau jour de deux vies, la réunion de deux êtres faits l’un pour l’autre :
“Il y a des instants, si rares, souvent jamais, quand la vie vous dépose exactement où il faut. Tout s’accorde, de la lumière au son des mots, des choses humaines aux perspectives. Comme si, malgré ce qui ressemblait jusqu’alors au hasard, aux dérives et à un statut de spectateur, tout avait été mis en place pour vous offrir cette scène et ce rôle qu’il s’agit d’endosser avec force”. Nous entrons dans le milieu vétérinaire alors qu’Ubac est en pleine forme, tout petit même, juste pour ses vaccins.
S’ensuivent plus de treize années d’un bonheur absolu fait d’amour infini et partagé, de compréhension, de complicité ; de jeux, de balades à n’en plus finir, de chahuts avec cris, roulés-boulés, embrassades, j’en passe et j’en passe.
De temps en temps, le récit au présent s’agrémente de quelques retours dans le passé de l’auteur, toujours liés aux chiens, mais le rapport à l’histoire est toujours très serré. L’intrigue au présent a l’âge d’Ubac, le passé est fini, le futur prendra le temps du chagrin.
Après l’arrivée de Mathilde dans la vie de Cédric, Ubac a avancé dans son âge canin et il est quelque peu moins vaillant. La famille s’agrandit de deux autres chiennes, Cordée et Frison, une Labrador et une Bouvière bernoise, que très vite Ubac adoptera et dont il deviendra le “grand frère” protecteur, éducateur et complice en tout. Une sacrée famille nombreuse, aimante et unie.
Jusqu’à la fin, forcément triste, ça nous le savons dès les premières pages, mais d’une beauté si
profonde qu’elle exacerbe les sentiments, tous les sentiments, y compris la peine et jusqu’à la nôtre. Ne pas oublier des mouchoirs à portée de mains car la scène est d’une tristesse et d’une dignité absolues et malgré ou grâce à la flamboyance avec laquelle elle est relatée, de nos yeux coulent des rivières. La peine, la solidarité et les tentatives de réconfort de ses « sœurs », qu’Ubac seul a convoquées seules, sont exemplaires. Elles aussi ont perdu un être cher.
L’écriture est de haut vol. Etincelante même dans certains passages. Cédric Sapin-Defour est à l’aise dans tous les registres de l’écrit. Il manie spontanément aussi bien un humour familier pour évoquer des scènes désopilantes et de banals faits quotidiens, qu’un vocabulaire insensé né d’une culture protéiforme et de lectures innombrables, de belles descriptions des lieux parcourus et des relations chien-homme ; enfin, autant chez lui que chez Ubac, un sens aigu de la relativité des choses conduisant à l’urgence de certaines et laissant une place immense à l’essentiel : l’amour. A deux, à trois, à quatre et à cinq pendant treize ans et demi.
L’utilisation de la première personne accentue s’il en était besoin les rapports serrés entre les deux personnages principaux. Ubac aurait bien pu raconter l’histoire à la première personne et rendre, lui, hommage à son “maître”. Mais le je du narrateur pourrait presque être un “nous” général, et jamais l’auteur ne se met en avant. Son prénom est cité une fois (ou deux)… Le vrai héros porte un nom montagneux : Ubac.
Une description magnifiant la nature alpine, si belle à cette frontière avec l’Italie, mais si fragile aujourd’hui avec la fonte des glaciers liée au réchauffement climatique :
“Vivre en montagne rend sensible aux saisons. Pour qui ne saurait plus à quel mois se vouer, il suffit d’ouvrir les yeux, le milieu vous donne la date. L’automne, le vert se mêle au cuivre, le ciel intensément bleu, les sommets de nouveau saupoudrés de blanc, couleurs, nuances et leur synthèse, la lumière. (…) En face, sous la croix du Nivolet, la nature est en feu, le soleil d’ouest donne à plein”.
J’ai parfois été amenée à penser lire un Sylvain Tesson (je pense notamment à Sur les chemins noirs) pour la manière dont l’auteur décrit les beautés renversantes de la nature, pour son respect de celle-ci, son plaisir de la parcourir en tous sens non sans prendre de risques, et un peu aussi pour l’inacceptation des écrans de petites tailles, un peu moins forte ici tout de même. A ceci près que Sylvain Tesson marche seul ou en compagnie d’un ami photographe quand Cédric Sapin-Defour est accompagné de son alter ego, Ubac. Jusqu’à ce qu’il fasse une autre belle rencontre, puis deux, puis trois.
