Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

L'ombre d'un homme ⇜ Bénédicte des Mazery

LES CINQ PREMIERES LIGNES : “Elle est assise devant la fenêtre aux volets clos, dans l'ignorance du jour et de la nuit. Posé sur ses genoux, un jouet, un Babar en tissu usé qu'elle caresse d'une main rêveuse. Derrière la porte, dans le couloir, l'enfant s'amuse à faire des glissades sur le parquet. Les yeux rivés sur la fenêtre obscure, la vieille femme sourit”.
EN DEUX MOTS. Un livre bouleversant, court mais intense, écrit d’une plume extrêmement sensible et juste, qui évoque des passages de l’Occupation allemande en France peu ou pas connus, touchant des petites gens, les “demi-juifs”. À lire à tout prix.
Sorti en broché aux Editions Anne Carrière en 2012. Roman. 156 pages. puis en poche chez Pocket, 140 pages, version lue.

Benedicte des Mazery portrait
Bénédicte des Mazery

Bénédicte des Mazery est l’autrice de cinq romans, dont celui-ci est le quatrième : Pour solde de tous comptes (1999), Les morts ne parlent pas (2005), La Vie tranchée (2008), celui-ci (2012) et Les oiseaux de passage (2016).

De nos jours, Alfred Vigneux, vieux et fatigué, finit ses jours seul dans un des grands appartements de l'immeuble parisien dont il à hérité à la mort de ses parents, bien des années auparavant. Perclus de douleurs et de culpabilité, il sait que ses jours, ses mois ou ses semaines sont comptés. Lorsque les caves de son l’immeuble doivent être vidées pour réfection, il remonte chez lui tous les cartons de son père remplis de paperasses.

Il les ouvre tous, les lit et les classe par dates avant de les remettre dans leurs cartons. Tous sauf un, et une peluche de Babar, usée jusqu’à la corde. Avec l’intention de revenir sur ses erreurs passées (il a joué l’autruche en face de son père), il retrouve une certaine envie de vivre…

Lorsque l’appartement situé sous le sien se libère, il  y installe une famille très modeste de trois personnes, un couple et son fils de 13 ans, Léo. Les conditions de la location sont pour le moins inédites : la famille ne paiera pas de loyer mais devra lui concéder quelque chose : au prétexte de solitude (est-ce un prétexte ?!), il impose sa présence au dîner de la famille tous les soirs sans exception. La mère, Adèle, accepte de "bon" gré, le père, Beer, réticent, devient de plus en plus bougon et le fils, curieux, se pose la question évidente : “pourquoi nous ?”.

C’est sur cette situation un brin saugrenue que s’ouvre le roman, installant un grand mystère. D’autant qu’une jeune femme dénommée Charlotte vient occuper les pages de certains chapitres –  qui nous emmènent entre 1941 et 1944, les années noires – et que cette personne semble avoir beaucoup compté dans le passé pour le propriétaire.
Troisième mystère : Adèle, sachant qu’elle allait habiter un grand appartement, a sorti sa mère, aliénée, de l’asile où elle l’avait placée et lui a attribué une chambre sans le dire au propriétaire. Elle est très inquiète car sa mère émet parfois des lamentations qui pourraient l’alerter.
Sans oublier le contenu des dossiers du père d’Alfred, que celui-ci tenait à terminer de lire avant de mourir. Et d'en solutionner un.

Le livre ressemble davantage à un récit qu’à un roman, c’est dire à quel point l’intrigue est bien rendue et la construction maîtrisée. Il est court, à peine cent-cinquante pages, mais il est d’une densité rare. Les informations nécessaires à éclairer l’histoire nous sont données au compte-gouttes, dans des chapitres courts eux aussi, et presque sans dialogues, et petit à petit les choses et les gens se mettent (ou se remettent) à leur place. Tous les curieux de l’histoire trouvent la réponse à leurs questions , y compris le lecteur. Et la surprise est de taille !

Je n’en dis pas davantage vu le nombre de pages.
Ce roman – que j’ai pris dans une PAL pour sa faible pagination justement, car je suis abonnée aux pavés –, m’a permis de découvrir une autrice que je n’avais jamais lue auparavant, allez savoir pourquoi car je l’avais acheté. Et que je vais dorénavant lire de A à Z !
L’ensemble de l’histoire est triste, bouleversant même, les personnages d’Alfred, dont la vieillesse et les douleurs font peine à lire, de Léo et de Charlotte, très émouvants. Tout comme celui de la femme enfermée dans sa chambre que nous approchons à pas comptés.

Pourtant la fin mi-figue mi-raisin, que j’ai pour ma part lue les larmes aux yeux, nous redonne un tout petit moral.

L’Histoire avec un grand H est installée de surcroît dans l'histoire du roman, du début à la fin. Elle se déroule sur deux époques, fort bien imbriquées et qui se rejoignent habilement pour le dénouement.
J’ai appris beaucoup de choses sur l’Occupation et sur la France vichyssoise, entre autres le sort qu’avaient réservé à Paris les Allemands aux “demi-juifs”, ou demi-aryens, car oui, les juifs étaient aussi triés par catégories de parts de sang ! Comme la viande : les quarts de bœuf, les demi-jambons…

Un gros, gros coup de cœur, vous l’aurez compris, même si je suis pas aussi diserte qu’à l’accoutumée, point trop n’en faut. C’est ça aussi la lecture : apprendre, découvrir, apprendre, découvrir sans cesse… S'émouvoir. Bien évidemment, je vous recommande ce roman qui ne vous laissera pas de marbre.


EXTRAITS

Une fois n’est pas coutume, je ne mets que deux extraits, qui ont une portée générale, afin de ne pas trop dévoiler sur les sujets et l’intrigue.

Sur les secrets de famille, une réflexion du jeune Léo :
À présent, Léo appréhende ce qu'il va entendre. Il pense que, si les adultes ne parlent pas de certaines choses, c'est peut-être parce qu'elles ne sont pas bonnes à dire et qu'il ne devrait pas vouloir en savoir plus. C'est peut-être ça, être adulte : savoir se taire, garder pour soi ce qui doit l'être ; en fait, il a peur point mais il est trop tard pour reculer”. 

Puis une autre, plus triste mais tellement juste :
Que reste-t-il d'une vie? Des moments, juste des moments qui reviennent comme des flashs et que l'on peine à relier les uns aux autres. Que reste-t-il à Alfred ? Quelques souvenirs joyeux donc il n'a rien fait et de menues tentatives qui ont toutes  avorté jusqu'à aujourd'hui. Que reste-t-il en lui de Simon, hormis un surnom donné par lui seul, à peine utilisé ?...

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