Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

La nuit des pères ⇜ Gaëlle Josse

Les cinq premières lignes : « Vendredi 21 août 2020. A l’ombre de ta colère, mon père, je suis née, j’ai vécu et j’ai fui. Aujourd’hui, me voici de retour. J’arrive et je suis nue. Seule et les mains vides. Il y a longtemps que je ne suis pas venue. Une éternité. »
EN DEUX MOTS : Un grand coup de cœur pour ce roman court mais intense, écrit avec une puissance évocatrice et une grande retenue à la fois.
Sorti en août 2022 chez NOTABILIA, Roman. 173 pages.

Gaelle Josse portrait
Gaëlle Josse, un visage aussi doux que sa plume..

Gaëlle Josse est une écrivaine française née en 1960 arrivée à la littérature en passant par la poésie. Dès son premier roman, très court, Les heures silencieuses (moins de100 pages) elle annonce sa marque de fabrique : il ne faut pas attendre de pavés avec elle. Mais cela ne l’empêche pas de gagner prix sur prix. J’ai eu l’occasion de la rencontrer à Tréguier ; interrogée sur ce sujet, elle affirme que nous ne sommes plus au temps de Balzac où un auteur était payé à la ligne. Je suis une de ses fans et je m’aperçois que je n’ai encore chroniqué aucun de ses romans.

Dès les premières lignes on est saisi par le langage poétique, vibrant, sensible de Gaëlle Josse. S’il y a une constante chez elle que j’apprécie en tout premier lieu c’est bien la qualité de son écriture, précise, ample, toujours élégante, fluide (jamais de phrase alambiquée que l’on est obligé de relire plusieurs fois avant d’en saisir les sens).

L’histoire se déroule dans les Alpes, superbe écrin en toile de fond : « Au bout de chaque rue, la montagne jaillit dans son à-pic. Violente, puissante, tellurique. » Une histoire de famille, oui, encore une avec un zeste de secret, de perte de mémoire… Mais le tout raconté par Gaëlle Josse, avec sa retenue, sa pudeur… et aussi sa puissance évocatrice, cela n’a rien à voir avec ce que l’on a déjà lu.

Peu de personnages : la fille Isabelle qui a quitté la montagne, le toit familial, qui “s’est sauvée” serait plus juste. Elle revient bien plus tard, pour quelques jours parce que son frère Olivier l’a appelée, mais aussi avec l’arrière-pensée de découvrir enfin pourquoi son père était si ombrageux, si colérique pendant leur enfance. Par de nombreux retours en arrière elle nous fait revivre les affres de sa relation avec ce père si dur, si insensible.
Le fils Olivier, donc, qui est resté, dévoué auprès de son père ; dévoué aussi, en tant que kinésithérapeute, à sa clientèle.
Le père enfin, était guide de montagne, attirée par elle, seul lieu capable de l’apaiser. Il adorait sa femme aimante et patiente qui n’avait de cesse d’atténuer par son amour les violences verbales qu’il assénait aux enfants. Nous lisons :
« Olivier. Je me dis qu’aucun prénom ne lui irait mieux que le sien. Il est le tronc, les racines, les branches, les fruits. Mon frère est un patient, un généreux. Moi, tu le sais, père, je suis brouillonne, pressée, curieuse de tout. Enthousiaste et tenace, oui, mais pleine de chaînes et de clous à l’intérieur. Ça s’agite et ça fait du bruit».

« Maman, impératrice des écorchures soignées et des beignets aux pommes, maman "raconteuse de Roule galette" et de "Boucle d’or", chuchotés à l’orée du sommeil, tu es là, avec nous, bien plus que sur cette photo installée sur la cheminée…. »

Tout le roman est écrit à la première personne (toujours la plus émouvante, celle qui nous rapproche le plus des personnages. Il y a cependant trois narrateurs différents : la fille pour la plus grande partie du livre, le père quand enfin il confie à ses enfants les traumatismes subis dans sa jeunesse, et pour finir le fils qui clôt l’histoire de sa voix raisonnable.

« La maison du père. Avec Olivier, nous n’y invitions personne. Pas de témoins. Pas de prise. Qu’on ne raconte pas, qu’on ne nous plaigne pas, qu’on ne sache pas. Que le regard ne s’arrête pas sur cette maison au portail et aux vies grinçantes, à la boîte aux lettres tordue et aux habitants abîmés, qu’on ne s’arrête pas sur ses ombres et ses déroutes, sur ses chagrins et sur nos jeux interrompus. »

J’ai dévoré ce livre, un vrai coup de cœur. Il n’y a pas une seule page où je ne sois tentée de recopier des paragraphes… Mais si Gaëlle Josse écrit des romans courts, je suis une chroniqueuse qui aime aller à l’essentiel. (Bien sûr la comparaison s’arrête là !). Alors, que ce soit votre premier de cette autrice ou pas, allez-y, La nuit des pères est un excellent Gaëlle Josse.



Commentaire(s):

  1. La poésie de Gaëlle Josse nous emporte une fois encore dans une histoire bien triste. Avec ce "détail" vécu d'une guerre qui n'a jamais porté d'autre nom que "les événements" (!), l'autrice met en évidence, s'il en était besoin le rôle néfaste des secrets de famille dans l'harmonie de celle-ci. Les traumatismes d'enfance ou de jeunesse sont suffisamment graves pour en plus être celés dans les mémoires.

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