Un regard sur le livre. Pas facile de chroniquer ce récit rempli de sentiments forts, de jolis mots, de vérités générales bien (mais gentiment) énoncées qui fusent sous nos yeux comme des évidences. Autre “difficulté” : l’émotion qui nous prend à la gorge à presque chaque page et ne fait que monter jusqu’à la dernière, nous oblige à lâcher la souris pour le mouchoir… Je tenterai donc d’être brève.
Je dirai tout d’abord que Son odeur après la pluie est un livre qu’il faut peut-être lire (ou relire) au moment des vacances, toutes les vacances, périodes propices aux abandons d’animaux. Je n’ai malheureusement pas pu le chroniquer plus tôt depuis l’hôpital où je passais mon été. Le voici pour les vacances d’automne.
C’est ici l’émotion qui prime avant tout. Sur tout. Elle tient à la communion entre les personnages, les deux principaux mais aussi les autres à deux ou quatre pattes, à la peine, la joie, l’altruisme de l’auteur, à son euphorie bienveillante – et bien évidemment à celle d’Ubac. Nous pleurons, nous rions, nous vivons avec eux à leur rythme un brin décalé ou plutôt calé, sciemment ou non, sur le chien et non sur son “père” à deux pattes car un regard, une mimique d’Ubac suffisent à le convaincre de renoncer à tout (sauf à une visite vétérinaire et des cours de gym à donner) pour une longue randonnée en montagne. Cet émoi, ces sentiments exaltés nous procurent à eux seuls un moment de lecture inoubliable. Un énorme coup de cœur si l’on aime les animaux. Nombre de propriétaires de chiens s’y retrouveront et y retrouveront leur animal.
Néanmoins, si Ubac est le véritable personnage principal, pour ne pas dire le héros de cette histoire et se comporte comme tel,
même si ce récit profond est bouleversant et son écriture saisissante, d’autres centres d’intérêt nous interpellent. Par le biais de réflexions justes et humaines, portées par un humour partout présent, ou cachées derrière une émotion, pure mais sans pathos ni mièvrerie, ces incursions du sérieux dans les pages nous amènent à sourire à une chose, à tiquer sur une autre, à réfléchir un peu avant de penser que finalement, oui, “c’est bien vrai”.
Parmi elles, j’ai noté qu’à bien des égards, Cédric Sapin-Defour fait un rapprochement serré entre le comportement humain et celui de l’animal. En célébrant la nature tout entière, il y inclut les chiens et tous les animaux, qui sont attentifs par tous leurs sens (l’odeur primant peut-être, celle du titre n’est pas juste celle du chien après la pluie…) quand l’homme ne se sert en général “que” de sa vue, ne se baissant que si vraiment nécessaire. Son sens de l’observation est vertical, celui de l’animal horizontal, tous sens en éveil.
L’auteur apprend beaucoup de son chien, à chaque moment de leur vie commune et principalement en l’observant observer le monde : Ubac l’entraîne dans sa découverte de la nature sur un autre mode que le regard, il lui apprend à être attentif à plein temps. En plaçant l’homme au même rang – y compris physique – que les animaux, il espère gommer les frontières qui les séparent. Certaines bien sûr, il reste lucide et sur deux pattes, même s’il lui est plus facile de se mettre à quatre pattes que l’inverse pour Ubac. Ainsi pouvons-nous lire :
“Ubac va au contact du monde. Il écoute, épie, fraye, rampe, s’égratigne, gratte, renifle. Il se frotte entier à la substance, au grouillement, aux méandres, il les pénètre. Nous les hommes, au fur et à mesure de nos choix, avons célébré le regard bien au-delà des autres sens et nous avons reculé d’un pas. Notre museau s’est affiné en un petit nez que l’on aimerait cacher, nous touchons avec crainte les poussières salubres, lavons vite nos mains craintives, nous pasteurisons nos goûts, nous nous saoulons de vacarme et jouons partout la métaphore des yeux. Ce choix (…) nous tient en retrait du monde car la vue, c’est sa faiblesse, tolère la distance et l’entretient”.
“(…) Ubac m’indique comme s’engouffrer est plus subtil. Son museau terreux, ses oreilles crasses, les clonies de ses flancs lui racontent les mystères, la peur, la mort, les ronds de sorcière. Moi, je ne sens que la rose ou la bouse, n’entends que le silence ou les fracas, ne vois que le visible. (…).
