Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

De regrettables incidents ⇜ Armel Job

Sorti en février 2015 chez Robert Laffont. 287 pages. Roman (ou thriller psychologique, ou pièce de théâtre, ou polar).

L’auteur. Armel Job est né en 1948 à Heyd en Belgique. Agrégé de philosophie, il a d’abord enseigné le grec et le latin. Il publie son premier livre, La Reine des Spagnes, en 1995. Depuis, il est à la tête d’une quinzaine de romans. Certains ont été récompensés par des prix littéraires en France et en Belgique dont, entre autres, La Femme manquée (2000, Prix Emmanuel-Roblès). Son œuvre est marquée par une forte présence des religions, des personnages de toutes les conditions sociales et par des intrigues remplies de rebondissements et au suspense soutenu. De regrettables incidents est le dernier opus d’Armel Job et le premier que je lis. J’ose à peine l’écrire, mais je crois que ma culture livresque belge contemporaine (ou presque) se limite à… Simenon, Caroline Lamarche et Amélie Nothomb. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, paraît-il, pourquoi le serait-il  pour bien lire ?!

L’histoire. Au couchant du vingtième siècle, dans un petit village belge, «Le Royal Sillon», la troupe de théâtre amateur est très active grâce à son directeur Arsène Chockier, faux notable et vrai démon, qui la mène d’une main de fer depuis toujours ou presque. Jusqu’à ce que Werner Sualem, épicier du village et comédien lassé de jouer dans le registre comique, décide d’appliquer les statuts associatifs en votant la reconduction ou l’éviction du directeur, et de se présenter à ce poste. A l’issue du vote, c’est Werner qui est élu et Arsène Chockier quitte son poste bien décidé à se venger.
Dans ce village vit une famille d’émigrés kazakhs : Jakob, Irène et leurs deux filles, Olga et Vika. L’aînée des filles, Olga, plus tout à fait enfant mais pas tout à fait femme, a la beauté pure et évanescente des plus belles filles de l’Est, doublée d’une candeur innée. Elle s’occupe de sa sœur, Vika qui, à bientôt quinze ans, n’en paraît que dix en raison d’une maladie de cœur qui a bloqué sa croissance. Sa mère la lui a confiée, craignant de la surprotéger. La famille, demandeuse d’asile, tente de s’intégrer en Belgique et d’obtenir un permis de séjour enfin définitif. Elle vit sans se faire remarquer, le plus discrètement possible. Jusqu’à ce que Werner monte une pièce dramatique et demande à Olga de jouer le rôle principal, avec la permission de son père. Elle finit par accepter pour rendre service aux siens et le jour de la représentation annuelle, Chockier, présent contre toute attente, provoque un scandale dont les répercussions seront immédiates et inattendues.
De rebondissement en retournement, de terrible secret en regrettable incident, la seconde partie du livre nous emmène sur le chemin de la compréhension d’un présent qui trouve son explication et son origine dans… le passé, bien sûr. Que se passe-t-il, que s’est-il passé pendant vingt-cinq ans entre le directeur du théâtre et les jeunes premières qui, chaque année, refusent de reprendre leur  rôle pour la suivante ? Les masques tombent, les personnages se dévoilent tels qu’ils sont (bons, très bons, méchants, très méchants ou les deux à la fois, c’est-à-dire normaux.) Et la pièce qui se joue sur la scène du Royal Sillon se joue aussi dans la vie, avec les mêmes personnages. La tension de l’intrigue ne se relâche jamais et l’attention du lecteur est requise jusqu’au bout, la vérité –diablement étonnante– se trouvant dans les toutes dernières pages.
Le style. Je n’ai rien lu d’Armel Job jusqu’à présent et ne puis apprécier son style qu’à l’aune de ce roman. L’écriture est agréable, de lecture aisée, un peu surannée parfois, milieu du théâtre oblige. Avec de belles trouvailles stylistiques dues à la richesse du vocabulaire et un sens équilibré de la narration faisant alterner des passages purement dramatiques et d’autres remplis d’un humour bienvenu -même s’il peut parfois nous sembler un peu noir. L’auteur semble manipuler ses personnages de loin, avec une certaine distance, comme s’il s’agissait de personnages de théâtre (ce que sont certains, d’ailleurs) qui lui permet d’alléger le sujet plutôt lourd de l’histoire. Aucun doute, on est dans de la fiction pure, nullement dans la réalité, pas même dans le vraisemblable. Ouf !Une belle prouesse que de réussir à catégoriser un roman par sa seule écriture.
