
Joseph O’Connor est aujourd’hui une des voix les plus reconnues de la littérature irlandaise. Originaire de Dublin où il vit toujours, il écrit d’abord en tant que journaliste, scénariste et dramaturge avant de se mettre à publier des nouvelles puis des romans, dont plusieurs best-sellers comme L’étoile des mers et Redemption Falls. Ses livres lui ont valu de nombreux prix et sont traduits en de nombreuses langues.
L’histoire que nous découvrons, intrinsèquement mêlée à celle du monde et de l’Italie en particulier, est basée sur des faits réels (et des personnages ayant existé) qu’elle relate de manière romanesque, Monseigneur Hugh O’Flaherty, le seul à porter son vrai nom, a véritablement, avec ses amis, tiré des griffes nazies près de six mille prisonniers de toutes nationalités et confessions religieuses. Après avoir vu avec horreur leurs conditions de survie dans les camps allemands, il en recueillait certains au Vatican lorsque c’était possible et aidait les autres en se déplaçant dans leurs cachettes. Au péril de sa vie et de celles et ceux qui participaient.
L’intrigue commence quelques jours avant Noël 1943. A cette date précise, les Allemands, qui craignent la défaite, redoublent de vigilance et de violence et s’apprêtent à dépasser l’ultime limite : envahir le sacrosaint Vatican.
Une fois n’est pas coutume, pour simplifier la présentation des tout débuts de l’intrigue, assez complexes, je me permets de recopier ci-dessous le paragraphe introductif à l’histoire de l’auteur en personne :
“Septembre 1943 : les forces allemandes occupent Rome.
Le chef de la Gestapo, l’Obersturmbannführer Paul Hauptmann, règne par la terreur. La faim est partout présente. Les rumeurs suppurent. L’issue de la guerre est loin d’être sûre.
Les diplomates, réfugiés alliés évadés risquent leur vie en tentant de trouver asile au Vatican, le plus petit état du monde, pays neutre et indépendant situé au cœur de Rome.
Un groupe d’amis improbables menés par un prêtre courageux se retrouve soudain au cœur du danger. A Noël, il n’est plus possible de faire marche arrière”.
Révulsé par l’attitude des Allemands, le prêtre essaie de réunir le plus d’argent possible en un minimum de temps pour évacuer le maximum d’évadés hors de la ville avant la date fatidique. Après avoir trouvé des personnes de confiance pour l’aider dans sa mission, il lui faut trouver un plan et surtout une mascarade (pour les Allemands et pour ses supérieurs, qui tiennent à leur neutralité) afin d’organiser leurs rencontres et planifier leurs projets dans une relative tranquillité. Dans le groupe hétéroclite de sept personnes figurent un musicien et plusieurs chanteurs amateurs ou professionnels d’opéra. La couverture est toute trouvée : ce sera un chœur, dont il sera le chef.
Dans la maison de mon père retrace le parcours du prêtre courageux. Il s’engage à fond dans ce combat, mettant sa propre vie en danger face à la Gestapo et son terrible chef, qui l’a repéré, mais aussi face à la hiérarchie religieuse en désobéissant aux ordres, y compris ceux du Pape Pie XII, totalement passif – dont l’attitude sera fortement critiquée après la guerre pour ne pas avoir dénoncé le génocide juif.
Toute l’histoire, quatre cent cinquante pages, se déroule en quelques heures. Il s’agira de déjouer les pièges et les poursuites des Allemands. Le chef des nazis, menacé par Himmler (et derrière celui-ci, Hitler) doit rendre des comptes et anéantir “la filière évasion” du Vatican.
Après les préparatifs minutieux, très vite nous sommes en pleine immersion, aux côtés de Monseigneur qui court, rampe, saute, tombe, se relève, se cache, frémit et souffre de tout son être ou se gourmande. Aidé de ses “choristes”, il court contre la mort et pour la réussite pendant une nuit et deux cents pages. la Gestapo à ses trousses et le lecteur à ses côtés. Cette course éperdue concerne quasiment la moitié du livre ; un seul et même morceau de bravoure que nous lisons d’une traite ou presque en dépit des différents personnages qui témoignent.