Ces balades m’horizontalisent, me rappellent à mon exacte place : un vivant parmi les autres. C’est assez d’honneurs. Elles me ramènent à hauteur de terre, de ciel, à la timidité des arbres, elles ensauvagent ma vie, salissent mes cheveux, griffent ma peau et trouent mes frocs”.
Plus loin et plus fort encore, avec une touche de philozoologie :
(…) “Qui un jour, depuis sa chaire vermoulue, a décrété que l’animal était à ce point distant de l’homme, démuni de ci, de ça, d’émoi, d’exaltation ou d’un autre de nos sensibles monopoles et que tout rapprochement était sot ? L’homme, pardi. Eriger la toise, se dire le plus grand, voilà un jeu aux règles bien pipées”.
Dans ce parallèle entre l’homme et l’animal, il est amusant de constater que l’auteur utilise un vocabulaire “humain” pour parler d’Ubac. Notamment quand celui-ci « hurle” pour exprimer sa douleur ou quand il lui “parle” avec ses yeux…
L’auteur compare d’ailleurs la vieillesse d’Ubac qui, tout en le diminuant, l’endolorisant et le fatiguant, le calme, l’assagit et lui permet de relativiser bien des situations, à celle des vieilles personnes…Vieillesse qui fatalement entraîne une réflexion sur la notion du temps qui passe, sur l’instant dont il faut profiter avant qu’il ne s’échappe. Profiter de son animal au présent, un thème récurrent en littérature, d’autant que le temps canin n’est pas le même que le temps humain. Cédric Sapin-Defour nous le dit avec ses termes forts :
“Avoir un chien resserre le temps et en bouleverse les pulsations. C’est à la fois plaisant en ce que l’on ne néglige rien mais terrorisant car c’est bien l’inextensibilité de tout cela qui vous intime d’en éprouver chaque minute”.
Puis il compare la vie à un fleuve sur lequel naviguent un bateau et son capitaine, Ubac. Un fleuve dont l’écoulement est le passage des ans, plus concrètement les années-bonheur et les contrôles vétérinaires d’Ubac. Un fleuve plus vraiment tranquille dès lors que “la vie se crispe” avec “ça et là quelques chocs qui ballottent mais sans gravité qui ne font pour nous qu’attester de la robustesse de l’embarcation et qui paraissent moins exposer que fortifier ce chien…”.
Un fleuve enfin dont l’embouchure dans la mer symbolise tout naturellement la mort de tout un chacun. Nous lisons :
“Puis le fleuve devient subtil, piégeur. Le débit est raisonnable, les berges enchanteresses, mais il y a ces discrets mouvements d’eau qui, s’ils sont pris de haut, vous envoient au fond. De petites choses, si rien qu’on ose à peine les exprimer au docteur de peur de passer pour l’angoissé greffier de son chien, mais suffisamment là pour rappeler ce que cette vie a de vulnérable et d’incertain”.
S’ensuit une dernière réflexion sur l’arrivée de la mort, avec la fin de vie et la décision à prendre pour les propriétaires de chiens, tout aussi difficiles. Je vous laisse découvrir les dernières pages qui ne laisseront personne les yeux secs…
Pour donner envie de lire un livre, je me pose souvent cette question : faut-il en dire peu, très peu, beaucoup, trop (ça, non !). Et quid des citations ? Ici, le choix fut difficile, la tranche du livre était multicolore mais croyez-le ou non, j’ai fait une sélection et le meilleur est resté dans les pages. Que vous ayez ou non un chien, vous allez pleurer. Des larmes sucrées-salées et abondantes. La seule condition, c’est d’aimer les chiens et les animaux. Chasseurs, baleiniers et autres flibustiers, passez votre chemin ! Bah oui, la baleine est aujourd’hui encore chassée (au Japon, en Norvège et dans les îles arctiques entre autres), à la nuance près qu’on ne dit plus “chasse” mais “pêche” et que le but avoué est la préservation de la biodiversité, fondée sur l’élimination des espèces les plus invasives (en ce qui concerne les cétacés). Quant à la chasse à la “viande”, il faut bien avoir en tête que les hommes qui la font entraînent des chiens à rameuter et tuer d’autres mammifères. Bien souvent pour leurs seuls fierté et plaisir personnel.
