Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

Bel-Air ⇜ Lionel Salaün

Sorti en septembre 2013 chez Liana Levi. 224 pages. Roman.

L’auteur. Né en 1959 à Chambéry, Lionel Salaün n’a publié qu’un seul roman avant celui-ci, ‘Le retour de Jim Lamar’, dont j’avais entendu le plus grand bien partout et qui a remporté de nombreux prix littéraires.

L’histoire. Une préfecture anonyme. Une ‘Ville’ qu’on ne nommera pas autrement. Une cité qui se déconstruit dans le bruit et la fumée. Et deux amis d’enfance qui se retrouvent, après vingt ans de séparation, dans le café de l’un d’eux le Bel-Air, pour boire un dernier pastis ensemble, apparemment. Gérard et Franck, le narrateur. En réalité, Gérard est venu chercher une réponse à la terrible question qui n’a cessé de le hanter pendant les quinze ans qu’il a passés en prison.

Et des souvenirs qui remontent. Dès que le décor ‘actuel’ est posé, on retourne quelque cinquante ans en arrière. Même lieu, le Bel-Air, en bien meilleur état et beaucoup plus fréquenté. Le café des jeunes qui cherchent un boulot, une fille, quelque chose à faire, le café des joueurs de belote, le café des ouvriers et des commerçants qui viennent boire un verre avant de retrouver femme et enfants, le café des vieux réacs qui refont le monde sur fond de guerre d’Algérie et commentent les rumeurs et la vie des autres. Et là, proche du Bel-Air, un foyer de travailleurs immigrés, cible de toutes les fureurs du patron, le père de Gérard. En fond historique, au mitan des années cinquante, les prémisses de la guerre d’Algérie (soulèvements et attentats) et la fin de la guerre d’Indochine avec l’amère défaite française (Diên Biên Phu), que les clients revanchards du bar critiquent allègrement.

Les deux amis, en fin d’adolescence à l’époque, sont foncièrement différents. Gérard, dont la voie est toute tracée : prendre la succession de son père, aime les armes et les militaires ; il est raciste parce que son père l’était et n’hésite pas à le montrer. Franck, lui, ne communique pas facilement ; il sait écouter les autres, mais ne se livre pas facilement. Epris de liberté, les idées de son ami le révoltent. Il ne voit pas comment s’en sortir vu son origine sociale. Chaque jour, avec leur bande de copains —Roger, Antoine, Serge, Chantal—, ils revisitent l’actualité et draguent les filles. Jusqu’à ce qu’éclate la guerre d’Algérie et que leurs voies divergent. Et c’est Gérard le belliqueux qui reste pour aider sa mère devenue veuve à faire tourner le Bel-Air, tandis que Franck le pacifiste sera appelé pour défendre les couleurs de la France en Algérie… Un passage à l’âge adulte très difficile. Pour ce qui est du suspense, je n’en dirai pas plus. Le reste est à lire…

Le style. Surprenant de simplicité au début, il m’a un rien déstabilisée mais je m’y suis habituée très vite pour finalement le trouver vraiment bien écrit. Le vocabulaire est simple mais les phrases sont suffisamment bien tournées pour coller aussi bien au rythme qu’aux réflexions et aux dialogues des personnages. Sa construction narrative n’est pas toujours évidente, mais là aussi, après avoir été ballottée entre les deux périodes de l’histoire, j’ai fini par m’y retrouver, les passages du passé au présent (et inversement) étant assez subtils.

Ce que j’ai pensé du livre. J’ai passé un très bon moment en lisant ce roman. L’histoire de ces amis séparés par la guerre et par une trahison tient parfaitement la route côté suspense. Aux deux tiers du roman, le roman populaire se fait roman policier. Et Lionel Salaün fait montre d’une grande maîtrise pour nous amener à la vérité (dans LA dernière page) en procédant par petites touches distillées, l’air de rien, un peu partout dans les pages mais surtout à la fin bien sûr. Une parole par-ci, un regard par-là, c’est tout. Quant à la révélation finale, je ne sais toujours pas si c’est un mal ou un bien pour le personnage central.