La fin bien sûr, littéralement épique, sera celle que vous lirez.
La plume de Joseph O’Connor est de haut vol. Grâce à un vocabulaire riche, un sens du dialogue fin et efficient, une maîtrise absolue du suspense à travers la construction romanesque et une attention bienveillante à ses personnages, l’auteur réussit un double challenge : écrire un roman historique fouillé et documenté à l’extrême tout en ménageant une tension continue et crescendo. De rebondissements en surprises, de faux indices en vraies chausse-trapes, Joseph O’Connor nous prend par la main dès les premières pages et nous emmène là où il a prévu de nous emmener. Du grand art, vraiment. Sans oublier l’humour, souvent noir sujet oblige, mais si indispensable et bienvenu.
La traduction est réussie, avec des nuances et des détails à foison, notamment dans les descriptions de la ville de Rome et du Vatican. J’ai souvent pensé à la Rome de Luca di Fulvio (Mamma Roma) dans certains passages.
Un regard sur le livre. Joseph O’Connor est l’une des plus grandes voix de la littérature irlandaise contemporaine. Rien d’étonnant au regard de ce dernier opus qui marie habilement, de la première à la dernière page, toutes les ficelles du processus romanesque.
Outre l’intérêt historique évident, outre le suspense constant et le rythme effréné, la galerie de portraits est éblouissante. A différents titres, les personnages qui composent le chœur attirent notre empathie. Je n’entrerai pas dans le détail pour mieux vous permettre de les découvrir et de les apprécier au fil des pages, tous ont un petit quelque chose qui nous émeut ou nous fait rire. Avec une exception pour Monsignore, le personnage principal, qui a réellement existé et dont l’auteur a gardé le vrai nom dans l’histoire : Monseigneur O’Flaherty, prêtre venu d’Irlande. “Monseigneur” est un titre important, “que l’Eglise donne à un prêtre lorsqu’il est administrateur depuis cinq ans”.
Dans l’histoire comme dans la vie, Monseigneur pourrait donner envie de se confesser à une assemblée d’athées confirmés, et même d’aller à la messe tous les dimanches. A mille lieues de ceux – qui sont légion depuis des lustres – dont on parle en mal dans les médias, ces prêtres et prélats, religieux de tous rangs qui exercent leur pouvoir sur les faibles par des actes odieux. Hugh O’Flaherty n’est pas juste courageux, il se comporte dans l’Italie fasciste et envahie de nazis comme un véritable héros, mettant sa vie et son cœur, quitte à les perdre, au service des faibles, des victimes. Les membres de son chœur l’aiment, le respectent et le suivent en toutes circonstances, nous aussi. Un héros de la Résistance vêtu d’une soutane.
Les sentiments forts fourmillent dans les pages, exacerbés peut-être par la guerre, toujours dignes. Amour, amitié, résilience, admiration, loyauté, compassion, solidarité, fidélité, tous sans faille… Du côté résistants bien évidemment. Les nazis, eux, sont ignobles de bout en bout et certains passages, courts heureusement, se lisent les yeux fermés..
Impossible aussi de ne pas s’attarder en quelques lignes sur l’évocation de la ville de Rome et du Vatican, même en temps de guerre. Celles et ceux qui n’ont pas eu la chance d’y aller les découvrent. Nonobstant le millier d’églises, chapelles, couvents et autres institutions religieuses dont les toits roses surgissent dans toute la ville, il s’agit d’un dédale de rues, de venelles, de ruelles, d’impasses et de passages secrets en surface et en sous-sol, et d’un monde souterrain lui aussi monumental, en partie sépulcral pour le Vatican. Un périple que connaissent par cœur tous les membres de l’équipe du prêtre. Impressionnant et propre à nous donner l’envie d’aller voir “pour de vrai”.