Mais c’est un autre sujet. Ubac nous a conquis, l’auteur convaincus et bouleversés en nous mettant sous les yeux ses joies et ses peines avec Ubac, en affirmant qu’on pouvait aimer, choyer un animal autant qu’un humain et, avec pudeur et force, pleurer à chaudes larmes longtemps après avoir perdu son chien.
Son odeur après la pluie est un livre qu’il faut lire pour sa belle et tendre histoire, son écriture étincelante et la justesse de ses propos sur les rapports homme-animal. Un “précis d’amour” comme le qualifie si bien Jean-Paul Dubois. Sa lecture vous confortera dans votre amour et votre estime pour les animaux.
Exit Halloween, la “saison” haute des cadeaux “obligés” arrive à grands pas. Plutôt que l’écharpe ou la paire de gants bateau que vous prendrez faute d’idée personnalisée pour votre beau-frère ou une copine de votre fille, Ubac est un cadeau tout trouvé, dont vous remercieront longtemps les personnes à qui vous l’offrirez. Étonnées pour certaines peut-être d’avoir pleuré pour un chien et caressé le profil d’Ubac sur la couverture…
ET DES MOTS D’AMOUR RAMASSES A LA PELLE PRESQUE À CHAQUE PAGE
(en vrac sur différents thèmes, des réflexions tellement justes)
Passage à l’acte :
“Prendre un chien, c’est accueillir un amour immarcescible, on ne se sépare jamais, la vie s’en charge, les déclins sont illusoires et les fins insoutenables. Prendre un chien, c’est se saisir d’un être de passage, s’engager pour une vie simple, certainement heureuse, irrémédiablement triste, économe en rien. L’issue de cette union ne fait aucun mystère, s’abandonner à la refuser ou n’entreprendre que de l’envisager, dans les deux cas, la tristesse rôde, rudoie, et c’est une drôle de danse, roulis de chaque jour, pour que la joie prenne le pas, relègue cette évidence et l’étouffe”.
Plus loin, deux mots qui m’ont marquée : “ensauvager” et “m’augmentera” :
“À cet instant de la mienne, je sais qu’une autre vie va me rejoindre, qu’elle va cuirasser et exposer mes lendemains. Ce canidé puant et stupide qui n’apporte rien au monde, que d’autres négligent ou rouent de coups, n’attendra rien que nous soyons à côté, à entrelacer nos fortunes et tenir la vie en respect. L’amour dont il s’agit sera sans conditions. Il s’en fichera de mon rang, de mes richesses, de mes vertus et de mes manques. Il m’aidera à défricher les importances et nous réduirons ensemble cette existence au luxe de l’essentiel. Il sera là à ensauvager mes jours et ni lui ni moi ne serons plus jamais seuls. Cela peut suffire à être heureux. Qu’il advienne le meilleur ou le pire (…), il voyagera dans sa constance et les ondulations de mon existence sans jamais céder à notre histoire un pouce de sa loyauté, sans me juger, prêt à donner la sienne si nécessaire. Il m’augmentera. Ce lien, ce n’est pas tout à fait banal. Je sais que cette vie commune aura ses joies et ses peines mais c’est ainsi, les chemins menant au bonheur sont pavés de bien des affres, les trajets directs n’existent pas ou alors c’est vers autre part que le bonheur”.
“En conduisant, je mesure la grandeur de cette première journée, ces frissons et ces élans et cet étrange état qui est le mien. Prendre en charge une autre vie que la sienne fragilise autant que fortifie, plus encore dans ce mélange de destins, ou le langage du sang ne dira rien et dont je suis l’unique étoupille. Un fragile rempart, oui, voilà ce que l’arrivée d’Ubac fait de moi”.
“Ubac s’émerveille de tout, d’une chenille, du vent dans les arbres, de ce qu’on ne voit plus. il ne laisse rien passer de ce qui pourrait lui animer la vie. Sa faculté à s’émerveiller est un antidote au désenchantement, elle n’exige aucun stress, c’est assez vital en somme, tous les grognons devraient passer une heure avec un chien”.
Quand il ne reste dans le coeur de Cédric que les souvenirs d’Ubac, c’est encore l’amour qui s’exprime :
“Quand je buvais un coup en terrasse et que j’allais payer à l’intérieur, sans que tu me voies, je t’observais ; tu guettais, tu fixais ton regard sur le dernier bout du mur dont j’avais disparu et tu attendais la réapparition, inquiet et confiant. Je ne faisais pas trop durer cette scène, mais elle me remplissait de force. Je ne vais faire que ça désormais : chercher partout ses yeux qui me cherchaient partout”.
