Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

La vie sans fards ⇜ Maryse Condé

Paru en juin 2014 chez Pocket. 285 pages. Autobiographie. Lu dans le cadre d’un atelier de lecture, sans avoir rien lu auparavant de Maryse Condé.

L’auteure. Maryse Condé est née en 1937 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, d’une famille aisée du milieu des ‘Grands Nègres’. Sa mère est institutrice et son père fondateur d’une petite banque locale. Ce n’est qu’à la quarantaine, tout en continuant ses études littéraires, qu’elle commence une carrière de romancière dans une véritable frénésie d’écriture et publie une œuvre foisonnante très diversifiée : des romans dont Ségou, qui deviendra un best-seller, Histoire de la femme cannibale, Les belles ténébreuses, mais aussi des récits, des nouvelles, des essais ainsi que de la littérature pour la jeunesse. La vie sans fards est son dernier roman. Aujourd’hui, malade, elle vit en Amérique la moitié de l’année, l’autre moitié en France.

L’histoire. La vie sans fards est l’autobiographie de Maryse Condé qui revient sur les événements marquants de la première partie de sa vie, les années africaines. Dernière-née dernière d’une grande fratrie, elle passe une enfance heureuse, choyée et à l’abri de tout. Après des études parisiennes, elle rencontre Jean Dominique, journaliste opposant haïtien à Duvalier, et vit une histoire passionnée avec lui jusqu’à ce qu’il la quitte brutalement pour mener une carrière politique. Grâce à lui elle découvre Toussaint Louverture et Jacques Roumain (l’auteur de Gouverneurs de la Rosée) et, surtout, Haïti. De cette union naîtra un fils, Denis.

Elle fait un mariage de raison avec Mamadou Condé, comédien de théâtre et part avec lui en Afrique. Quelques années plus tard, mère de trois filles, divorcée mais toujours en contact avec son mari, elle reste en Afrique et élève seule et tant bien que mal ses quatre enfants. Après Bingerville et Abidjan en Côte d’Ivoire, elle séjournera en Guinée à Conakry, puis au Ghana, ne bénéficiant que de contrats d’enseignante précaires et mal payés. Malgré tous ses efforts elle ne réussira pas à se faire accepter par les Africains. Elle dira sur ce sujet page 42 : Car, je m’en aperçus tout de suite, les Antillais ne vivaient qu’entre eux. A travers l’ensemble du continent africain, un fossé les séparait des Africains. Ils ne se fréquentaient pas et je fus tentée de me faire une opinion sur les raisons d’une telle situation. Je me refusai à croire que les Africains détestaient les Antillais. Qu’ils les croyaient habités d’un sentiment de supériorité qu’à leurs yeux, rien ne justifiait. N’étaient-ce pas d’anciens esclaves, disaient-ils avec mépris, confondant esclavage domestique et esclavage de traite ? Cela étant, elle ne quittera l’Afrique que très longtemps après, trop orgueilleuse pour admettre qu’elle ne lui rendra jamais l’amour qu’elle lui porte.

Lors d’un bref passage à Paris, elle vivra sa deuxième passion amoureuse avec Jacques, fils naturel de François Duvalier, qui n’était pas encore le terrifiant dictateur d’Haïti et le chef sanguinaire des sinistres tontons macoutes. Prise de remords pour ses enfants, c’est elle qui le quittera en retournant en Afrique.

La vie sans fards est aussi une sorte de panorama littéraire et l’occasion pour l’auteure de nous parler de la naissance de sa vocation d’écrivain et d’expliquer pourquoi elle n’a commencé à écrire qu’à la quarantaine.

La passion de l’écriture a fondu sur moi presque à mon insu. (…) Je n’ai pas été un écrivain précoce, griffonnant à seize ans des textes géniaux. Mon premier roman est paru à mes quarante-deux ans… La principale raison qui explique que j’ai tant tardé à écrire, c’est que j’étais si occupée à vivre douloureusement que je n’avais de loisir pour rien d’autre. En fait, je n’ai commencé à écrire que lorsque j’ai eu moins de problèmes et que j’ai pu troquer des drames de papier contre de vrais drames.

Maryse Condé revient en de fréquents allers retours sur ses sources d’inspiration, sur les personnages de ses précédents livres, ainsi que sur les circonstances dans lesquelles elle les a écrits. Elle explique son écriture d’hier à la lueur de son autobiographie d’aujourd’hui. Comme je n’ai rien lu d’elle auparavant (ce que j’ai bien l’intention de changer), je n’ai pas pu juger si cette sorte de condensé explicatif était utile et efficient.

Autre sujet important du livre, la géopolitique. Beaucoup de thèmes tournant autour de l’Afrique sont abordés et l’ensemble est très intéressant. L’Afrique, ses misères et ses splendeurs d’abord, mais aussi ses différences d’un pays à l’autre, sa culture avec la musique, les écrivains... Sa vie politique, assez chaotique : des présidents socialistes qui deviennent tous ou presque des dictateurs sanguinaires entourés de ministres corrompus, au premier rang desquels Sékou Touré dont nous suivons l’évolution vers le bas… les coups d’état et les bouleversements politiques continuels. Sur le plan sociétal, le machisme, omniprésent, la polygamie et la condition des femmes africaines, forcément difficile et dépendante : ‘Il fallait surtout apprendre à considérer le monde comme composé de deux hémisphères distincts, celui des hommes et celui des femmes’, nous dit-elle.

