L’auteure. Agée d’une soixantaine d’années, Sylvie Germain a enseigné la philosophie en Tchécoslovaquie avant de se consacrer à l’écriture. Auteur d’une œuvre littéraire foisonnante comprenant des nouvelles, des contes et des romans, elle a été récompensée par de nombreux prix dont pas moins de six pour Le livre des nuits, le Fémina pour Jours de colère et Le Goncourt des lycéens pour Magnus. Tous ses livres ont connu un succès critique. J’ai pour ma part lu ‘L’inaperçu’ il y a quelque temps et j’avais beaucoup aimé.
L’histoire. Juste derrière le précédent (Le Confident d’Hélène Grémillon), c’est un choc intellectuel. Et salutaire. Petites scènes capitales raconte l’histoire d’une petite fille, Lili-Barbara, de sa plus tendre enfance à l’âge mûr. Le sujet n’est pas tant de raconter sa vie dans sa chronologie (celle-ci est néanmoins respectée, avec des retours en arrière peu nombreux) mais d’évoquer des petites scènes capitales de cette vie, qui se sont avérées non petites mais bien capitales, pour ne pas dire terribles.
Le fil conducteur du roman est la quête de soi, la recherche d’identité que mène Lili-Barbara à travers la quête de la vérité sur la mort de sa mère, qui se suicide alors qu’elle avait à peine un an. Son père ne tardera par à se remarier avec une femme d’une grande beauté, mère de quatre enfants de pères différents, que Lili-Barbara aura beaucoup de mal à accepter.
L’absence de sa mère, dont on lui presque tout caché, Lili-Barbara la ressentira toute sa vie et ne réussira pas à se construire avant l‘âge de cinquante ans, au bout d’un parcours souvent cocasse, souvent dramatique et toujours chaotique. Car la mort de sa mère sera suivie de celle de plusieurs membres de sa «belle»-famille, à commencer par Christine, une des jumelles de sa belle-mère, morte accidentellement alors qu’elle venait tout juste de l’accepter comme sa «sœur d’adoption». Cette mort entraînera à son tour une succession d’événements dramatiques, une véritable apocalypse familiale. Au point qu’on a du mal à croire à tant de malheur dans une seule famille et que l’on voit avec soulagement le roman s’achever dans l’apaisement.
Certes, il ne reste plus grand monde autour de Lili-Barbara, mais elle a rencontré l’amour sans plus l’attendre, elle est en paix avec elle-même et a laissé son père partir sans rancune. Un destin poignant mais qui finit dans la rédemption car Lili (comme tous les membres de sa famille) finissent par sublimer leur malheur qui par l’art (musique et danse pour une de ses sœurs, peinture et sculpture pour Lili, voyages pour sa belle-mère, …religion pour son demi-frère et la compagnie d’un chien pour son père. De tragédie en tragédie, Lili finira par renoncer à toute passion, à se libérer de ses interrogations et, ce faisant, trouvera la paix, celle de l’âme mais aussi celle du corps, qu’elle ne verra plus torturé.
On peut lire en page 162 :
‘…Elle maintient le plus possible à distance cette famille qu’elle avait appris à faire sienne… Tout corps passionnel est un corps noir qui absorbe chaque radiation reçuemais ne renvoie aucun rayonnement, seulement des brûlures, des brouissures… La Barbara qu’elle est devenue tient à garder muselées ses «’années Lili’», à les désactiver.’
Le style de Petites scènes capitales est le même que celui de toute l’œuvre de Sylvie Germain. Il est empreint de poésie, de douceur, de musique et de tendresse. On voit que Sylvie Germain éprouve de la compassion et de l’amour pour ses personnages, qu’elle ne les juge pas et qu’elle sait les entourer et les mettre en scène.
Je ferais quand même un tout petit ‘reproche’ à son écriture : elle est tellement littéraire qu’elle risque parfois d’en devenir rébarbative et de rebuter un lecteur néophyte. J’ai dû le lire, ignare que je suis, avec le dico de l’Ipad à portée de main tant le vocabulaire est riche et imagé, et même parfois relire des passages que je n’avais pas bien compris (les phrases sont souvent très longues).
Dans le registre lexical, même si l’on bute sur un mot dont on ignore la signification, ce qui m’est arrivé plus souvent qu’à mon tour, celui-ci est entouré de tant d’autres complétant, encadrant ou contextualisant son sens qu’il est inutile d’aller voir ailleurs.
Car le style ne se relâche pas et même quand s’agit de narrer des faits la langue est éthérée, légère, musicale, au point qu’on ne différencie pas les passages descriptifs de ceux relatant l’action. Elle dit avec beaucoup de douceur des choses extrêmement dures. Et réussit grâce à son style pur et mélodieux à transformer le désespoir qui pourrait nous saisir en nostalgie magnifique. Heureusement que le livre n’est pas plus long quand même, il pourrait nous plomber le moral.
A noter enfin que les ‘petites scènes capitales’, au nombre de quarante-neuf, sont distillées une à une au fil des quarante-neuf chapitres (un peu comme Malika Mokeddem qui a consacré un chapitre à un de «ses hommes»). Et dans chacun des chapitres, dans chacune des petites scènes capitales, il y a une part de désespoir et une part d’espérance. Et toujours une grande émotion.
En quelques mots, un livre qui m’a beaucoup émue, qui m’a beaucoup apporté. Et qui m’a réconciliée avec la littérature dont je m’étais un peu éloignée ces derniers temps en lisant des nanars, même si j’ai éprouvé parfois quelques petites difficultés de lecture (le mieux étant de passer outre et de s’en tenir au ressenti des envolées musicales et nostalgiques). On n’est peut-être pas toujours obligé de «tout» comprendre en lisant un roman, surtout un de cette hauteur. Si ?