Deux phrases de Jean-Paul Dubois, dont la Préface m’a elle aussi accrochée sur le livre :
“Et puis un soir, vous n’entendez plus que le silence, les pièces, toutes, empestent l’absence et il n’y a plus rien, nulle part, à balayer et à aspirer. Et c’est à ce moment-là, cette nuit-là, à cette heure précise, que vous ressentez jusqu’au fond de vos os que votre chien est mort”.
“Son odeur… relate l’intimité subtile, l’imprégnation mutuelle qui se crée entre deux espèces attentives. L’obligation, pour l’homme, de sortir de lui-même, de s’oublier, de se “désosser” pour comprendre l’autre (…). Alors voilà, le livre que vous allez lire est un précis d’amour et de conduite qui vous guidera peut-être jusqu’à cette frontière immatérielle au-delà de laquelle les chiens parlent aux hommes. Vous allez y apprendre d’étonnantes choses sur eux et sur vous-même”.
UN LEXIQUE OCCASIONNEL
J’ai appris beaucoup de choses et découvert énormément de mots dans ce roman. Une fois n’est pas coutume, j’en ai dressé la liste (sans leur signification tout de même). Pour certains me restaient quelques réminiscences estudiantines ou littéraires, pour d’autres j’ai platement séché. Entre deux mouchoirs mouillés, je les ai presque tous “identifiés” ; sur Internet, l’aurais-je fait sans ? N’ayez crainte, l’ensemble est clair, les sentiments qui ressortent, les facéties d’Ubac et de sa famille racontés avec une grande simplicité et une empathie contagieuse. Ces mots qui m’étaient inconnus, les voici, vous m’en direz des nouvelles :
assuétude – allogène – chevêchettes – commensalisme – encaper – changelin – razana – nidicole – ichtyenne – affaîté – néoténie – éréthisme – spondophore – dyade – allèle – coprophagie – omineux – fayard – étagne – gentrifié – prolégomènes – mazot – komboloï – bisolet – escoufle – perlures – ordalie – amghar – refend – cénotaphe – kölam ramoul – cirrus – christianas – néifié – clonie – bachal – catabatique.
Si je les ai mentionnés, c’est juste pour souligner s’il le fallait, qu’il y a tout dans les livres… Même quand on ne s’y attend pas, les mots nous sautent au visage…
Coïncidences de dates de vies animales et d’idées humaines…
Son odeur après la pluie m’a éblouie par son histoire et par son écriture. Bizarrement, je l’avais acheté le jour de sa sortie, ayant pris connaissance de son contenu et grâce à la préface de Jean-Paul Dubois, écrivain que j’apprécie beaucoup. J’attendais l’opportunité de le lire, les vacances d’été. Il n’avait à l’époque pratiquement aucun écho dans la presse et j’étais heureuse d’avoir fait une “trouvaille”.
La mort de Nemline le 13 juillet (elle aurait eu six ans fin octobre, là encore coïncidence dans le mois de naissance, à quelques jours près), m’a « malheureusement » donné l’occasion de le lire. Je pensais que cela m’aiderait à me remettre de sa mort. Ça n’y a contribué que bien peu. Je n’arrive toujours pas à croire ni à comprendre une mort aussi subite, aussi brutale ; en une heure, crise cardiaque précédée d’un œdème fatal. Je vous épargne nos épanchements.
Pourtant, Cédric, vous m’avez aidée avec votre récit. En pleurant sur Ubac j’ai pleuré sur Nemline et en pleurant sur Nemline, comme maintenant, comme chaque jour et nuit, je pleure aussi sur Ubac. Je partage depuis toujours et sans exception aucune vos idées, vos ressentis, votre amour-respect de la nature dont les chiens et tous leurs potes à quatre pattes font partie intégrante. Vos réflexions justes et profondes, vos sentiments forts pour ceux que vous aimez et votre je-m’en-foutisme de la bienpensance.
Nemline, c’était ma petite compagne, mon petit chat-chien. Elle me suivait partout et pleurait quand je sortais devant la porte d’entrée. Jusqu’à ce que je rentre. Elle dormait derrière mon oreiller en ronflotant et je lui faisais de la lecture à voix haute. Pour l’attirer quand elle tardait, je commençais sans elle et il ne lui fallait pas trois minutes pour débarquer en courant. J’avais l’impression qu’elle comprenait ce que je lui lisais, qu’au moins les changements de ton signifiaient pour elle quelque chose. Qu’elle comprenne ou non, elle me regardait de son regard doré amoureux. Quand j’ai lu certains passages de votre livre, j’ai tout naturellement juxtaposé l’image si petite de Nemline sur celle d’Ubac si grand.