Enfin, Dans la maison de mon père est un roman polyphonique. Les membres du chœur de Monsignore relatent et commentent en chœur également les événements de l’action. Au présent et au futur (une vingtaine d’années plus tard pour les interviews), ils interviennent sous diverses formes : des articles de journaux, des récits personnels et des interviews qui, tous, même si leurs points de vue divergent sur des détails de ressenti, vont dans le même sens et complètent l’histoire et sous-tendent son l’authenticité. La résistance contre la barbarie.
Je dirai pour finir que ce dernier roman de Joseph O’Connor confirme s’il en était besoin son gigantesque talent aussi bien dans la forme que dans les sujets variés de ses romans. Son sens de l’authenticité va de pair avec celui de l’humour et fait de ses romans souvent protéiformes et presque toujours inspirés ou basés sur des faits historiques réels de véritables sources de plaisir. Celui-ci est un coup de cœur, bien sûr, pour ces raisons et pour celles que j’oublie, et je vais essayer de relire Redemption Falls et L’étoile des mers, si je les retrouve… Je vous recommande fortement Dans la maison de mon père, jusque et y compris les quatre dernières pages dans lesquelles il fait la part réel-romanesque.
DES MOTS FORTS POUR DIRE LA BEAUTE ET L’HORREUR
L’horreur, d’abord.
“Un bombardier Mitchell B-25 fait la taille d’un bus londonien. Vous levez les yeux et vous en découvrez quarante, qui font pleuvoir des bombes de cinq cents kilos. Les rues ne sont pas endommagées : elles sont pulvérisées. Anéanties. Des décombres de fumée nauséabonde et de poussière de brique. Les avions passaient la veille, lâcher quatre-vingt mille tracts annonçant ce qui arriverait le lendemain. De cette manière, la peur avait le temps de vous gagner”.
Le fascisme :
“J’ai lu parfois que le mouvement national socialiste était une fraternité. En réalité, c’était une meute haineuse menée par des psychopathes et autres mauvaises gens, montrant autant de loyauté que ces grenouilles venimeuses qui se nourrissent de leur propre fratrie après avoir dévoré tout le reste. le plus glaçant, c’est le nombre de personnes qui se sont laissé entraîner dans cette voie de leur plein gré. “Se sont laissé entraîner”, en réalité n’est pas une expression suffisamment active. Ont accepté avec un certain enthousiasme de suivre cette voie”.
De belles descriptions de la ville de Rome, et de ses sous-sols, ainsi que du Vatican, et de ses sous-sols :
“Pour moi, Rome est une palette de peintre, un clair-obscur de rose lustré, de cuivre vieilli, de brou de noix, de miel, d’ivoire, de moka. C’est aussi une musique, une sonate pour piano.”
“La cité la plus majestueuse d’Europe porte un masque. Derrière, elle cache bien des secrets. Ainsi un verset de la Bible a pris pour moi un sens plus vaste. “Dans la maison de mon père, il y a plusieurs demeures”.
Et sur les Italiens eux-mêmes, méditerranéens par excellence :
“Les Italiens sont un peuple éminemment sociable, démonstratif et tactile. Vivre ensemble appartient à leur culture, leur identité. Partager les repas est important pour eux. S’embrasser, s’étreindre. Homme, femme, jeune et vieux. ils montrent leurs sentiments, leurs émotions, ce dont en général, en Angleterre, ne nous abstenons. Cela rend à mes yeux la vie en Italie si intéressante et réjouissante”.
Après Rome la rose, une jolie peinture de Londres la grise :
“Après Rome, le gris de ses rues dignes était reposant. L’hymne de la pluie qui tombe sur les toits de Londres éveille une forme de reconnaissance, c’est en quelque sorte la musique du sublime. S’il est un moment de paix qui dépasse toute compréhension, c’est le réveil après une nuit d’amour à Londres dans le murmure de la pluie”.