Dans le registre géopolitique toujours, le thème de la négritude (mot inventé par Aimé Césaire) revient régulièrement dans les pages. Définition du Larousse : ‘Ensemble de valeurs culturelles et spirituelles revendiquées par des Noirs comme leur étant propres ; prise de conscience de l’appartenance à cette culture spécifique’. Ce mouvement lié à l’anticolonialisme a été créé durant l’entre-deux-guerres par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Un peu plus tard, la négritude rassemblera aussi des intellectuels français blancs dont Sartre, qui la définira comme la négation de la négation de l’homme noir. Pour, au final, être controversée et jugée comme un concept réducteur véhiculant, pour certains dont Maryse Condé, une vision ‘négriste’ de la poésie. Le concept de la négritude n’a cessé d’être débattu par ses auteurs eux-mêmes.

Le style. L’écriture est tout simplement belle et juste. Pas de fioritures là non plus, pas d’empathie, un vocabulaire riche et savoureux, souvent imagé et de belles descriptions de la nature et des villes africaines. Petits bémols : les événements racontés, tout comme les noms des personnages, sont trop nombreux et je me suis souvent sentie perdue, d’autant que même si le livre respecte une certaine chronologie, les dates, par contre, manquent cruellement et il est difficile de se situer dans le temps. Les références à des hommes et des faits politiques de chacun des pays où elle séjourne sont si nombreuses qu’il est vraiment difficile de s’y retrouver, surtout si comme moi on ne connaît pas grand-chose à l’histoire de l’Afrique. J’ai appris énormément de choses passionnantes mais je ne suis pas sûre de les garder très longtemps en mémoire.

Mon avis sur ce livre. J’ai toujours abordé les autobiographies avec une certaine appréhension. Peur de m’ennuyer profondément, peur d’être dupée. Dramatisation, fioritures, inventions pures et simples, omissions et autres galéjades… les autobiographes ont à leur disposition tout un arsenal littéraire pour donner leur version de leur histoire. Artifices qu’ils utilisent ou pas, sciemment ou non.

Maryse Condé fait ce constat dans les toutes premières lignes et prend délibérément le contrepied. Son autobiographie se veut la plus sincère possible, relatant les choses telles qu’elles ont eu lieu sans chercher inutilement à les transformer ou seulement les enjoliver, ni à se dépeindre avec indulgence, comme elle dit en ouverture : Pourquoi faut-il que toute tentative de se raconter aboutisse à un fatras de demi-vérités ? Pourquoi faut-il que les autobiographies ou les mémoires deviennent trop souvent des édifices de fantaisie d’où l’expression de la simple vérité s’estompe, puis disparaît ? Pourquoi l’être humain est-il tellement désireux de se peindre une existence aussi différente de celle qu’il a vécue ?

Et elle réussit là le défi littéraire qu’elle s’est lancé. Son autobiographie est écrite sans complaisance vis-à-vis d’elle-même. Elle n’hésite pas à se décrire comme une mauvaise mère : aimante mais incapable de s’occuper de ses enfants et comme une mauvaise épouse : Epouse menteuse, épouse infidèle, épouse adultère, je ne lui rendais pas l’existence facile. Il était évident que moi aussi, je le détruisais.

Sans parler de la culpabilisation et du jugement qu’elle porte sur certains de ses choix qui souvent ont eu des conséquences désastreuses pour sa famille, comme ces fuites réitérées (à chaque grossesse). Sans fards, oui. Mais pas toujours sans apitoiement sur son sort (salaires bas, galères en cascades…). Cependant, lorsqu’elle aborde des détails très intimes (son troisième accouchement notamment, qui s’est déroulé dans des conditions effarantes), elle le fait sans réel pathos, avec pudeur, dignité et humour même. Elle est davantage sensible aux souffrances des personnes qu’elle côtoie qu’aux siennes propres.

Pour finir, si je n’ai pas été émue aux larmes, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt cette Antillaise qui a voulu à tout prix trouver sa place de femme libre, de mère et d’épouse, et ses racines dans une Afrique en pleine mutation. Sans jamais chercher à se rendre sympathique à nos yeux. Mais s’imposant à mes yeux comme une grande dame que je viens de ‘rencontrer’ avec bonheur (merci aux copines qui ont proposé cette lecture) et que je relirai bientôt avec plaisir.

 

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En deux mots

Dans ce livre fort, Maryse Condé revient sur les quarante premières années de sa vie et sur la naissance de sa vocation d’écrivain. Sans jamais chercher à repeindre sa réalité, elle nous entraîne dans l’Afrique tumultueuse des années soixante, l’Afrique de la négritude et de la décolonisation. Sans fards et en toute honnêteté.

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Commentaire(s):

  1. Superbe commentaire, fouillé et passionnant.
    Beaucoup aimé "Segou", "Moi, Tituba sorcière... Noire de Salem" et "La vie scélarate" de Maryse CONDE qui se lisent très facilement, pour celles et ceux qui voudraient approfondir le sujet.

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