Nemline était une Exotic-shorthair (une Persane à poils courts) à la face si large qu’elle en était creuse au niveau du nez, et celui-ci si court qu’il se bouchait constamment. Rien de visible à la première la visite, l’éleveuse nous a juste dit qu’il faudrait peut-être lui nettoyer les yeux chaque jour et “surveiller” sa respiration. A part ça, douze à quinze ans d’espérance de vie, pourquoi moins ? Cerise sur ce gâteau, à réception de son pedigree nous apprenons que père et mère sont champions de France de son année de naissance 2017, ce dont nous nous moquions royalement. Coup de foudre en dépit de sa robe que nous voulions « bleue », elle tenait dans la main de mon mari et semblait s’y plaire…
Nemline n’a vécu que la moitié du minimum. Nous avons craqué pour sa beauté singulière, son calme et sa gentillesse, le fait qu’elle ne sorte pas. Nous l’avons choyée comme une enfant, fait suivre chez le vétérinaire pour un rien, sans imaginer que son cœur grossissait jusqu’à l’œdème mortel.
Depuis j’ai appris que cette “race”, quel mot horrible, était interdite d’élevage dans certains pays comme la Belgique et en passe de l’être dans d’autres. Tout comme les chiens brachycéphales… Et l’on ne dit plus que ces chiens et ces chats, créés par des laboratoires peuvent avoir mais ont des problèmes graves et multiples de santé.
Grâce à vous je ne me suis pas sentie ridicule de pleurer des jours et des nuits, de la chercher partout, de la sentir sauter et marcher sur le lit, et de regarder ses photos des heures durant sans masochisme en tout cas consenti, en caressant l’écran. Avec parfois la sensation d’avoir perdu presque un enfant (mes quatre sont grands), j’ose le dire. De culpabiliser de ce que nous n’avons pas ou mal fait. D’avoir « acheté » Nemline sans nous être suffisamment renseignés (pouvions-nous le faire à l’époque, pas sûr).
La mort de Nemline a précédé de quelques jours pour moi une intervention chirurgicale prévue de longue date. Le physique a suivi le moral : en berne. Je m’étais juré de ne plus adopter de chat, “trop dur quand on les perd” comme vous le dites si bien pour les chiens. Mais trois mois plus tard, nous avons adopté l’inverse absolu de Nemline : deux chatons gris tigrés de cinq mois trouvés dans une poubelle de recyclage et placés trois mois dans une famille d’accueil. Ils nous ont été présentés comme inséparables et c’est le cas : ils se toilettent mutuellement, font tout ensemble et dorment dans les pattes l’un de l’autre, se cherchent des yeux constamment. Seuls la taille et le poids nous aident à les reconnaître. Alors nous les avons “pris” comme tels en espérant qu’il y aurait quand même une petite place pour l’humain dans leur fusion…
Le plus grand est aussi le plus fort, il joue avec son frère le rôle d’Ubac avec ses “sœurs” : mi-père mi-frangin, et complice de grabuge. Il s’appelle Ubac (Ufo sur son carnet), le petit Uby (comme sur son carnet). 2023 est aussi l’année des U. Pour moi le prénom du grand a été facile à trouver… Pourtant je vis à l’opposé de votre verticalité montagneuse : dans les Côtes d’Armor, là où la mer peut se retirer sur plusieurs kilomètres avant de revenir en furie et parfois en rouleaux, lors des grandes marées.
Je suis sûre que de nombreux chiens vont porter ce nom d’ici la fin de l’année. Et un chat tabby le porte déjà. Contrairement à Nemline, notre petite casanière, il est plutôt du genre vif, voire déménageur à ses heures… Mais aussi un père pour son frère. Vive les animaux.
Mille mercis Cédric pour cette si belle histoire. Pour les coïncidences de dates chien-chat c’est le déterminisme qui a fait loi, ce n’est pourtant pas mon genre de parler de moi dans mes chroniques. Et désormais, comme vous le dites si bellement, je vais toujours penser à Nemline en m’occupant de mes deux petits pirates. Les comparaisons pourront aller bon train, les trois sont à quatre pattes.