Autre thème abordé ici de façon très juste : le racisme primaire. Celui qui fait basculer Gérard dans une scène de ratonnade particulièrement violente, celui, comme dit Franck, ‘qui suintait de tous les cœurs, de toutes les âmes autour de moi et qui me donnait la nausée’. Et celui qui l’a fait fuir.

Il est aussi question de l’inégalité des classes sociales et du manque d’argent pour certains, que Gérard considère en grande partie responsable de ce qui lui arrive. Ainsi, page 158 : ‘Ce que je deviens ? Ça, j’en sais trop rien… (…) Je vis ma vie, comme on dit ! Pour ce que ça deviendra, on verra bien ! On n’a pas toutes les cartes en main. C’est pas nous qui les distribuons, on prend celles qu’on nous donne, les bonnes et les mauvaises, et puis voilà !’.

Et, page 160, la réponse de son interlocuteur, optimiste : ‘A chaque jour suffit sa peine, dit-on. L’important, c’est de vivre l’instant présent, de savourer les belles choses qui s’offrent à nous et de surmonter les épreuves lorsqu’elles surviennent, une à une, sans se préoccuper de celles qui nous attendent, dont on ne sait rien et qui, peut-être, n’arriveront jamais. (…) Faire la part des choses, trier les bons et les mauvais cadeaux que nous présente la vie sous des emballages parfois trompeurs’. Une assez belle leçon de vie.

Mais ce livre est avant tout pour moi une ode à l’amitié. Pour une fois, le sentiment d’amitié prévaut dans un roman sur le sentiment d’amour, pourtant lui aussi présent dans l’histoire. Même séparés dans leurs vies, en dépit de toutes leurs divergences de vues et de leurs querelles souvent violentes, Franck et Gérard resteront amis jusqu’au bout. A la toute fin, quand l’amour fait mal, l’amitié est la plus forte. Et c’est l’amitié plus que l’amour, même s’il est bien rendu lui aussi, qui nous apporte enfin, par des paroles de Gérard —qui nous a pourtant été dépeint comme une espèce de brute souvent incontrôlable—, l’émotion que l’on attendait. Dans les toutes dernières pages.

Alors, pour finir dans la tendresse l’évocation de ce livre assez dur, quelques lignes relevées page 42 sur l’indéfectible (?) amitié qui unit Gérard et Franck.

‘Car, si Antoine, Serge et Roger m’étaient des camarades précieux, Gérard, lui, était mon ami. (…). Au temps des petites classes, je me souviens que les maîtresses, tant nous étions proches et notre relation était exclusive, nous appelaient ‘les siamois’. Et ce titre nous remplissait de fierté, Gérard et moi, qui nous estimions comme des frères’. Et, plus loin : «Pourquoi tu prends toujours sa défense ?», m’avait demandé un jour l’une d’elles. «Parce que c’est mon ami», m’étais-je borné à répondre. Ce lien sacré que, de toute ma vie, je n’ai plus noué avec personne, rien ne semblait en mesure de le distendre, pas même l’apparition dans notre petit monde des trois garçons de la Cité dont nous ferions de bons et grands copains, mais qui resteraient toujours des éléments agrégés au noyau initial que Gérard et moi formions.’

Enfin, il faut bien reconnaître qu'il est rare d'avoir des commentaires de cette période, en particulier de la Guerre d'Algérie, faits par des personnes, des personnages plutôt, mais l'auteur n'est pas loin, contemporains, qui n'y ont pas été impliqués directement mais en ont été les témoins indirects.

 

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En deux mots

Un vrai grand moment de lecture pour moi grâce à ce livre que j'ai eu du mal à lâcher pour son intrigue prenante et qui m'a beaucoup émue dans la dernière partie.

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