Un bémol peut-être : un allant parfois lent, un rythme freiné par les états d’âme des personnages et les retours en arrière utiles mais parfois dispensables.
Ce que j’ai pensé de ce livre. Voilà un livre qui m’a surprise. Tout d’abord parce que l’auteur a joué la carte «théâtre» jusqu’au bout pour écrire son roman. Celui-ci commence par La vie est un théâtre et se termine par La pièce est terminée. Le rideau s’est levé au début de l’histoire et s’est baissé à la fin. Comme au théâtre. Entre les deux la comédie ou/et le drame. Comme au théâtre. On trouve d’ailleurs de belles réflexions sur le théâtre, notamment celle-ci en page 134 concernant l’identification possible et dangereuse du comédien à son personnage ou la suprématie pure et simple du personnage sur son interprète : Le comédien, quoi qu’on en pense, a beau se méfier de son double, il peut bien essayer de le maintenir à distance, il arrive presque toujours que son personnage, dans le feu de l’action, lui brûle la politesse. Tout à coup, il a le sentiment que cet autre à qui il prête son masque vaut mieux que lui. C’est un esprit supérieur sorti du cerveau d’un brillant auteur, à côté duquel il fait pâle figure. Insensiblement, il s’abandonne à son pouvoir.
J’ai aimé les personnages, notamment les deux sœurs Olga et Vika, très proches mais néanmoins séparées par la maladie de Vika et ses conséquences. Et celui de Werner, homme dont la grande bonté n’est pas tout à fait sans nuances. Au-delà de l’étude psychologique assez fine de ses personnages, j’ai également apprécié le regard à la fois compatissant, admiratif ou franchement sévère que l’auteur porte sur eux, sur leurs faiblesses et leurs écarts pour certains comme sur leur honnêteté et leur sens du prochain pour d’autres.
D’autre part, si ce livre ne sort pas de son contexte et de sa forme littéraire (théâtre et roman confondus), l’auteur n’en fait pas moins mention à des sujets d’actualité qui n’ont –malheureusement– pas pris une ride quinze ans après l’époque où se déroule l’histoire. En particulier les difficultés rencontrées par les émigrés candidats à l’intégration et la course aux papiers officiels. On constate à quel point la méconnaissance de la langue peut être un problème majeur (ici pour le père des deux filles, surtout), mais Armel Job met aussi le doigt sur celui de la non-reconnaissance et a fortiori la non-équivalence des diplômes qui conduit fatalement à un déclassement professionnel. Ainsi la mère, Irène qui, médecin au Kazakhstan, se retrouve aide-soignante en Belgique, après avoir fait des ménages en ville tout en suivant des cours… d’infirmière !
La vie d’un petit village aussi avec les rumeurs allant bon train, les non-dits que tout le monde connaît, les rivalités, les rancœurs et les jalousies… Les secrets de longue date… Mais n’est-ce pas le propre de tout village qui se respecte, de… regrettables incidents ? Sûr que chaque lecteur vivant ailleurs que sur une île déserte ou dans un désert reconnaîtra son village, son quartier, sa rue, sa cage d’escalier…

Maintenant, est-ce que ce livre m’a plu, vraiment plu ? Oui, pour la découverte de cet auteur belge. Merci ma popine grâce à qui je l’ai connu à l’occasion d’un cercle de lecture… en Belgique. Ce qui m’a un poil dérangée, c’est l’allégorie du théâtre courant de bout en bout, du lever au baisser de rideau, de la première à la dernière phrase. J’ai fini par y trouver un aspect quelque peu artificiel, manquant de profondeur, de réalité. Théâtral ? Avis tout à fait personnel bien sûr. Quoi qu’il en soit, dès que possible (autrement dit quand ?) je relirai d’autres romans d’Armel Job dont j’ai lu et entendu beaucoup de bien. Tant qu’à faire, je ne choisirai pas un sujet trop scénique.

 

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En deux mots

Ecrit comme un roman, De regrettables incidents est conçu comme une pièce de théâtre du début à la fin. L’histoire, à la fois drôle et dramatique, s’apparente au polar, au triller, au roman social, au conte même. A la tragi-comédie théâtrale. Une bien belle écriture

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