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SI LA LITTÉRATURE DEVIENT PASSION, C’EST BIEN QUE TOUT EST DANS LES LIVRES !

Mala Vida ⇜ Marc Fernandez

Mala Vida ⇜ Marc Fernandez - Marc Fernandez - BouQuivore.fr

Avant de se consacrer à l’écriture de fictions, Marc Fernandez a été journaliste durant vingt ans, notamment pour Courrier International où il suivait l’Espagne et l’Amérique latine. Mala Vida est son premier roman, début d’une trilogie terminée depuis avec Guérilla social club et Bandidos. D’autres romans policiers et d’enquêtes ont suivi. 

L’histoire du roman est intrinsèquement liée à celle de l’Espagne franquiste et post-franquiste. Elle se déroule dans un passé et un futur récents. Pour ne pas dire de nos jours. Au terme d’un gouvernement socialiste de douze ans, des élections ont lieu et le peuple a remis la droite de la droite au pouvoir en élisant l’AMD. Les anciens franquistes et leurs descendants, leurs sympathisants, les Ultra religueux et l’Opus dei. Tous nationalistes, traditionalistes, attachés aux “valeurs” franquistes, essentiellement religieuses avec, pourquoi pas, la messe en latin… Du beau monde et des décrets sympathiques qui se préparent. A commencer par un grand nettoyage dans les médias qui retombent entre les mains du pouvoir.

Diego Martin, le personnage principal, est justement un journaliste radio. Et il officie sur la chaîne Radio Uno, la “caution” du régime dont la direction n’est pourtant pas dupe de l’orientation politique du journaliste. Il a même droit à une émission spéciale de deux heures tous les vendredis soir, au cours de laquelle il relate des faits marquants de toutes sortes allant de scandales politiques ou judiciaires à des faits divers criminels tapageurs ; à la fin de son émission, qu’il a fièrement appelée les “Ondes confidentielles”, il donne la parole aux auditeurs. 

C’est dans ce climat délétère qu’arrive de Paris Isabel Ferrer avec un énorme ”dossier” dans les bras. Avocate franco-espagnole de renom, elle a une annonce à faire au public et aux médias, celle d’un scandale d’Etat qui dure depuis une soixante d’années, secret bien gardé par le régime. Après des révélations de sa grand-mère, elle a fait des recherches poussées et découvert un réseau de vol et de vente d’enfants. Un trafic à grande échelle : des bébés volés dans les maternités (tenues à l’époque par des religieuses) aux mères les plus défavorisées et revendus comme de vulgaires marchandises aux riches familles franquistes ou pro franquistes. Mieux, Isabel Ferrer est venue créer et diriger une association, l’ANREV, L’Association nationale pour les enfants volés, chargée de recenser les personnes concernées par ces rapts. Encore vivants ou descendants de ces enfants.

Il va sans dire que Diego Martin s’empare du sujet pour son émission, quitte à se faire voir plus mal encore par la direction.
Deux autres personnes se joignent à lui pour faire éclater la vérité sur les trafics de bébés : Ana, une amie de longue date détective privée, Isabel Ferrier, et David Ponce, un procureur ami lui aussi de Diego, qui engage son nom et sa carrière en ouvrant une enquête officielle. Très vite, les quatre forment une équipe soudée et efficace, qui devra mener cette investigation de front avec une autre, tout aussi importante.

Cette seconde affaire concerne plusieurs meurtres par balles en quelques mois : un jeune ministre, un vieux notaire, un médecin, un banquier et une très vieille nonne. Je vous laisse en découvrir les multiples péripéties et une fin… prometteuse.

Un regard sur le livre. J’ai toujours bien aimé que des sujets historiques soient abordés par le biais d’une enquête policière. Celui-ci l’est, avec un sujet aussi grave que le trafic de nourrissons, commencé sous le règne de Franco. Ce thème est resté sans doute moins apparent – ou mieux celé – que les horreurs commises partout dans le monde pendant la Seconde guerre mondiale par Hitler, Mussolini et consorts dont Franco, qui menait en parallèle sa propre dictature et ses propres exactions au niveau national, poursuivies longtemps après 1945.

Même si le trafic de nourrissons en Espagne n’a pas été révélé aussi tardivement que le laisse entendre l’auteur et était déjà connu depuis pas mal de temps, ce décalage dans le temps ne m’a pas gênée car il n’est jamais mauvais de mettre en mémoire de tels faits, encore moins de les y remettre. 

Diego Fernandez le journaliste a suivi de longues années l’Espagne et ses cousines latino-américaines, notamment l’Argentine, où là aussi des bébés ont disparu en temps de dictature, toujours réclamés par leurs mères, les “Folles de mai” évoquées à la fin du roman. Il devait avoir en tête ce scandale depuis pas mal de temps et en a fait le thème principal de son premier roman.

En dépit de ce décalage temporel (la nouvelle dictature se déroule au futur), la plausibilité avec des éventualités en Europe (et ailleurs !) est là. Et les détails de la vie courante des Espagnols ne peuvent que sembler familiers aux lecteur(trice)s que nous sommes. Revenir aux valeurs anciennes, nationales et traditionalistes, “l’ultra-religion”, la peur de l’autre, n’est-ce pas un mantra chez certains politiques et sympathisants de tous pays ? La remise en cause de l’avortement, du mariage gay et j’en passe, c’est vraiment du passé ? L’Histoire est un perpétuel recommencement et ceux qui gouvernent ne tiennent pas compte des erreurs de leurs prédécesseurs… Encore moins des leurs.
Là où j’ai un peu tiqué, c’est au niveau du style, trop purement journalistique à mon goût. Avec pas mal de répétitions, donc de “légères” longueurs, même si le rythme est vif quand domine l’action. C’est sur le passé et le rôle des religieux, des politiques et des services “spéciaux” que j’ai trouvé la lecture un peu longue. C’est le premier roman de l’auteur et celui-ci a sans doute choisi de le faire pour accentuer l’aspect investigation. On est journaliste toute sa vie. Le professionnalisme de son héros dans la préparation et la diffusion de ses émissions en atteste et le lecteur le voit faire avec plaisir. 

J’ai vu sur la grande toile que Mala Vida avait deux “suites” et comme j’ai bien aimé le quatuor qui enquête, je vais les lire. Histoire aussi de voir si l’auteur est toujours aussi agréable à lire sur des sujets sombres. Ce n’est certes pas le polar de l’année mais je le recommande tout de même pour son contenu informatif, surtout à celles et ceux qui n’auraient pas été au courant de ces faits ignobles ou les auraient oubliés. Une belle occasion, aussi, d’aller voir sur Internet ce qui en est dit, il y a pas mal d’articles intéressants sur cette époque.

Un extrait, un seul, sur la collusion gouvernants-ministres et consorts bien placés

“Tout pouvait changer, finalement, rien n’a changé. Les gouvernants de ce pays se cramponnent comme ils peuvent à leurs privilèges et protègent toujours ceux qui, d’une manière ou d’une autre, les ont placés là pour qu’ils prennent bien soin d’éviter de faire bouger les choses. Leur leitmotiv : le statu quo. Ils ont réussi à passer entre les mailles du filet de la justice grâce à la loi d’amnistie, pas question pour eux qu’une avocate arrivée de France foute tout en l’air. À la limite, ils n’en ont rien à faire de savoir si cette histoire de bébés volés est vraie ou pas. Ce qui leur importe, c’est de continuer à vivre comme avant”.