Si la littérature devient passion, c’est bien que tout est dans les livres !

La disparition de Jim Sullivan ⇜ Tanguy Viel

Sorti en 2013 aux Editions de Minuit. 153 pages. Roman (?). Plutôt un ovni littéraire.

L’auteur. Né en 1973 à Brest, Tanguy Viel fait ses études à Tours avant d’y effectuer son service d’objecteur de conscience. Il publie son premier roman, Black Note, à 25 ans et en écrira cinq autres avant La Disparition de Jim Sullivan, dont Paris-Brest en 2009, qui a bénéficié d’un très grand succès et concouru pour de nombreux prix littéraires.

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EN DEUX MOTS

Sur peu de pages, l’auteur sait nous surprendre, nous faire rire et se mettre en question. Un livre très original dont on retiendra la construction habile ainsi que la justesse de la ‘critique’ qu’il fait de la littérature américaine, tout en utilisant ses poncifs pour écrire un ‘roman américain’ doublé de son commentaire ‘en voix off’.

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L’histoire. Pas facile d’en parler. Ce livre est un ovni littéraire. Il raconte l’histoire de l’histoire d’un livre en cours d’écriture. Voyons cela d’un peu plus près. Il y a tout d’abord, bien sûr, l’histoire que raconte l’auteur, celle de Dwayne Koster, celle du premier niveau dirais-je. A près de cinquante ans, ancien professeur d’université, il se voit congédié par sa femme lorsqu’elle découvre sa liaison avec une étudiante. Alcool et jalousie aidant, Dwayne ne supporte pas que son ex-femme le ‘trompe’ avec un dénommé Alex Dennis, un de ses anciens collègues de fac. Le soir, écoutant du Jim Sullivan, rêvant de vengeance, il planque devant chez elle dans sa vieille Dodge. Inutile d’en dire davantage car il y a un vrai suspense.

Quant à la seconde histoire (la vraie ?), c’est celle de l’auteur qui se raconte en train d’écrire les mésaventures de son malheureux héros. Et de commenter ce qu’il écrit. Car au départ, après avoir constaté que la littérature américaine est bien plus foisonnante que la littérature française pour de nombreuses raisons (en particulier l’absence en France de ces grands espaces propices à l’évasion), et que les romans français ne sont jamais des romans internationaux, Tanguy Viel décide un beau matin de s’essayer au roman américain. Ni plus, ni moins. Un sacré défi pour un écrivain français. Il convoque pour cela, avec beaucoup d’ironie, tous les clichés de la littérature américaine. Une ville –Detroit— au lourd passif, un héros au lourd passé, une ex-épouse réinstallée, deux-trois malfrats, un agent du FBI, quelques relents de la guerre en Irak, des routes poussiéreuses sillonnant des grands espaces, une vieille Dodge, de l’alcool et même un peu de sexe et, surtout, une vengeance à accomplir… Tous les stéréotypes du bon vieux roman américain. Il ne reste plus qu’à…

Et le travail se fait, il se fait même très bien. C’est un peu comme si l’auteur avait écrit deux histoires, deux livres en même temps, ou plutôt un, plus les explications-justifications qui vont avec, en s’adressant au lecteur de littérature américaine qui sommeille en chacun de nous (?!). Dans ces conditions, l’histoire de base est un prétexte (elle est pourtant menée à terme) dont Tanguy Viel justifie à son lecteur chaque fait, chaque nom, chaque action, chaque choix. Les exemples sont nombreux et confèrent une saveur inhabituelle au roman (d’autant que ces passages sont souvent très drôles car l’auteur ne se prend pas au sérieux), un peu comme si on se sentait partie prenante du livre qu’on tient entre les mains.

Le style. Une véritable prouesse bien sûr ! La construction est impeccable et Tanguy Viel, à la fois auteur, narrateur et critique littéraire (du roman français, du roman américain et de lui-même), réussit à mener de front ses deux histoires jusqu’au bout sans jamais s’égarer ni nous perdre. Et le fait dans une langue plus américaine que française : simple, elliptique, presque directe, avec le sens du suspense mais aussi un humour omniprésent qui adoucit la dureté de ce qu’il raconte, pour la partie ‘roman américain’. A noter la maîtrise absolue des temps de conjugaison avec lesquels il joue comme personne pour se déplacer d’une histoire à l’autre, ainsi que celle du placement des scènes dans l’intrigue et du suspense général. Pour un final à la fois plausible et inattendu.

Mon avis sur le livre. Ce roman est absolument inclassable par son sujet. Je ne peux pas dire que l’histoire (celle du premier niveau, celle de Dwayne) m’a passionnée. Le personnage, un brin paumé, ne m’a pas spécialement touchée, sauf peut-être à la toute fin. Mais c’est un livre à lire absolument pour son style et l’originalité de l’histoire (cette fois, celle du second niveau). Il faut passer les trente premières pages un peu étranges et pour le moins inattendues, puis, si l’on continue, c’est pour rire aux éclats parfois, garder le sourire toujours. On ne sait jamais si on est dans l’histoire déjà écrite dans le roman (celle de Dwayne, qui nous paraît artificielle parce que pas finie quand on la commence) ou dans celle que l’auteur est en train d’écrire et de commenter avec nous. Tanguy Viel nous embarque à ses côtés et nous invite non seulement à le regarder écrire mais à le guider s’il le faut, à le conseiller sur telle décision à prendre, sur telle direction à suivre. Comme s’il nous faisait participer à l’élaboration de son livre, comme s’il l’écrivait avec nous. C’est vraiment très, très original même si un peu difficile à suivre. L’auteur se livre à un exercice de style de bout en bout et son pari d’écrire un roman américain donc ‘international’ est réussi. On assiste à un détournement de style parfait.

Quant à Jim Sullivan, il se balade dans l’histoire sous la forme d’un ectoplasme, mais il fut dans la réalité un chanteur-guitariste mélancolique dont le destin s’avérera au final proche de celui de Dwayne. Tanguy Viel nous donnera à la fin du roman ‘l’explication’ de sa disparition (et du titre par voie de conséquence)...

Bref, ce livre, totalement décalé, est très réussi et j’ai passé un bon moment de lecture, riant très souvent des réflexions en aparté que nous fait l’auteur, un peu moins des mésaventures du malheureux Dwayne Koster.

Cependant, ce n’est pas par ce livre qu’il faut aborder l’œuvre de Tanguy Viel. Alors, ne faites pas comme moi, commencez par… au hasard… Paris-Brest ?

 

Commentaire(s):

  1. Bravo pour cet exercice de haute-voltige : chroniquer un roman de Tanguy Viel, et tout particulièrement "La disparition de Jim Sullivan" qui fut un grand moment de bonheur de lecture pour moi !
    Impresionnée par la prouesse de Cathy Sérial Lectrice qui rend parfaitement l'ambiance du roman et sa pure intellectualité. Chapeau bas, d'autant plus que la nouvelle rubrique "En deux mots" est d'un professionnalisme... plus que parfait.

    Cunégonde

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